Classique

Suprême NTM
Paris sous les bombes

Jive Epic / Sony - 1995

Paris sous les bombes, troisième album du Suprême, fait indéniablement partie des classiques du genre. Retour en arrière et focus sur un intemporel.

Paris sous les bombes, troisième album du Suprême NTM, fait indéniablement partie des intemporels du genre. Les années écoulées ont affirmé un peu plus l’évidence, en même temps qu’elles ont progressivement élimé le statut de ses auteurs. A l’heure de sa sortie, en 1995, le duo Kool Shen-Joey Starr était pourtant à la croisée des chemins. Le départ brutal de DJ S, membre originel du groupe, associé à ceux de Yazid et Tahar, figures du collectif NTM, tournait une page pour ouvrir un nouveau chapitre.

Un nouveau chapitre marqué par une diversité thématique forte. Mais Paris sous les bombes est avant tout le reflet de son époque, de ses maux et de ses envies. Entres appels à l’insurrection (« Qu’est-ce qu’on attend »), moments plus légers (« La fièvre », « Pass pass le oinj »), portrait de société (« Plus jamais ça ») et récit carcéral (« Est-ce la vie ou moi ? »). Avec ses pulsions jamais démodées (« allons à l’Elysée brûler les vieux« ), ses rêves d’un autre temps (« j’ai pu m’offrir des téléphones sans fil« ), il célèbre également une solidarité consumée aujourd’hui. Sans jamais verser dans le larmoyant (« laissez tomber les mouchoirs, c’est OK, on est toujours là pour foutre la foire« ), ni dans la célébration de fantasmes illusoires. Parfois un poil idyllique (« on venait tous du même quartier, on avait tous la même culture de cité« ), avec une touche d’humour, il se veut fidèle à une réalité.

Mais Paris sous les bombes ne se veut pas seulement authentique. Il se veut une célébration de l’authenticité. Porté par des valeurs directement empruntées aux grands commandements d’un Hip-Hop porté aux nues. Avec ses règles et une radicalité extrême.

Autoproclamé Hip-Hop jusqu’au bout des ongles, avec une intransigeance portée en étendard (« 100% Hip-Hop ou bien dehors« ), il déborde de toutes les références et codes du genre. Du graffiti (le titre et morceau « Paris sous les bombes »), aux scratches récurrents, au beatbox (« Old skool »), jusqu’à la célébration des icônes passées (« Aktuel, Lucien, Dee Nasty, Tecol et Meo« ), le respect pour l’ancienne école et les références aux lieux historiques (« le terrain vague de La Chapelle« ). Rien ne manque. La fierté revendiquée pour le mouvement Hip-Hop (« je crois pouvoir dire qu’on a œuvré pour le Hip-Hop« ), son esprit d’équipe, le Possee – avec les fidèles Psykopat pour donner le change – reste omniprésent, jusqu’à l’outro et son concentré de dédicaces.

Si le rythme se veut « soul, jazzo-funkadélique« , le funk reste l’élément majeur d’une production lorgnant explicitement vers le New-York d’Easy Mo Bee. Celui de Ready to die et de Biggie, références absolues. Porté en partie par LG Experience – frère d’Easy Mo Bee – l’affiliation paraît d’autant plus évidente. DJ Clyde et Lucien composent l’autre partie d’une mosaïque marquée par une unité de ton. En piochant dans la discographie de The Bar-Kays (« Fightin’ Fire With Fire »), Herbie Hancock (« Vein Melter ») ou Grover Washington, Jr. (« The Sea Lion »), ils composent un univers abouti et riche de ses références multiples. Un mélange entre la crasse de l’underground et par moments, un son plus propre, moins gras, à l’image de « La fièvre ».

Mais la grande réussite artistique de cet album réside dans l’alchimie et la complémentarité du duo Kool Shen-Joey Starr. Précis, posé et imagé, Kool Shen apparait tel le yang d’un Joey Starr ambianceur énergique et sanguin, yin rimeur à la voix éraillée et ravagée. Cette fusion fraternelle transparait sur disque comme elle était exposée sur scène. Et l’éclat des grandes réussites de cet album tient dans cette alchimie. Titre phare et symbole absolu de cette fusion, « Qu’est-ce qu’on attend » retranscrit également les frustrations et les ambitions de l’époque. Il était alors avant tout question de retourner le système et d’en décapiter les têtes pensantes. Moins de le rançonner. Autre temps, autre ambition.

Portrait d’une réalité, d’un certain rap français attaché à une approche hardcore comme à l’authenticité de ses racines new-yorkaises, Paris sous les bombes témoigne également du temps qui passe. Tout en restant d’une excellence intemporelle.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*