Chronique

KutMasta Kurt
Masters of Illusion

Threshold Records - 2000

Pour beaucoup, KutMasta Kurt restera surtout le fidèle lieutenant de Kool Keith pendant les meilleures années de la carrière solo de celui-ci. Celui qui participa au mythique Dr. Octagon, qui donna ces sonorités organiques si caractéristiques des lugubres Dr. Dooom ou Sexstyle. Qu’importe ses nombreux remixes pour diverses pointures, les productions de « Work the Angles » pour Dilated Peoples ou « Enth E Nd » pour Linkin Park. Qu’importe le pourtant excellent Masters of Illusion. Il faut dire que pour le premier projet drivé par lui tout seul, Kurt a eu l’idée d’inviter son cinglé de mentor sur la large majorité de l’album. Pas l’idéal pour sortir de son ombre.

A écouter l’acide intro « Figment », à voir l’artwork et les vidéos tirées du disque, Masters of Illusion semblait devoir être un album conceptuel. Sans que ces nouvelles identités ne fournissent un véritable fil rouge à l’œuvre, Keith et Motion Man, autre MC invité, sont ainsi devenus pour l’occasion Keith Televasquez et Clifton Santiago, des gangsters latinos. Kurt quant à lui porte toujours son masque de luchador mexicain, plus que jamais de circonstance. Pour les ambiances muy caliente par contre, il faudra repasser. Certes, on ne renoue pas ici avec les atmosphères glauques et glaciales des collaborations entre les double K, mais les instrus proposés n’inspirent pas non plus la joie. Si pour les projets de Kool Keith, Kurt a fait l’effort de s’adapter à l’univers de son camarade, il est ici le seul maître à bord et l’orientation est sensiblement différente. Les breakbeats sont plus dynamiques, les samples d’instruments à cordes remplacent les synthés, les sinistres boucles de piano sont moins présentes. Une véritable patte du Funky Redneck se dégage, sombre et nerveuse, donnant à l’album des allures de BO de film noir. Ingrédients indispensables, les scratches sont assurés par les meilleurs en la matière, les DJs Revolution, Rhettmatic et Babu.

Au micro, la paire Kool Keith/Motion Man envoie du lourd. Originaires de zones complètement opposées (le Bronx et la Bay), les deux sont toutefois aussi cintrés l’un que l’autre, mais dans des registres distincts. Le premier est hyper-agressif et complètement parano, le second moins frontal et encore plus décalé que son collègue. Les deux partagent un intérêt certain pour les textes complexes et abstraits, dont une partie du sens échappe au commun des mortels. Le costume de gangsters s’avère vite trop serré pour le duo, qui revient rapidement à ses premières amours : médire sur les confrères MCs et étaler une perversité fièrement assumée. Le côté héros de cartoon pour adulte dérangé développé par les rappeurs colle parfaitement avec le volet sonore de l’album. Très bien servi par ses habituels compagnons, Kurt s’est du coup refusé à inviter d’autres intervenants au micro.

La force essentielle de Masters of Illusion tient en son homogénéité. Pas vraiment de temps morts, mais une ribambelle de morceaux marquants éparpillés sur toute la longueur de l’opus. On citera parmi ceux-là le tonitruant « U Want Freestyle ? », l’inquiétant « Scared Straight » ou encore l’explosif « Urban Legends ». Mais surtout les deux morceaux « clippés », « We All over » et « Let Me Talk to You ». L’instru du premier est une merveille, oppressante et remuante, fournissant une parfaite introduction au projet. « Let Me Talk to You » constitue en revanche une conclusion à l’album très laid-back et mélancolique, dans un registre quelque peu inattendu.

Le succès de Masters of Illusion fut relativement modeste. Il demeure en tout cas un moment charnière dans la carrière de KutMasta Kurt. Le beatmaker connut encore quelques heures de gloire par la suite, avant de se faire de plus en plus discret. Alternant périodes de froid et de rabibochage avec Kool Keith, il signa encore deux albums en collaboration avec son compère de toujours, Diesel Truckers en 2004 et Dr. Dooom 2 en 2008. Ces œuvres constituent presque les seuls évènements de la carrière de Kurt ces sept dernières années, et tout ce qu’il y a à retenir de celle de Keith durant la même période. Comme si l’un ne pouvait définitivement plus fonctionner sans l’autre.

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