Chronique

Kwal
Règlement de Contes

Autoproduit - 2002

Originaire d’Angers, Kwal a longtemps fait ses gammes au sein de Carc[h]arias, groupe de metal/fusion, dans lequel il officiait en tant que chanteur/compositeur. « Règlement de Contes » est son premier album solo, basé sur un concept inédit et original : mettre en scène l’enfance abusée et désabusée, en détournant contes de fées et autres histoires destinées aux plus jeunes.

Sous le couvert de ces emprunts, Kwal dénonce donc une pléthore de sévisses au fil des tracks : pédophilie, maltraitance, démission parentale, exploitation, guerre ou encore inégalité Nord/Sud. La facilité aurait voulu qu’il lâche cliché sur cliché comme tant d’autres l’ont fait avant lui, néanmoins Kwal propose de fines analyses, peut être parfois tirées par les cheveux (‘Le Juge ment’), mais globalement assez bien amenées pour qu’on y prête attention, même sans être un fana de rap « conscient ». L’originalité du traitement des idées vient du ton très personnel utilisé par le MC, en rupture avec le didactisme d’un Squat, jadis lui aussi très préoccupé par les problèmes de l’enfance : Kwal ne cherche pas à corroborer ses dires par des extraits de bulletins d’information de l’UNESCO, le langage reste simple, mettant en avant les éléments susceptibles de choquer et d’interpeller l’auditeur.

En ce qui concerne la forme du travail de Kwal, les sonorités assez organiques d’une certaine partie des prods pourraient en rebuter plus d’un. On reste par contre sous le charme de la profondeur de certains instrus : ‘Le Prince et Le Pauvre’ (pas sans rappeler un certain ‘Juvenicide’), ‘Petit Poucet’, ‘Le Juge ment’ ou ‘L’écorcé vif’ sont autant de réussites charmant par leur faculté à faire voyager celui qui écoute, s’inscrivant ainsi dans un registre assez trip-hop, en rupture avec la brutalité d’autres morceaux, tels ‘Le Pervers noël’ ou ‘Guignol’. Différents cris, de corbeaux, d’hystérie ou encore de douleur, émaillent les différents titres. Pourtant, malgré un relatif contraste, le tout jouit d’une cohérence certaine, nous faisant plonger dans ce monde si propre aux contes, où cauchemars et rêves s’entrecoupent souvent. A la différence près que chez Kwal, les histoires ne se terminent jamais bien, le protagoniste de ses récits ayant une espérance de vie plus que réduite.

Le flowde Kwal est à rapprocher d’un autre MC proche de la scène metal/fusion, Djamal de feu Kabal : de la fluidité, des accélérations, des coups de folie où soudain le phrasé prend des formes inattendues. Il y’a aussi cette faculté à faire évoluer sa voix, à changer de timbre pour que l’auditeur mette quelques dizaines de secondes à réaliser qu’il a toujours à faire au même MC. La comparaison paraît encore plus facile quand Kwal est accompagné d’Anubis, seul featuring de l’album, dont la voix rauque et cassée rappelle celle de D, ancien acolyte de Djamal. En poussant un peu, on trouverait même des analogies au niveau des textes et des sons. Cependant, loin de moi l’idée de suggérer que Kwal s’est inspiré du mythique crew de Bobigny, il nous offre ici un produit très original, et c’est uniquement à lui et à ceux qui l’ont aidé dans sa tâche qu’en revient le mérite, indéniablement (pardonnez moi pour cette focalisation kabalistique, je me soignerai, promis).

Alors qu’il envisageait surtout d’attirer les regards et les esprits sur les problèmes de l’enfance dans notre societé, Kwal a réussi bien plus, il nous réconcilie avec le rap français. En effet, voilà un album cohérent de bout en bout (c’est même très dur d’isoler un morceau pour le qualifier de « grand moment du disque »), avec une réelle identité, et qui ne souffre d’aucune lacune majeure, autant ans le fond que dans la forme. La scène « alternative » parisienne, symbolisée par TTC ou la Caution semble s’être fanée aussi vite qu’elle avait éclos, et si la relève venait de Province ? La tortue aurait alors bel et bien rejoint le lièvre…

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