Chronique

Army of the Pharaohs
Ritual of Battle

Babygrande Records - 2007

C’est un peu Noël (un Noël noir, cela va sans dire) avec 3 mois d’avance. Alors même qu’on pouvait douter de voir sortir un jour le second album du crew A.O.T.P., celui-ci arrive à peine 18 mois après l’inespéré The Torture Papers, qui aura indéniablement répondu aux attentes des aficionados du rap torturé et brutal décliné depuis plus de 10 ans par Vinnie Paz (Jedi Mind Tricks) et son entourage. La barre est ainsi haute pour ce retour, mais l’objectif simple : faire mieux que The Torture Papers.

Le roster a subi quelques retouches : Jus Allah, officiellement revenu en grâce, réintègre l’équipe, et les jeunes pousses Demoz, Doap Nixon et King Magnetic arrivent. Parallèlement, Apathy semble avoir été mis de côté (décision pour le moins étrange), de même que Faez One. La famille s’est donc agrandie et a opéré un recentrage sur Philly : sur les 13 MCs présents, 11 sont résidents de la cité de Rocky Balboa. Les backgrounds deviennent ainsi plus homogènes que sur The Torture Papers, et par conséquent les thématiques sont moins « transversales » : cela peut constituer une piste plus que valable pour expliquer le changement de direction entrepris par l’A.O.T.P. à l’occasion de ce deuxième assaut. Ritual of Battle est moins brutal que son prédécesseur, mais plus sombre et dépouillé dans les instrus, plus « street » dans les textes. La rhétorique guerrière est toujours présente certes, mais les breaks de batterie tapent désormais moins fort, et les violons galvanisants ont laissé place à des claviers plus tranquilles.

Cette trajectoire a probablement été dictée par Vinnie Paz, le chef de meute : Servants in Heaven, Kings in Hell, dernier album en date de Jedi Mind Tricks, avait déjà marqué une rupture très nette avec la férocité de ses prédécesseurs. Cela dit, gare aux raccourcis faciles : en aucun cas cette évolution ne s’accompagne d’une perte d’efficacité ou d’un ramollissement. Les hymnes barbares type ‘Henry the 8th’ ou ‘Battle Cry’ ont simplement été troqués contre des morceaux empreints d’une sobriété qui, au final, sied tout aussi bien à l’armée.

Parmi ceux-là, on trouve notamment le magnifique ‘Seven’, produit par l’étonnant Ill Bill (ex-Non Phixion). L’instru, combinant des tintements de cloches, une mélodie à la flute de pan et une ligne de basse à faire trembler vos murs, voit les MCs sortir leurs plus beaux couplets pour ce qui constitue probablement le meilleur morceau enregistré par l’A.O.T.P. à ce jour. Grandiose. ‘Swords Drawn’, morceau d’ouverture, s’avère également très réussi, éclairé par le couplet fracassant de Celph Titled. Idem pour les plages suivantes, les sautillants ‘Time to Rock’ et ‘Dump the Clip’, et son instru très « Conquête de l’Ouest ». Cette entrée en matière de haut-vol est d’ailleurs à double tranchant, la qualité retombant sensiblement par la suite. Autres moments remarquables, ‘Strike Back’, pour son obligatoire prod « Primo-like », ‘Frontline’, dont la boucle principale rappellera quelque chose aux amateurs de rap français, et ‘Don’t Cry’. Ce titre, clôturant l’album, confirme si besoin est que les MCs de l’équipe peuvent sortir du registre battle rhymes/thug rap sans que cela ne transpire le manque de spontanéité pour autant. A noter la très belle contribution du beatmaker JbL, auteur un peu plus tôt dans l’année de l’excellente mixtape Alien Warfare Vol.1. ‘Bloody Tears’, premier extrait de « Ritual of Battle » aurait également pu être un smash hit sans son refrain grotesque.

Niveau conception sonore, on approche le sans-faute. Les temps faibles sont rares, et les instrus manquant de relief moins nombreux que sur The Torture Papers : on aurait tout de même pu se passer des productions de ‘Pages in Blood’ et de ‘Drama Theme’. Pour ce qui est du emceeing, le verdict est plus mitigé, et on ne peut faire fi de certains motifs d’insatisfaction : tout d’abord, le retour tant attendu de Jus Allah tourne au fiasco. Le MC, peu prolifique depuis All Fates have changed, braille plus qu’il ne rappe, et livre des textes paraissant avoir été écrits en cinq minutes chrono (« I am unrushed, untouched, uppercrust, buttered up, such and such« ). Ajoutons à cela un Vinnie Paz qui semble de plus en plus s’enfermer dans des schémas de flow souvent identiques les uns aux autres, et l’on ne peut rester que dubitatif quant au futur de Jedi Mind Tricks version réunification, malgré l’excellent album sorti l’an dernier. Autre bémol, d’une importance moindre, le poids accordé aux newcomers : Demoz, pour sa première apparition discographique, pose sur les trois-quarts des morceaux. Malgré des qualités indéniables, le rookie, au style pas encore tout à fait affirmé, finit à la longue par agacer. En contrepartie, on aurait aimé plus de Reef the Lost Cauze et de Crypt the Warchild, ce dernier étant étonnamment en retrait sur ce projet.

Bien sûr, il faut relativiser : malgré ces imperfections un peu gênantes, le niveau au micro reste élevé. Les flows sont au point, les punchlines frappent sec. On bombe le torse, on fronce les sourcils et on prend sa plus grosse voix. Et dans ce contexte, inévitablement, c’est Celph Titled qui sort du lot. Le garçon a la marque des grands : faites le poser au milieu des meilleurs, il trouvera toujours moyen de vous faire tendre l’oreille, même sans être un monstre de technique. On aime ou pas, mais en aucun cas on ne reste indifférent. Plus encore que sur The Torture Papers, ses apparitions ont tendance à éclipser celles de ses camarades. C’est particulièrement vrai sur ‘Swords Drawn’, où il livre un couplet dantesque, conclu de manière très imagée : « Army of the Pharaohs never make love songs, we finger fuck bitches with Freddy Krueger gloves on« .

En dehors des prestations en demi-teinte de Vinnie Paz, les valeurs sûres du crew confirment : Chief Kamachi apporte son calme, Crypt est toujours aussi incisif, Reef the Lost Cauze plein de facilité. Mention spéciale également à Esoteric, très tranchant à chacune de ses interventions. Parmi les nouvelles têtes, Doap Nixon, dans un style lucide et posé, se place, à l’instar de Kamachi, en force tranquille de l’équipe. Planetary et King Syze demeurent fidèles à eux-mêmes, capables de passer du meilleur au pire en des laps de temps très réduits.

Vous l’aurez compris, comme pour The Torture Papers, l’armée ne nous déçoit pas, loin de là : la qualité est bien au rendez-vous, même si le crew s’illustre dans un registre plus « classique », légèrement différent de celui dans lequel il était attendu. On appréciera cette volonté de se renouveler pour ne pas fatiguer avec un style invariablement bourrin. Les quelques défauts concernant le emceeing sont compensés par une conception sonore de haute volée. Difficile de dire si Ritual of Battle surpasse son prédécesseur : il en constitue en tout cas une suite très réussie, avec juste ce qu’il faut de différences pour ne pas faire doublon avec le premier opus, mais également ne pas rompre avec la tradition du crew.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*