Chronique

Raekwon
Only Built 4 Cuban Linx

Loud Records - 1995

Quel chef d’œuvre que ce Only Built 4 Cuban Linx… concocté par le chef cuisinier de la rime Raekwon accompagné d’une mixture sonore servie par RZA l’inspiré ! Autant dire tout de suite que rien n’est à laisser sur le coin de l’assiette et qu’il faut aussi compter sur Ghost Face Killer le « guest sommelier » pour servir ses vers à bon flow et au bon moment.

Amuse gueule : ‘Striving For Perfection’, le parfum de l’album est annoncé sur fond de BO de ce qui restera sans doute comme le meilleur film de John Woo : « The Killer ». Rae balance ses mots sages qui tant d’années après sont encore dans toutes les têtes, « Cause I’m not trying to just be, sitting on motherfucking two-hundred thou, and acting like I’ma just be a, a drug dealer all my life, Son. I got bigger and better plans son. » Des tranches de dialogues (parfois issues de films cultes) que Raekwon va distribuer tout au long de son album et qui auront pour fonction de rassembler les titres et créer une parfaite unité à l’ensemble.

Allez hop, on attaque la galette avec ‘Knuckleheadz’ qui donne immédiatement une excellente occasion de réaliser que les coéquipiers Ghost Face Killer et U-God ont de nouveaux surnoms : Tony Starks et Lucky Hands, mais qu’ils assaisonnent toujours bien les mélodies de Bobby Steels (RZA) sur lit de basses fracassantes et de flingues qui claquent. Ghost et U-God notamment débarquent l’un puis l’autre au mic, accompagnés d’un bruit de bagnole qui freine sec… L’action a commencé…

‘Knowledge God’ est le premier track de l’album où Rae s’essaye aux histoires mafieuses. Alors bien sûr le titre débute par des sniffettes qui ont soulevées de nombreuses rumeurs à l’époque, le rôle de composition qu’il endosse dans ce morceau et quelques autres ayant visiblement échappé à plus d’un (au point qu’il éprouvera le besoin de s’expliquer à de nombreuses reprises sur ce sujet). Cette confusion est certainement avant tout dû au fait que le MC détient en son pouvoir d’énormes talents pour construire et conter des récits de gangsters baignés dans un incroyable (improbable?) melting pot culturel. C’est le début d’une nouvelle mode qui paradoxalement aura été à son comble sur cet album précurseur.

« Extravagant, RZA bake the track and it’s militant », voici ce que hurle GFK au mic dans ‘Criminology’ et effectivement nous avons plus l’impression d’être au milieu d’un défilé des Black Panthers qu’a une parade de majorettes entre un échantillon de « Scarface » qui déconne plein pot et la paire GFK-Rae (le « Rap Assassinator ») qui éructe sur un instru samplant le morceau de soul ‘I Keep Asking You Questions’ de Black Ivory et muni d’un beat cinglant qui saute au visage.

Eclaboussant aussi, ‘Incarcerated Scarfaces’, Raekwon y délivrant son fameux « Me and the RZA connect, Blow a fuse, you lose », façon comme une autre de rappeler que la maison Wu n’accepte pas l’échec quand vient l’heure des règlements (de comptes).

Mais, vraiment, qui pourrait nier que les cinq minutes de ‘Rainy Dayz’ sont un pur moment de bravoure Hip-Hop inégalable, inégalé, tant l’ambiance sonore (corbeaux qui croassent, bruits d’orage, de court-jus, grincements, refrain chanté par Blue Raspberry genre soul…) y est oppressante et emprunte de tristesse. Les paroles de Rae et Ghost, évitant la complaisance, se polarisent sur leurs ressentiments dans des situations particulières (enfermés chez eux à cause de la pluie) et explosent tous les clichés du genre. C’est ce que j’appellerais la deuxième face des rappeurs du Wu. En effet ceux-ci sont capables de passer d’un titre purement ego-trip ou personnel à une fiction bien ficelée sur la mafia par exemple. Dans cet album, Raekwon ne me contredira pas, servant en fin de repas un ‘Spot Rusherz’ 100% mafieux entre deux tranches de drague (‘Wisdom Body’ et ‘Ice Cream’).

Côté ego-trip il y a le choix mais prenons surtout garde à l’empoisonné ‘Guillotine’ servi sur un beau plateau sonore (avec, entre autre, un de ces fameux sample de Kung Fu flicks qui firent la renommée du Wu-Tang Clan lors de la sortie de leur premier album). Rollie Fingers (Inspectah Deck) et Genius viennent squatter la cuisine pour injecter quelques violentes rimes dans l’habituel gratin ego-trip farci de métaphores des maîtres du genre Ghost et Rae.

Le remix de ‘Can It Be All So Simple’ est au moins aussi délicieux que la première mouture, GFK dédicace celle-ci entre autre aux « men who build pyramids », et pourquoi pas. Nas (Escobar pour l’occasion !) invité sur ‘Verbal Intercourse’, rappe sans faute de goût. On comprend l’enjeu en se replaçant dans le contexte de l’époque, il est l’un des premier sinon le premier rappeur non affilié au Wu-Tang à pouvoir faire ses preuves sur un album du Clan (qui à l’avenir sera moins sectaire).

Raekwon s’incline deux minutes, le temps d’un track (‘Wisdom Body’), pour laisser GFK et sa tchatche embrouiller les demoiselles sur un instru pas ramollo du tout. Il réitérera ce genre de baratin homme à femme sur son opus perso (‘Wildflower’) mais sur le ton du mec venant régler ses comptes avec sa pineco qui le trompe… propos plus épicés, beaucoup plus épicés…

Mmmmh, voici l’incontournable (et tellement attendu !) moment du dessert. « I scream, you scream, we all want Ice Cream !! » Method Man pose un refrain « afrodisiaque » et finit le titre avec quelques paroles en français et italien pour un jeu de vocabulaire sur la confusion des langues sur lequel Jim Jarmush jouera aussi dans son « Ghost Dog » de façon plus imagée. Deux plans montrant successivement le glacier français dire qu’il est « nul en langue » puis la petite Perline en train de lécher sa boule de glace. Certainement la reprise de l’instru d »Ice Cream’ dans le film quelques scènes auparavant n’est pas un hasard. Le refrain même d »Ice Cream’ rappellera des choses à ceux qui ont vus « Down By Law » du même réalisateur ! L’histoire de trois gars qui se retrouvent en prison… La cerise au top de la chantilly, l’intervention mémorable de Cappachino (aka Cappadonna) qui vient sucrer la vedette à Ghost et Rae.

Pour finir, LA BOMBE ! ‘Wu Gambinos’, performance de 6 minutes sans vrai refrain avec la crème de la crème. Bouquet final de Meth, Rae, RZA, GFK sur un son obsédant, un beat et des notes de piano qui tombent drues par dessus une mélodie brillante. Le grand jeu quoi !

Pour digérer tous ces tracks denses et aux beats extra-loud rien de tel qu’un petit digestif : ‘Heaven & Hell’ et ‘North Star’ porté par un sample smooth de Barry White. Le rythme ralenti, les voix se font moins agressives, on laisse glisser pépère jusqu’au bout de l’album… Jusqu’à la dernière goutte.

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