Classique

Gang Starr
Moment of Truth

Chrysalis Records - 1998

Le moment de vérité. Guru & Dj Premier devant le tribunal du Hip Hop, l’image n’est pas anodine. Moment of truth arrive à un moment particulier du parcours du groupe. On les connait en effet comme les « pionniers » du hip-hop à base de jazz avec quatre albums à intervalle régulier au son particulier et significatif. En 1998, la situation est différente. Le groupe n’a pas sorti d’album depuis Hard to earn en 1994, le hip-hop a beaucoup changé surtout avec l’impact du Wu-Tang et de superstars comme Biggie et 2pac qui sont descendus aussi rapidement qu’elles sont montées. Les thèmes ne sont plus les mêmes, la musique a évolué, la formule du début des 90’s n’est plus d’actualité, Gang Starr doit se réinventer.

Gang Starr a toujours été un laboratoire pour Dj Premier, il développait souvent sur un album entier le son qu’il cisèlerait dans les années suivantes à travers son carnet de commandes très chargées. L’histoire du groupe est indissociable de l’évolution du son de Preemo. Même si Guru, son discours et sa voix si particulière sont le cachet, les productions de Premier reste l’enveloppe et le contenu global. Hors entre 94 et 98, Premier travaille avec les plus grands et les plus influents de Nas à Jay-Z en passant bien sûr par Notorious BIG, Fat Joe, KRS One, Rakim… Il est incontournable et représente vraiment le son de NYC aux yeux du monde entier. Donc quatre ans après leur dernier album, avec une telle renommée et aucun album produit en intégralité depuis le Wrath of the math de Jeru, Premier est attendu au tournant. Et le groupe prend alors le parti pris de se remettre ouvertement en question en faisant de cet album leur profession de foi, clairement tourné vers une nouvelle formule, un son marqué qui développera la marque Primo de la fin des 90’s.

L’album commence direct avec une explication de Guru sur les innovations et les mises à jour du groupe, suivi par le premier single diablement efficace ‘You know my steez’ et son clip reprenant la thématique de ‘THX 1138’ de Georges Lucas. La formule Primo plus rythmique, dépouillée, saccadée et puissante qu’à l’accoutumée, est maintenant reconnaissable parmi des millions. La cohérence est vraiment impressionnante, chaque morceau trouvant sa place, développant son propre univers et ajoutant sa pierre à l’édifice. Guru n’est pas en reste même si son talent n’est bien sûr pas au même niveau d’influence que celui de Primo. Il assure son job tranquillement, toujours proche de ses thèmes de prédilection, hip-hop dans l’âme, on ne le changera pas. Ce discours peut souvent paraître réducteur mais il représente exactement ce que Gang Starr est pour le public et ses pairs, une institution, une référence, quelque fois figée et conservatrice mais toujours en quête de changement et de renouvellement. La définition même du hip-hop.

Bien sûr, Guru est accompagné de nombreux invités sur cet album, ce qui était moins le cas sur les albums précédents. On retrouve la clique habituelle autour du groupe même si elle a un peu changé. Exit Group Home et Jeru, la nouvelle génération de la Gang Starr Foundation comprend Big Shug et Freddie Foxxx sur le maintenant archi-classique ‘The militia’ mais aussi les plus ou moins affiliés à cette époque comme les explosifs et intègres M.O.P, fidèle à eux mêmes. Ou encore le très bon Krumb Snatcha sur ‘Make Em Pay’ (la même année que ‘Closer to god’) et le futur Bad Boy G-Dep pour un shopping efficace sur ‘The Mall’. Un album de Gang Starr est comme d’habitude une affaire de potes même si pour le coup, ils éclipsent les passages moins flamboyants de Guru. Surtout lorsque deux invités de choix s’ajoutent à la bande de copains : Inspectah Deck représente le Wu-Tang, alors tout puissant, avec un couplet extraordinaire sur ‘Above the clouds’ et Scarface assure un duo de vétérans sur le mélancolique ‘Betrayal’ et un sujet classique pour le parrain du Sud : la trahison. Sûrement deux des meilleurs tracks de cet album dense et complet.

D’ailleurs cet album peut paraître un peu trop long. Le disque dépassant les 78 minutes, quelques tracks en moins, peut être pas forcément indispensables, auraient pu alléger le tout, le rendre un peu moins redondant dans le discours, surtout pour un public pas forcément séduit par le ton souvent monocorde de Guru. Mais pas de déchets sur cet album, les basses, les refrains scratchés et les batteries devenues classiques de Preemo s’enchaînent avec une facilité et une disposition de maître. Bien sûr Premier prend le dessus comme sur chaque album de Gang Starr mais il sait s’effacer et rendre le MC meilleur comme un vrai producteur, avec une vraie vision de la musique. Et le son qu’il a développé sur Moment of truth est peut être celui qui a le plus influencé le rap new yorkais de cette époque ainsi que tous les backpackeurs du monde entier qui freestyleront sur ses beats jusqu’à la lie. Cet album porte cette marque rugueuse et inimitable malgré les milliers de contrefaçons. Moment of truth représente vraiment le son du Hip Hop en 1998 ou plutôt le son du futur en 1998. Il est une preuve vivante et toujours d’actualité qui ne prend pas une ride, un pari de remise en question réussie, une évolution majeure du hip-hop, une pièce maîtresse.

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