Chronique

Freeman
L’Palais de Justice

Delabel - 1999

1998, âge d’or du rap français. Le secteur Ä, IAM et NTM sont les héros d’alors. Les tubes s’appellent ‘Les meufs du Showbiz’, ‘L’indépendance Daye’, ‘Petit frère’. Sur M6, Capital filme les nouveaux riches du rap avec un œil avide (« Passi, ça te fait quoi d’avoir un bureau ?« ). Aux Victoires de la Musique, IAM déboule cagoulé pour interpréter ‘Independenza’. Drucker, pour détendre l’atmosphère, y va de son commentaire footballistique et sa tape sur l’épaule paternaliste. Les signatures en major se multiplient, les disques d’or pleuvent. Du moins on y croit très fort.

1999. Rude retour de bâton pour ceux qui sortent leur disque un an trop tard : D. Abuz System, La Clinique et Def Bond échouent sur le mauvais versant de la courbe économique du rap à la française. Freeman, lui, sort son premier (et unique) album, L’Palais de Justice en mars. Pour l’ancien danseur d’IAM, le timing est parfait : le groupe vient de connaître son apogée artistique et commerciale avec L’École du Micro d’Argent. Shurik’n, Khéops et la Fonky Family cartonnent, mais la partie est loin d’être gagnée pour Malek Sultan. La raison ? Simple : il n’est pas un rappeur. Connu pour ses interludes rigolards sur les deux premiers IAM, Malek devient Freeman en 1997 et se convertit à la rime le temps d’un morceau, ‘Un bon son brut pour les truands’. Pas inoubliable, son couplet lui permettra tout de même d’ériger l’un des derniers mystères du rap français : la mystification du Twix. Pourtant, de morceaux prometteurs (‘Mauvaise graine’ dans Hostile Hip-Hop 2) en apparitions réussies sur les albums de Shurik’n et Kheops (« Si j’avais su combien un père est cher je l’aurais jamais déçu« ), le timbre méditerranéen de Freeman se fait familier. En plein boom de la révolue « Norme Marseillaise », l’album sort, le succès est au rendez-vous.

La réussite de c’Palais de Justice tient en une chose : l’esprit de famille. Pour sa première sortie, Freeman n’est pas seul. Hors du posse-cut ‘C’est notre hip-hop’, les invités ne sont pourtant pas légion – seuls Oxmo et Pit Baccardi font l’aller-retour Paris/Marseille – mais les Turntables Dragunz (les Dj’s Ralph, Majestic et Sya Style) vont habiller l’album de scratchs fameux, piochés dans les couplets passés de Shurik’n, Akhenaton ou Faf La Rage. Même chose pour les interludes, étonnamment repris dans Ombre est Lumière et Métèque et mat. L’auditoire d’IAM ne peut pas être dépaysé. Côté production, Akhenaton et Imhotep se taillent la part du dragon. Sans surprise mais terriblement homogène, l’édifice sonore construit pour Freeman lui évite tout piège : au milieu des pianos et des violons, Malek est en sécurité, et peut s’exercer à l’écriture, un processus qu’il mentionne fréquemment et que l’on devine besogneux (à propos de la musique : « les paroles manquent pour elle, chienne« ).

Bien sûr, si on le compare à Où je vis – sorti un an plus tôt – ou Métèque et mat, le long format du Sultan ne tient pas la distance. Freeman n’a ni la froide lucidité d’un Shurik’n, ni les 361 degrés thématiques d’Akhenaton. Les formules sont parfois maladroites et on retient plus facilement les images curieuses (« Chaque renard porte sa queue à sa manière et ça dérange ») que les véritables trouvailles textuelles. Pourtant, la sincérité du personnage et sa bonne complémentarité avec K-Rhyme le Roi, invité permanent de l’album, lui permettent de sortir la tête haute de ce disque-marathon (77 minutes et 59 secondes au compteur). Penché sur ses racines, Freeman donne le meilleur de lui-même quand la musique s’enrichit d’influences maghrébines : l’émotion affleure de ‘Bladi’, avec la voix de Khaled, et d’un ‘voile du silence’ poignant. Il dévoile également une facette plus sombre et torturée en trois actes : ‘Cracher du sang’, ‘Je ne sais pas comment vivre’ et ‘La Terre n’est pas mon chez moi’, sur une production diabolique d’Akhenaton. Avec ce sens péplumesque de la mise en musique – l’intro est excellente – l’album ne dépareille pas de l’imagerie IAM, et c’est tout ce que l’on en attend.

Lourdement critiqué, parfois injustement, Freeman aura eu à la fois la chance et le handicap d’avoir pour collègues deux des meilleurs rappeurs de l’Histoire. Son arrivée soudaine, à une époque où les yeux étaient rivés sur le groupe, l’a privé de cette crédibilité réglementaire sur la scène rap, tout en lui permettant d’obtenir une visibilité particulièrement enviable. Sept ans après sa sortie, L’palais de Justice s’écoute avec un plaisir intact et, déjà, un peu de nostalgie, même s’il représente tout ce qu’il convient de moquer dans le rap hexagonal : cette contrariété permanente édictée sur des instrus sortez-vos-mouchoirs. Le temps passé témoigne pourtant de sa force, à une époque où l’utilisation des samples est devenue un luxe, et où l’on confond mélange des genres et tambouille indigeste – cas d’école : Soldats de Fortune. Avec L’palais de Justice, Freeman offrit lui une œuvre humble, monochrome et uniforme. En un mot : respectable.

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