Chronique

La K-Bine
Légitime défense

BBoykonsian - 2009

C’était à craindre : la K-Bine est devenue centriste. Exposition médiatique permanente, promotion publicitaire tous azimuts, sponsorisation acharnée, ventes phénoménales, profits faramineux… Dans ces conditions, comment le groupe aurait-il pu maintenir son cap ? Adoptant une ligne désormais plus proche de la social-démocratie blairiste que de la CNT, Légitime défense est une succession de concessions textuelles et musicales, d’hymnes au libéralisme décomplexé, d’appels pacificateurs, d’encouragements à la marchandisation, de…

Hum. Trêve de plaisanterie. « Sous prétexte que les temps sont durs, je vais pas devenir un connard apolitique…« . Loin de tout affadissement, le deuxième album du groupe d’Aulnay est évidemment un brûlot hardcore. Plein à craquer (72 minutes), ce monolithe militant démarre sur les chapeaux de roues avec une « Intro » qui est en réalité un morceau à part entière, mettant d’emblée les points sur les i. Toute la suite est à l’avenant avec une intensité égale de bout en bout. Derrière le disque, un micro sur fond d’étoile rouge et un slogan, « résister c’est vaincre », et des titres qui parlent d’eux-mêmes.

L’originalité du groupe tient bien sûr d’abord au caractère atypique des textes, qui traduisent un engagement révolutionnaire constant et conséquent, à la fois attentif au passé (le groupe connaît ses classiques, qu’il s’agisse d’événements ou de figures mythiques) et tourné vers l’avenir, avec un mélange d’espoir combatif et de lucidité désabusée. Mais l’album est aussi une défense du sampling, qui constitue l’essentiel de la texture musicale. Bien que passées à la moulinette de productions rentre-dedans, les influences soul sont marquées, que ce soit par les échos de voix pitchées (on reconnaît la patte de Saikness d’Eskicit sur ‘Pas l’ami de tout le monde’) ou par les boucles. Pas mal de cuivres (‘Mémoires des luttes : chapitre 1’ dégage une ambiance de champ de bataille après l’affrontement), un peu de guitare (acoustique sur ‘La solidarité est une arme’, électrique sur ‘Lucides’, dont le riff et le beat semblent piocher dans le rock des années 1980 – mais bizarrement c’est un compliment), mais aussi du xylophone (‘Exil’). En majorité assurée par Izmaël et Pizko Mc, la production est carrée et efficace. Les premières mesures de ‘Le calme avant la tempête’ par exemple, mêlant un extrait de film et des cordes plaintives, lance idéalement le morceau. De même que le sample du morceau suivant, ‘Révolte populaire’, qu’on devine tiré d’un chant révolutionnaire.

Un gros regret quand même : l’absence totale de scratches. Non seulement ils auraient pu donner une autre ampleur musicale au disque, mais ils auraient aussi réaffirmé, conformément au souci du groupe, la spécificité de l’identité sonore de cette musique. On se prend donc à « compléter » cette lacune en casant mentalement quelques cuts de Immortal Technique ou des Marxmen dans tel refrain ou pour ponctuer en beauté tel morceau, qu’il soit personnel (le statut de père sur ‘Rap de daron 2’), plus directement politique (la dénonciation des mises en scène médiatiques sur ‘Insécurité’), ou entre les deux (la critique de la norme dominante de la réussite sociale sur ‘Réussite…’).

Pour le reste, l’opus est certainement dans son ensemble le plus abouti de la K-Bine à ce jour. La complémentarité entre Skalpel (« moitié anar, moitié alcoolo ; moitié blédard, moitié coco ; moitié bâtard, moitié clando ; moitié crevard, moitié prolo« ), en première ligne du front politique, et Guez, qui se livre un peu plus à l’introspection (‘Autour d’une bière’) fonctionne bien. Certes, le duo ne prétend pas au rang d’as de la technique, mais la hargne et la conviction de l’interprétation suffisent. D’autant que les prestations d’invités triés sur le volet s’y greffent harmonieusement. E.One livre comme d’habitude deux prestations impeccables ; quant à Sheryo, il profite d’un moment de répit au cœur de la lutte des classes pour participer au morceau festif de l’album, ‘Trou noir’, récit marrant d’une nuit noyée dans la picole. Bref, Légitime défense dépote. Et comme l’album est pour partie taillé pour le live, sur scène, c’est encore mieux.

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