Chronique

Roots Manuva
Run come save me

Big Dada - 2001

Autant être honnête, c’était avec une impatience non-dissimulée que je guettais la sortie du second album du fantasque britannique Roots Manuva. Auteur, interprète et compositeur le natif de Brixton avait reçu à juste titre louanges et reconnaissances pour son premier album Brand New second hand. Cet opus désormais classique l’avait proclamé chef de file d’un rap britannique en pleine émancipation de son grand frère Américain. Deux années et demie plus tard, auréolé d’un nouveau statut, le emcee de Brixton nous revient dans la difficile épreuve du second album.

Dès les premières secondes, on peut se délecter du phrasé toujours enchanteur de Rodney Smith A.K.A Roots Manuva. Un débit rythmé plein d’assurance, une voix immensément grave et emprunte d’un accent typiquement Anglo-Jamaïcain on ne peut plus plaisant : voilà ce qui parviendra à vos oreilles. Et pour ne rien gâcher, notre ami britannique s’attelle à développer une gamme de sujets particulièrement large ; allant du simple ode à la weed, à une introspection personnelle, plusieurs délires inventifs et rêveurs ou même un égotrip plus classique. Rodney Smith a plusieurs facettes et c’est uniquement en rassemblant toutes les pièces de son puzzle que l’on réussit à comprendre le personnage.

L’idée de diversité dans l’originalité prédomine aussi coté productions. Autour d’une base Hip-Hop relativement classique vient se greffer une riche mosaïque d’influences. A la fois emprunt d’inspirations Reggae, Dancehall-Dub mais aussi teinté d’une touche électronique récurrente. On pourrait avancer une once d’explication en affirmant que cette très large palette d’influence lui vient de son adolescence passée dans le sud de Londres, à Stockwell ; ville au spectre musical particulièrement riche.

Entre étrange, intriguant et sublime on nage au milieu de ses différents courants musicaux en virant rarement du coté obscur de la force (comprenez refrain chanté jiggy, facile et mielleux). Cette richesse musicale confère une ampleur certaine à l’ensemble de l’album, et on se dit alors que Roots Manuva donne décidément tout son sens à la maxime de Big Dada Making Hip-Hop different. Si la composition musicale (dans l’ensemble signée Roots Manuva himself ) est globalement de bonne facture, on dénotera quelques ratés à la fois surprenant et frustrant.

L’essai dance-hall ‘Hol’it up’ est notamment un indéniable échec, aussi fade que synthétique. Même constat pour ‘Artical’ dont le minimalisme musical et l’absence total de rythme conduit à l’ennui le plus total. ‘Sinny Sin Sins’ ne marquera pas non plus la carrière discographique de Roots Manuva de son empreinte. Si le récit introspectif authentique des croyances et de l’éducation religieuse de notre fils de pasteur est touchant, il est injustement desservi par une production particulièrement moyenne.

Ces quelques ratés déçoivent, mais ils demeurent fort heureusement minorité sur les 17 titres qui composent cet opus. On retiendra plutôt des titres comme ‘Swords in the dirt’. Titre obscur et rythmé par l’intervention de toute une série d’invités venant constamment relancer la flamme d’un morceau superbe. ‘Witness (one hope)’ sorti en maxi plusieurs semaines avant l’album avait donné le ton. Un mélange musical pertinent à la saveur futuriste, dont certains éléments semblent directement samplés d’une opération spatiale sur la Lune. Et s’il ne se place pas en visionnaire ni en grand moralisateur, nul doute que celui qui désire devenir le « U2 du Hip-Hop » (authentique) ne se contente pas de banalités.  « Cause right now, I see clearer than most, I sit here contending with this cheese on toast, I feel the pain of a third world famine, segue, we count them blessings and keep jamming… »

‘Bashment Boogie’ sur lequel intervient Chali 2na du collectif Jurassic 5 s’affirme comme une sulfureuse combinaison, indéniablement réussie. La réunion de ces deux styles si opposés contribue à apporter à ce morceau « more vibes and more pressure« . ‘Evil Rabbit’ nous plonge dans une atmosphère sombre et étouffante presque oppressante. On se croirait entre le paradis et l’enfer, prêt à assister au jugement de notre existence, avec Roots Manuva à la fois dans le rôle du jury et celui du condamné. Inquiétant, complexe et envoûtant.

Gardons le meilleur pour la fin, car ‘Dreamy Days’ est assurément LE morceau de cet album (à égalité avec ‘Swords in the Dirt’). Une conclusion touchante mais pas mielleuse laissant particulièrement rêveur. Un beat hypnotique associé à un violon enchanteur, et là-dessus la voix grave de Roots Manuva. Efficace au possible.

Alors oui ce deuxième album ne s’avère pas la nouvelle perle attendue et espérée mais demeure malgré tout relativement plaisant. Différent de son prédécesseur, il mérite tout de même de figurer aux cotés de son illustre prédécesseur dans votre collection de disques.

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