Chronique

Freddie Gibbs & Madlib
Piñata

Stones Throw Records - 2014

Il y a quarante ans. Quarante et un ans même. Larry Cohen sortait Black Caesar, un long-métrage inscrit dans la lignée de la Blaxploitation. Un peu nanar sur les bords mais servi par une bande-son de feu signée James Brown. Au cœur de cette joyeuse sauterie, il y avait Tommy Gibbs. Un dur à cuire, un insoumis avec une grande bouche et des épaules de lanceur de marteau. Pas le genre à ergoter pendant des siècles, plutôt à vider les dernières cartouches qui resteraient dans le barillet. Fort en gueule mais loin d’être con, Freddie Gibbs est ce genre d’électron libre. Un costaud qui ne compte plus les douilles ni les mixtapes empilées comme des présidents morts.

Son association avec Madlib, le temps d’un album, ouvre deux brèches. Elle fait écho aux albums de duettistes déjà sortis sur le label du maestro Peanut Butter Wolf : les Jaylib, Madvillainy ou dernièrement 7 days of Funk. Mais (Cocaine) Piñata va bien au-delà de la collaboration éphémère. Porté par une imagerie dense, il sert une vraie bande originale. Une version revisitée de Black Caesar. Où Freddie Gibbs occupe le centre du viseur et balance du rap de col bleu. Piñata c’est notamment l’ascension d’un condamné à l’échec fidèle à ses convictions et principes. Originaire de Gary – cité industrielle en crise de l’Indiana -, il a roulé sa bosse et déjà tellement bourlingué qu’on ne lui colle plus d’étiquettes de territoires. Aujourd’hui, il n’est pas plus d’Atlanta que de Californie ou de la Grosse Pomme. Il avance comme un guérillero, en regardant derrière lui avec fierté mais en continuant à filer droit. Sans angélisme ou remords, ni volonté de jouer les porte-drapeaux d’une authenticité en berne. Fredrick Tipton est l’archétype de l’authentique « BNBG » cher à Bunk Moreland : « Big Nigga, Big Gun. »

Renforcé par une équipée de pistoleros digne des Douze salopards, Gibbs vit bien dans l’instant, sans rester trop attaché aux époques. Conforté par les anciens (Scarface, Raekwon) et respecté par les jeunes espoirs confirmés (Earl Sweatshirt, Ab-Soul, BJ the Chicago Kid), il n’est pas dans les canons (sciés) du moment. Mais il en impose toujours. La trentaine à peine entamée, Freddie est un mec de l’ancienne école, qui aime flinguer et cracher du glaviot sur la médiocrité et l’adversité. Pas forcément pour attirer l’attention, plutôt pour se défouler. Sur « Real » il met Young Jeezy sous la lame du barbier, en laissant le blaireau et la mousse au vestiaire. Ça racle sous la gorge et ça met à l’amende…. Mais pas seulement. Sur « Broken », il nous arracherait quasiment une larmichette. À l’inverse sur « Shitsville » il joue le général d’armée prêt à faire couler le sang dans une guerre de tranchées. L’escroquerie et le banditisme font partie des thèmes récurrents de Piñata, comme les pantins de l’industrie, froidement passés au pilori.

« Real bad boys move in silence. » (Boogie Down Productions.)

Impeccable de maîtrise et de technique, Gangsta Gibbs déroule et varie les rythmiques sans sourciller. Comme un vrai caméléon capable de poser sa voix et ses couilles partout. Piñata s’inscrit comme une nouvelle couleur, dans une discographie chaotique et éclectique, où Midwestgangstaboxframecadillacmuzik côtoie Baby Face Killa et ESGN. Mais si Freddie vise juste, on a quand même l’impression de tourner parfois un peu en rond. Maitrisé jusqu’au bout des ongles, Piñata manque d’un peu de folie, d’un bout de hors-piste et d’inattendu pour créer l’étincelle supplémentaire. Dépourvu de gros single immédiat façon « The Red » ou « Shadows of tomorrow », il met son temps à se révéler pleinement, porté par une cohérence d’ensemble plus que par des éclairs immédiats. Ce sont les écoutes et coups de semonce répétés qui font tomber progressivement les sucreries de cette Piñata.

Derrière cet ensemble bigarré au possible et inspiré par la Blaxploitation il y a l’éternel Madlib. Un Madlib qu’on soupçonnerait d’avoir fait un pari : celui de découper le plus d’instruments et rythmiques imaginables pour les coller dans un seul et même album. Toujours orienté vers ces boucles poussiéreuses piochées dans le jazz ou le funk, le loopdigga fait du Madlib. Du déjà-vu mais du cousu main, avec un sens esthétique fort et un grain lo-fi vintage, avec ses coups d’éclat (« Shitsville », « High », « Piñata ») et ses coups de mous (« Harold’s », « Uno »). Piñata ne s’écoute pas. Il se regarde comme on découvrirait sur le tard une vieille VHS devenue poussiéreuse. Où Gibbs endosse le rôle du dur à cuire. Black Caesar. Again.

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