Chronique

Less du Neuf
Le temps d’une vie

Doeen' Damage - 2001

Groupe prometteur depuis des années, Less du Neuf – JP n°12, Vasquez Lusi (rappeurs) et Ol’Tenzano (dj-concepteur musical) – sort son premier album, Le temps d’une vie, fruit d’un passé riche en rencontres et en réflexion. Un dix-huit titres ambitieux, pour un groupe indissociable de l’étiquette de rap de fils d’immigrés.

Commençons par les erreurs : les featuring de Taïro, Trade Union, Faf la Rage et Shurik’n sont inutiles et ‘Vaporise’ est décevant. Ceci étant dit, passons aux aspects positifs : tâche insurmontable tant les autres titres – tous les autres titres – sont d’une qualité aussi élevée que diverse.

On savait Ol’Tenzano producteur talentueux, depuis sa mixtape Extralarge. On ne savait pas qu’il était capable d’assurer un album entier sans accuser l’ombre d’une baisse de régime. Dotées de personnalité propre, ses mélodies se révèlent sources d’inspiration pour les rappeurs. Les premières mesures de chaque morceau introduisent elles-mêmes les thèmes abordés, sans qu’aucune césure ne transparaisse lors de l’arrivée des voix. En effet, d’une richesse incroyable, les instrus prennent toute leur ampleur en s’adaptant aux mc’s, pour valoriser leur travail. Dans ‘La valse des enragés’, Casey débite un couplet déjà entendu maintes fois en freestyle. Et pourtant, c’est la première fois qu’elle dégage une telle rage. Fignolées jusque dans les moindres détails, les productions évoluent à l’intérieur des morceaux, sans jamais voler la vedette aux rappeurs.

Face à une telle panoplie sonore, le défi à relever était grand pour Kimto et JP. Etape incontournable : fondre leurs flows aux instrus. L’objectif est largement atteint. Ayant compris que le plus intègre des discours reste lettre morte sans support de qualité, ils n’hésitent pas à aligner des refrains presque chantés (‘Le temps d’une vie entière’, ‘Sacrifice’, ‘Clando mais Classe’). Le phrasé limpide et la verve contenue, c’est discrètement que les rappeurs imposent leur discours. Discrètement, mais sans jamais faillir. Remontés sur ‘Bouffés par le système’, intransigeants sur ‘C’est ça ou rien’, arrogants sur ‘Comment ça’, mélancoliques sur ‘Dernière fleur’, nostalgiques sur ‘Air du sud’, etc. : derrière leur apparente simplicité, les seules intonations de Kimto et JP, mais aussi d’Akhenaton, Ekoué ou Gab’1, parviennent à toucher directement l’auditeur.

Dès lors, l’écoute des propos de Less du Neuf pourrait paraître secondaire devant une telle réussite formelle. Mais décidément impitoyables envers la concurrence, les rappeurs se permettent d’afficher des textes captivants. Le style, dépouillé à l’extrême, ne semble suivre qu’un mot d’ordre : intelligibilité. La clarté domine tout l’album, afin de ne pas parasiter la finesse des thèmes abordés. Et si l’immigration occupe une place conséquente, c’est à rebours des clichés habituellement véhiculés. Car mentionner le passé colonialisme du Portugal tout en dénonçant son image faussée de peuple riche, comme le fait Kimto dans ‘L’étranger’, force l’admiration par son refus de manichéisme. Sans aucun complexe, le groupe fait preuve de la même dextérité dans des textes tenant de l’égotrip (‘P’tite esquive dans la cave’), du constat désabusé sur la France (‘Cette douce France’) ou de la remise en question (‘Technik et intellect’).

Au final, Le temps d’une vie impressionne surtout par la correspondance entre les intention du groupe et le résultat obtenu. Il est prétentieux de chercher à réaliser un album diversifié, cohérent, intimiste, populaire, engagé et mélodieux. Less du neuf a accompli cet exploit. Un album majeur à tous points de vue.

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