Chronique

Médine
Protest Song

DIN Records - 2013

« Déjà en gestation, prochain album, c’est Protest Song. »

« Arabospritual » (Arabian Panther), 2008

Cinq ans. C’est le temps qu’il aura fallu à Médine pour sortir son cinquième solo. C’est aussi plus de temps qu’il ne lui en aura fallu pour, entre 2004 et 2008, sortir quatre albums – tous de bonne voire d’excellente facture soit-dit en passant. Une attente qui s’explique avant tout par la traversée d’une période de doute et de remise en question, concrétisée par un Table d’écoute 2 qui mettra plus en avant ses confrères de Din Records que lui-même.

Mais depuis un peu plus d’un an, la tendance s’est inversée. Avec la parution de l’ouvrage Don’t Panik coécrit avec Pascal Boniface et l’EP Made In l’accompagnant, c’est Médine qui revient sous le feu des projecteurs. Soignant toujours davantage ses morceaux et leur image (le très bon Made In sera intégralement clippé), il annonçait un Protest Song sous les meilleurs auspices.

Ce nouvel opus est celui du changement, que certains n’attendaient plus et que d’autres devaient redouter. De toutes parts, les horizons s’élargissent. Pas anodine, l’ouverture du havrais à de nouveaux producteurs – Skalp et Blastar – va de pair avec une identité musicale redéfinie, plus accessible. Les nombreux refrains chantés, plus (« Courage fuyons ») ou moins (« Home ») réussis, facilitent l’écoute. De Youssoupha à Orelsan, les featurings qui auparavant se limitaient peu ou prou aux membres de Din Records mènent au même constat, et il y a fort à parier qu’une nouvelle frange du public rap s’ouvrira à Médine dans les mois qui viennent.

Pour autant, sa plume ne perd ni son poids ni sa mesure, elle se délaye. Le discours que l’on connaissait concentré se dilue dans une écriture jamais simple mais simplifiée, et globalisée. Un peu trop peut-être, car l’impression qu’il manque à Protest Song un fil conducteur est tenace. Quiconque a saigné dans les largeurs la discographie du rappeur normand se rendra vite compte qu’il ne s’agit plus ici de ranger les morceaux par catégories, ni de les composer autour d’un symbole commun (l’image de la panthère omniprésente dans Arabian Panther, le répondeur téléphonique récurrent de Table d’écoute…). L’étiquette protestataire apposée au disque est bien présente, mais ne se dégage jamais réellement. Les marques de fabrique habituelles de Médine sont absentes : on ne retrouve ni story-telling historique, ni focus sur un fait d’actualité plus ou moins récent. Si c’est en soi une bonne chose que le MC du Havre ose enfin sortir de sa zone de confort, le résultat ne convainc pas totalement. De concepts éculés (le faux clash de « Blokkk identitaire ») en morceaux moyennement inspirés (« Iceberg » notamment), une petite moitié du disque manque cruellement d’allure et l’on en vient à regretter ce changement de cap pourtant entamé avec une certaine réussite sur Made In. D’autant que les deux morceaux qui en sont issus n’y changent pas grand-chose. Les excellents « Alger Pleure » et « Trash Talking » auraient pu être des titres porteurs, ce qui n’est pas le cas d’un « Le bruit qui pense » somme toute convenu. Et « Biopic », qui fait toujours office de diptyque parfait avec « Arabospiritual », clôt joliment le disque mais peine à retrouver l’efficacité et l’émotion qui étaient les siennes en introduction du EP, lorsqu’il symbolisait les vraies retrouvailles du rappeur avec son public après plus de quatre ans.

Seuls deux symboles purement médiniens survivent. Le nouvel « Enfant du destin », passage obligatoire, en est un. Après les claques assenées par « Petit Cheval » et surtout « Kunta Kinte », deux story-telling quasi-cinématographiques magistralement mis en scène, la barre était placée haut. Mais il faut bien avouer que si « Daoud » est en soi un excellent morceau, il souffre de la comparaison avec ses aînés. À l’image de la pirouette scénaristique qui le relie au « David » de 11 Septembre, il opère un retour au passé – sujet déjà traité, composition moins complexe, musicalité plus linéaire – qui étonne voire déçoit quelque peu. Au vu du talent de Médine dans ce domaine, on était en droit d’en attendre davantage. À l’inverse, la série initiée par « Besoin de résolution » et poursuivie avec « Besoin de révolution » se retrouve sublimée par un « Besoin d’évolution » titanesque. Proof livre ici la meilleure production de l’album, à la fois épique et solennelle, et Médine profite de ses variations pour livrer une performance vocale mémorable.

« À chaque album, en mieux je refais le même. » En 2008, on aurait volontiers acquiescé. En 2013, cette phrase pourtant tirée d’ « Iceberg » paraît immédiatement désuète tant la transition est consommée. Pas un mauvais disque, Protest Song est à la fois le projet le plus et le moins important de Médine. Le moins parce qu’il est qualitativement un ton en dessous de ses prédécesseurs, le plus parce qu’il représente un tournant majeur dans la carrière de son auteur. La provocation de Jihad et les critiques émises à son encontre – démontées peu après dans « Hotmail » – sont loin. Soldat pacifiste dans l’âme, le barbu du Havre a fini de préparer sa guerre et s’apprête à faire la paix. Pour ajouter une ligne au « Portrait chinois » d’Arabian Panther : si Médine était un personnage de Dragon Ball, il serait Son Goku venant de terminer un Genkidama. Suite au prochain épisode.

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