Chronique

Sexion d'assaut
L’école des points vitaux

Jive Epic Group - 2010

Les rappeurs sous-estiment l’importance des premiers mots. Prenez la phrase d’ouverture de « L’école des points vitaux », premier album du collectif parisien Sexion d’Assaut. Deux points, ouvrez les guillemets : « Les nymphos aiment faire les courses parce qu’il y a souvent une queue immense. » Plus qu’une entrée en matière, c’est un véritable péage pour les auditeurs. Si, en la découvrant, vous secouez la tête de dépit en vous disant que, décidément, les rappeurs confondent encore ratures et traits d’esprit, alors passez votre chemin. Vous êtes probablement exigeant. Ou trentenaire. En revanche, si vous levez les bras en criant « PUNCHLINE ! » alors il y a de fortes chances pour que l’album tourne en boucle dans votre iPod. Et vous ne serez pas seuls : aux dernières nouvelles, Sexion d’Assaut squatte toujours les sommets du Top Album avec deux singles en rotation simultanée sur, accrochez-vous, Skyrock et NRJ. Plus impressionnant encore : le groupe cumule sur Facebook près de 460 000 fans. C’est davantage que Rohff, Diam’s, Soprano et Booba réunis.

On peut avancer plusieurs explications à ce succès phénoménal. Au hasard : une montée en puissance savamment orchestrée à coup de mixtapes, freestyles vidéos et hits viraux. Ou le coaching efficace de l’équipe Wati-B emmenée par le vétéran de la Mafia K’1 Fry Dry et le manager Dawala, deux cerveaux qui ont su canaliser les énergies cumulées de huit rappeurs (pas une mince affaire). Ou, peut-être, le besoin pour le public de retrouver un esprit de performance collective au sein d’un rap français souvent centré sur ses individualités.

Ce serait oublier une raison essentielle : la solidité à toute épreuve de l’album – suffisamment solide pour que l’hymne-au-refrain-qui-tue ‘Désolé’, déjà mille fois parodié, soit placé sur la dernière des seize pistes du disque. Dans « L’école des points vitaux », Sexion d’Assaut réussit à trouver le bon dosage entre une attitude puriste – l’album commence sur sept minutes de couplets enchaînés – et une démarche grand public ultra-assumée. Sectionnons l’album en deux : il referme autant de titres rentre-dedans, directement issus des années freestyle du collectif (‘Mon gars sûr’, ‘L’école des points vitaux’, ‘Ça chuchote’) que de singles à faire languir le plus difficile des D.A. Voire les deux à la fois : ‘Casquette à l’envers’, dédicace à la raffinée Nadine Morano, prouve qu’il est encore possible de mêler performance rap, format radio et (légère) revendication politique. Pas mal.

Mais l’élément central de l’album et la colonne vertébrale de cette formation octogonale, c’est Maître Gims. Rappeur tout-terrain, vocaliste impressionnant, il rend naturels tous les grands écarts entre sa bande de potes et la bande FM. Sa maîtrise vocale n’est pas une surprise. Dans le pré-album du groupe, « L’écrasement de tête », il signait déjà des mélodies séduisantes et imaginatives (‘Routine’). Pour « Les points vitaux », il enfile les phrases chantées comme des perles – écoutez par exemple les mots simples et terribles qu’il place à la fin de ‘J’ai pas les loves’. Il va être intéressant de voir quelle trajectoire empruntera cet interprète intense qui, par instant, semble déjà avoir fait son choix : dans ‘Rien ne t’appartient’, réflexion un peu mièvre sur les futilités de l’existence, on a l’impression que son chanteur de variété intérieur se débat pour sortir de son corps de rappeur. Il n’est pas le seul talent de la Sexion, bien sûr – le fou-furieux Black M le talonne – mais sans lui, le groupe perd une bonne partie de son attrait.

Alors bien sûr, le tableau n’est pas parfait, loin de là. Dans le rap français, ce n’est pas une nouveauté, les cartons populaires ne font pas toujours les chefs d’œuvre. Outre le recours systématique à la pseudo-punchline en guise d’effet de manche, le contenu de l’album est à l’image du groupe : profondément hétérogène. Voilà un disque efficace et vendeur, certes, mais on zappe quand même les couplets scolaires, l’amourette-song ‘Tu l’as fait pour elle’ ou plusieurs récits à vocation réalistes qui finissent embourbés dans les poncifs (‘La drogue te donne des ailes’). Il y a également de quoi trembler à l’écoute dérangeante de certaines répliques homophobes – surtout en imaginant leurs ravages potentiels sur toute une génération de fans Facebook. Et puis il y a ce sentiment de déjà-entendu permanent qui pose une question cruciale sur l’état du rap en France : les rappeurs se répètent-ils faute d’idées neuves, ou parce que le décor alentours ne change désespérément pas ?

Autant d’enjeux pesants pour un collectif tout juste catapulté Nouveau Grand Groupe du Rap Français : comme d’autres avant elle, la Sexion d’Assaut va non seulement devoir affronter une critique cent fois plus sévère, mais aussi assumer un statut casse-gueule de symbole rap pour la ménagère et les détracteurs du genre. Reste que l’on parle ici d’une formation encore jeune qui aura, espérons-le, tout le loisir de mûrir sans se déliter. Si le jackpot de l’album ne doit pas masquer la marge de progression restante, Sexion d’Assaut a livré avec « L’école des points vitaux » un premier album bouillonnant, immature, parfois maladroit et racoleur mais doté d’un esprit de compétition salvateur et d’une énergie indéniable. C’est ce qu’on dit aussi du rap.

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