Chronique

Moïse the Dude
Dudelife

2016

Négligemment vêtu, chevelure et barbe hirsutes, bedonnant, Moïse The Dude dans son clip « Le son de l’inquiétance » ressemble à une incarnation physique de son album. Dudelife est son premier long format en solitaire, après avoir passé des années au sein du Bhale Bacce Crew, puis s’être échauffé le temps de quelques EP’s. Sur douze pistes, il traîne sa tranquillité, ses quelques dents en or et un ballon de basket. Il est vêtu parfois d’un peignoir, d’autres fois d’un survêtement trop large pour les cent kilos qu’il dit porter fièrement. De Dudelife se dégage une torpeur trompeuse, une lenteur menteuse. Car si l’allure de Moïse a quelque chose de négligé, si sa diction est somnolente par moments, il n’en reste pas moins un artiste consciencieux, et surtout un rappeur à la personnalité de plus en plus affirmée. Il a beau se laisser aller, il sait où il va.

Ce Dude n’est pas qu’une transposition, en musique et en français du personnage des frères Coen. Il y a une part de cela, un flegme évident et une décontraction enviable. Mais il y aussi une volonté de réussir, d’aller de l’avant. La dudelife racontée ici n’est pas celle d’un flemmard infoutu de construire quelque chose. C’est celle d’un type trop désireux de ne pas passer à côté de sa vie pour la perdre à la gagner. Le temps est trop précieux pour ça, et Moïse The Dude fait la part des choses. Alors plutôt que de se lamenter sur ce qu’il exècre, de broyer du noir sur un canapé pourri, il met en musique les lieux qu’il affectionne, la femme à qui il fait l’amour et l’art du chill.

Aussi les voyages sont-ils un thème central de Dudelife. Ils ne sont pas nombreux à vrai dire, en dehors de ce savoureux périple texan que constitue le morceau « Lone Star », où Mo’ dépeint le lone star state sous ses couleurs les plus fantasmées. Les autres voyages de Dudelife sont moins lointains. Ils ressemblent davantage à des road-movies le long d’une voie ferrée, à la Stand by me qu’à de grandes expéditions. Et l’imaginaire s’y développe, les panneaux publicitaires des petits restos sur les routes nationales se parent de grands néons comme aux Etats Unis. Les gradins du Toyota Center des Rockets entourent un triste playground de l’Eure et Loire. Chartres, Chateaudun et Etampes deviennent Houston, San Antonio et Austin, non sans poésie. C’est l’excellent titre « La Merco du daron » et sa production signée Holos Graphein, qui incarnent le mieux cet état d’esprit, une balade estivale à rêvasser sur les routes de province française au volant d’une belle allemande un peu vieillote. « On roule peinard, paté, pinard, loin de Paname, panard. On fait l’amour, pas la bagarre, » déclame le Dude.

Un Dude qui se distingue également par ses références, précises et appréciables. Pour ce qui est du rap, Moïse est ouvert d’esprit, et s’il dit être « plus Doggystyle que Illmatic, » il n’en reste pas moins qu’il a digéré des années de rap new-yorkais, et qu’il s’est pris le rap du sud en pleine tête comme le reste du monde. Son pseudonyme n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de Devin The Dude, figure majeure du label Rap-A-Lot, dont le français est un auditeur féru. Son admiration pour la scène texane le pousse d’ailleurs à passer Michel Polnareff sous les ralentisseurs si chers à DJ Screw et à citer la boutique Records and Tapes au détour d’une rime. Tout cela ramène l’album à une espèce de chaleur un peu humide, parfaitement incarnée par le morceau « Palmtrees » et son beat ultra synthétique (Corrado), à écouter cheveux au vent de liberté, bouteille de rosé en main et Ray Ban Aviator sur le nez.

« Je traîne ma fonce-dé naturelle dans les couloirs d’une vie normale, » écrit Mo’ dans le morceau éponyme à l’album. C’est là un résumé efficace de l’atmosphère du disque. La défonce naturelle est celle d’un trentenaire pas tout à fait lobotomisé par son époque, encore rêveur et voyageur, sans recours aux substances. Les « couloirs d’une vie normale » paraissent eux trop étroits pour la corpulence du Dude, qui refuse définitivement la routine métro-boulot-dodo. Lui qui porte le nom du premier prophète de L’Ancien Testament rejette tout aussi formellement les dogmes, les religions et leurs cloisons, au long de son projet. C’est un album de rap aux allures gainsbouriennes que livre Moïse The Dude, Dieu y est un fumeur de pétards, la muse une femme renarde, et l’artiste un amoureux de peinture.

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1 commentaire

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  • JM,

    Des frères coen ( sans h).