Chronique

Première Ligne
II

Bboykonsian - 2015

« Hé connard, devine quoi ? / C’est les trois emmerdeurs notoires, déter’ comme des Iroquois / Communistes et pro-Pal’, libertaires quand il faut pas / Laisse béton c’est trop sale, on défonce tous les quotas… »

II : on prend les mêmes et on recommence ? Oui, mais à quelques décalages près. La photo est prise au même endroit, mais la nuit a laissé place à la clarté du jour et les blousons ont été troqués contre des tee-shirts et des lunettes de soleil. Sur cette photo, les membres du trio ont permuté : cette fois Skalpel est au premier plan, E.One au milieu et Akye en retrait à gauche. Dans le livret, on relève que Skeez est ici non seulement au mastering mais aussi au mixage. De nouveaux noms de producteurs apparaissent (Tideux, qui signe six instrus, Sismographe, Many the Dog), complétant la liste de ceux déjà présents sur le premier album (Nizi, KaBé Prod, Don Korto, E.One lui-même) ; d’autres ont disparu, dont celui de Saïkness, beatmaker d’Eskicit. Enfin, alors que Première Ligne premier du nom restait focalisé sur le trio, il y a cette fois une poignée d’invités au micro, tantôt côté couplets, tantôt côté refrains.

Mais l’essentiel demeure : du rap hardcore en noir et rouge, politisé jusque dans les inserts vocaux, nombreux, et bien associés aux scratches, qui le sont tout autant (politisés et nombreux). Même l’exercice de l’egotrip a ici de la substance, comme sur « High Cocktail » (dans le même esprit que « Mon style ») et son obsédante voix pitchée. Ces voix, parlons-en : certaines sont poussées jusque dans leurs derniers retranchements, notamment Janis Joplin et Lou Reed martyrisés respectivement sur « Le cap » et « Perfect Day ». Ce sont les plus évidents, car d’autres sont moins faciles à trouver… jusqu’au clin d’œil final (« Did you ever stop to figure what makes this crazy world go round ? »). Musicalement la part belle est donc toujours faite au sampling, gorgé de jazz et surtout de soul. Sur le fond, l’équilibre du discours, ou plutôt les tensions qui le constituent, est grosso modo le même que sur le premier album, là encore avec sa part de variation. On retrouve ainsi les sujets chers au groupe, mais aussi des thèmes qu’il n’avait pas traités frontalement jusqu’ici, en particulier la question écologique sur « Eco-warriors ».

Pas de baisse de rythme ni de panne d’inspiration : on ne s’ennuie pas un instant alors même que le disque frôle les soixante-quatorze minutes sans interlude, le long de dix-neuf pistes et autant de véritables morceaux, un seul passant sous la barre des trois minutes. Pas de baisse de niveau non plus : II est aussi bon et même sans doute meilleur que son prédécesseur, y compris le seul morceau qui se présente expressément comme une suite, « Si tu savais 2 ». Quant à la résignation, si elle menace toujours, elle demeure tenue à distance. Certes plusieurs instrus, comme ceux de « Ghost Dog » ou du maladif « Joker », ne sont pas faits pour rigoler. Les passages qui expriment des moments de doute, de fatigue ou de désenchantement ne sont pas rares. Et si le dernier morceau s’appelle « Demain », il anticipe la fin bien plus qu’il n’est tendu vers le futur. Reste que le ton est toujours aussi révolté, l’opus se révélant même dans l’ensemble plus énergique que son précurseur, plus enlevé, porté notamment par quelques débuts de morceaux qui dépotent (le morceau-titre « II », ou « Posse Cut »).

Seul bémol, des références assez régulières aux armes à feu et autres métaphores explosives qui peuvent lasser. Mais ça ne doit pas empêcher d’écouter attentivement ce qui se dit ici, qui ne se résume pas à quelques clichés pour peu qu’on prenne la peine de s’y pencher sérieusement. D’ailleurs, c’est peut-être dans des morceaux qui choisissent un angle plus oblique pour contester l’ordre établi, comme l’excellent «Personne », dans lequel E.One se met tour à tour dans la peau de personnages ou de figures minoritaires ou stigmatisées, que Première Ligne frappe paradoxalement le plus fort.

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