Chronique

MC Jean Gab'1
Ma vie

Doeen’ Damage - 2003

Un album. Une vie. Celle de MC Jean Gab’1, celle d’un néo-rappeur vétéran passé de la Ddass à la prison en passant par les Requins vicieux, les braquages et autres péripéties sur lesquels le monsieur s’est toujours montré prolixe. Aujourd’hui encore. A la différence qu’il s’exprime désormais sur disque – à défaut d’écrire un livre – pour un résultat qui transpire à la fois d’humanité, de rage, de tendresse et d’amertume. Une vie d’être humain en somme, racontée, interprétée et mise en musique de la plus belle des manières, dépassant le cadre des confidences intimistes qui auraient eut leur place dans un journal intime pour prendre une dimension nouvelle à laquelle chaque auditeur est à même de se montrer sensible.

Après une intro sans grande envergure ayant néanmoins pour mérite de donner la parole aux détracteurs de ‘J’t’emmerde’ comme à ses plus ardents partisans, la première phrase claque comme un coup de fouet sur le postérieur des acteurs les plus en vue du petit monde du rap français : « Certains m’appellent le nettoyeur, mais j’opterais pour l’fossoyeur car j’aime remuer la merde« . Les dernières intonations du rappeurs, à l’inverse, sont une caresse à l’intention de ses filles, le pansement des mots sur des plaies encore ouvertes : « Elles me manquent, j’ai de l’amour pour elles. Elles ne sont que les victimes d’un jeu sans rime ou la souffrance prime. Et je n’peux pas crâner, c’est avec mes tripes que je m’exprime. Elles sont loin de moi et je me sens emprunt d’elles. La vie continue… »

Entre les deux, une leçon d’homogénéité et de sincérité, tout en nuances et paradoxes, pour une qualité qui ne retombe qu’une fois les 15 pistes achevées. Et curieusement, alors que la personnalité de Gab’1 reste omniprésente et n’a aucune difficulté à s’imposer dans ce solo sorti de nulle part, c’est d’abord la qualité de la production qu’il faut saluer, et tout particulièrement Ol’Tenzano qui se charge de 12 des 15 pistes. Celui-ci, à l’image du travail remarquable qu’il effectue au sein de son groupe Less du Neuf, a su répondre à l’univers particulier de Gab’1, à mi-chemin entre les blousons noirs et le monde du rap. Au final, une superposition de sons comme il sait en produire pour un résultat toujours agréable à l’oreille et en lien direct avec les paroles, s’offrant un clin d’œil à Trust pour ‘anti…’ avant de faire ressortir toute l’émotion de la ‘lettre à mes fleurs’ sur une mélodie au piano s’accordant la liberté de passer outre le beat pour suivre MC Jean Gab’1 dans son texte parlé. Le reste est du même acabit. Les deux productions d’Hématome flirtent même avec la perfection, de l’ambiance oppressante de ‘Donjon’ à l’incrustation d’une phrase d’Otis Redding dans la construction même du beat de ‘Désillusion sur l’historique’. Yvan quant à lui, invité à produire un titre, s’aventure dans un exercice de style plutôt réussi sans être exceptionnel, en faisant évoluer l’instru ‘d’une journée sans fin’ au fil des péripéties de l’histoire.

Restait à savoir comment Gab’1 allait s’en sortir pour nous tenir en éveil sur tout un album. En effet, pour narrer le récit de sa vie, il ne s’encombre pas d’invités superflus : seulement deux featurings sont à dénombrer. Less du Neuf dans un premier temps, pour un morceau énergique et déterminé, et en fin d’album un refrain chanté de Cameron dont l’émotion parait trop factice face au timbre sincère et sans artifice de Gab’1. Le reste du temps, MC Jean Gab’1 se retrouve seul avec lui-même. Et surprise, il assure une prestation intéressante au micro, bien meilleur que lors de ses quelques apparitions sur mixtapes et compilations, comme s’il avait attendu d’avoir quelque chose qui lui tienne vraiment à cœur pour lâcher du style. Modelant sa voix et son débit à partir d’un phrasé souple et narratif, il s’offre au passage quelques refrains énergiques bien venus. Évidemment, nul prétention dans ses intonations de Titi Parisien, bien éloignées des modèles de flow « à l’américaine », mais ses lacunes techniques ne sont d’aucune conséquence tant son charisme et sa verve nous tiennent en haleine.

Il est vrai, certes, qu’un morceau comme ‘OCB’ n’a rien de particulièrement intéressant dans le fond, comme tout egotrip plein de gimmicks. A l’inverse, les réflexions tenues dans ’33 comme l’autre’, au sujet des religions, souffrent quant à elles d’être tronquées, trop implicites, comme s’il n’avait pas osé approfondir ses pensées jusqu’au bout. Mais au final, cela importe peu et on ne se surprend nullement à vouloir zapper ces quelques titres en demi-teintes, car ils font partie intégrante d’un ensemble qui trouve sa cohérence dans sa globalité, soulevant des paradoxes et des questions, redonnant toute sa dimension à l’humain.

C’est un Gavroche ce Gab’1, à l’image d’un Renaud, étiqueté « chanteur énervant » à l’époque, amoureux de ‘Paname’ sur un air d’accordéon lui aussi. Un gavroche passé derrière le micro, qui livre un album entier pour un rappeur entier. Tin tin tin.

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