Chronique

MF Doom
MM… Food

Rhymesayers - 2004

Rien ni personne ne semble pouvoir rassasier l’appétit vinylique gargantuesque du schizophrénique MF Doom. Non content d’avoir déjà sorti trois longs formats lors des dix derniers mois (l’imparable Madvillainy avec Madlib, Special Herbs and spices vol.1 avec MF Grimm, plus mitigé, et Venomous Villain, suite (indigne) du premier épisode des aventures de Viktor Vaughn) et poursuivi la série des Special Herbs, MF Doom termine l’année en relevant un nouveau challenge, pour le moins ardu. L’autoproclamé sauveur du Hip-Hop s’apprête à donner une suite officielle au supra-classique Operation Doomsday sorti pour la première fois sur Fondle’em il y a cinq ans. Précédé d’une première mise en bouche sonore appétissante (le très bon Hoe cakes / Potholderz), voici le plat de résistance, MM…Food, servi sur un plateau par Rhymesayers, nouvelle terre d’accueil pour cet électron libre aux multiples alias. Le label New-Yorkais rajoute au passage une nouvelle flèche de choix dans un carquois déjà particulièrement bien fourni (Atmosphere, Eyedea & Abilities, Micranots, …).

Un coup d’œil furtif sur le titre, l’intitulé des différents morceaux, la pochette (œuvre de Jeff Jank A.K.A Captain Funkaho, graphiste de Stones Throw), associé au goût prononcé et assumé de Doom pour le décalage, tout semblait indiquer que MM..Food serait un nouvel album conceptuel, avec la bouffe comme thème majeur. Fausse piste puisqu’en dehors de quelques punchlines et analogies, les thèmes abordés par l’ex-KMD sont multiples ; oscillant entre classiques récits sur l’amitié, la gente féminine, les plaisirs éthyliques et cannabiques et une fine observation de la société américaine. Le tout est soutenu par une multitude de références aux comics et artistes américains de tous bords, et bien entendu un égotrip de premier choix, l’occasion de passer au pilori les éternels wack MCs ; logique, puisqu’après tout on est toujours le wack MC d’un autre. Toute l’originalité (et le talent) de Doom réside dans son étonnante capacité à porter un regard différent sur le banal, avec lucidité et cynisme. L’humour déjà omniprésent sur les deux premiers albums de KMD (Mr Hood et Black Bastards) est une nouvelle fois de la partie. Il se fait grinçant et tranchant quand il s’agit d’évoquer la réalité du rap game : « Is they rhymers or strippin’ males, outta work jerks since they shut down Chippendales », (‘Beef rap’), « If I had a dime for every rapper that bust guns, I’d have a mill for my son in trust funds » (‘Rapp Snitch Knishes’). A vrai dire, on pourrait multiplier à souhait les citations et vanter l’écriture de ce profond solitaire revenu du néant. On se contentera juste de rappeler ce commentaire donné il y a plusieurs semaines dans une interview au (très recommandable) Spin, à propos du peu de vocabulaire de la plupart des rappeurs : « Les gars utilisent toujours les cinq même insultes. Enlève les mots « merde », « pétasse », « meurtre », « nègre » et « tueur » et ces putains de disques seraient des albums instrumentaux ».

« Enough about me, it’s about the beats, not about the streets or who food he about to eat. »

Bien calé derrière son séquenceur, le docteur Doom endosse la toque du cuisiner en chef et concocte à lui seul la quasi-totalité des productions de son album. Son savant mélange d’une kyrielle de sonorités non-identifiées, un rien kitsch, et de multiples extraits de séries télévisés et comics donne un ensemble atypique, tout à fait dans les lignées des ambiances plébiscitées par Viktor Vaughn le désaxé. La boucle étant encore loin d’être bouclée, il laisse le soin à Count Bass D et Madlib de produire respectivement l’excellent ‘Potholderz’ et le bon ‘One Beer’, et à PNS (Molemen) de recycler la boucle de ‘Yee Haw’ pour une vraie fausse nouvelle composition intitulée ‘Kon Queso’. Belle escroquerie. Dans l’ensemble, la mosaïque finement composée par MF Doom et consorts a plutôt fière allure, et ce même si le producteur/MC masqué use et abuse de ses longs extraits de séries, qui finissent plus par s’apparenter à une forme de remplissage qu’à de véritables interludes liant l’ensemble.

Si MM…Food ne tient évidemment pas la comparaison avec son prédécesseur, il demeure toutefois particulièrement jouissif par instants, porté par un emceeing de haut vol et plusieurs productions inspirées. Quelques ombres viennent bien noircir le tableau, donnant à l’ensemble un certain goût d’inachevé, d’inabouti ; mais aussi frustrantes soient-elles, elles n’empêchent pas de considérer MM…Food comme l’une des bonnes sorties d’une année 2004 riche en agréables surprises. Et pour conclure sur Doom, gageons que les rumeurs l’annonçant préparer un album avec Ghosftace soient belles et bien fondées. Auquel cas, 2005 s’annoncerait d’ores et déjà rayonnant…

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