Chronique

Aelpéacha & MSJ
Le Lubrifiant

Studio Delaplage - 2010

Appeler son album Le Lubrifiant, il fallait oser. Mais ce choix paraît tout de suite moins surprenant et pourrait même sembler logique lorsqu’il s’agit d’un album d’Aelpéacha. Cette fois, le patron du G-funk français revient avec son compère MSJ, le plus doué des rappeurs de Splifton. La combinaison des deux emcees sur tout un disque était alléchante, et elle tient ses promesses. Le Lubrifiant reprend globalement la même formule que les précédents albums : des sonorités chaudes, de la bonne humeur, la famille Splifton en featuring, une chanson reggae, une piste plus sérieuse pour clore le disque. Comme d’habitude, Aelpéacha assume l’intégralité des productions. Les préoccupations des deux rappeurs sont bien entendu les mêmes qu’auparavant : les barbecues, la boisson, les fessiers bombés et si possible tout cela à la fois. A priori rien de nouveau, aussi bien sur le fond que sur la forme, mais le but du Lubrifiant n’est pas de révolutionner un genre codifié depuis longtemps.

Tout au long des vingt-et-un morceaux et interludes, Aelpéacha et MSJ nous emmène pour une ride estivale, excessive et bien arrosée. Le disque regorge de phases qui font rire ou sourire, et pas seulement sur les titres à l’ambiance paillarde. Si l’album est résolument westcoast de la première à la dernière seconde, il n’est pas gangsta. Pas de « pockets full of stones », pas de fusil dans le coffre, seulement une bouteille de rhum en cas de besoin. Aelpéacha et la bande de Splifton assument tellement leur filiation avec le gangsta rap californien qu’ils ont dépassé le stade de l’imitation pour véritablement s’approprier ce genre. Leur musique n’est pas une bête transposition du G-funk US ; ils ont su l’adapter en conservant un certain « esprit français », voire même franchouillard. Le Lubrifiant est plein de rimes gouailleuses et de références bien de chez nous : des samples de Bayrou, de Chirac, des Inconnus, la reprise de « Viens boire un p’tit coup à la maison » sur le morceau « Poulet citron »… Morceau de beauferie guignolesque où le n’importe quoi atteint son maximum. Dans ce registre, on peut reprocher à Aelpéacha et MSJ d’avoir eu parfois la main un peu lourde (notamment sur le « Faf’s groove » de Fabrice Eboué, hommage aux légendaires « Quik’s groove », mais seulement par le titre). Là aussi question gros rires et phases délirantes, les deux rappeurs assument, et à moins d’être réfractaire à ce genre d’humour il faut être de mauvaise foi pour ne pas y trouver son compte.

La grande force du disque, c’est la richesse musicale des instrus d’Aelpéacha. La basse, les synthés, les guitares, tous les éléments sonnent funky et se combinent parfaitement. Il est souvent bien difficile de distinguer ce qui relève du sample et de la composition pure. Les productions sont fouillées mais jamais surchargées. Le sens du détail est là et il n’est pas rare de découvrir à une nouvelle écoute une flûte, un peu d’orgue ou une nappe de violons que l’on n’avait pas remarqué jusque là. On peut dire, sans exagérer, qu’Aelpéacha a atteint le niveau des producteurs américains du début des années 90. Certes, il n’a rien inventé et il est à contretemps de quinze ans, mais au fond quelle importance ?

Au micro, les deux acolytes font preuve d’aisance. Les flows sont légers, précis, sans fioritures. Certains passages sont sans doute un peu trop hachés ou trop simples, mais la plupart du temps les deux rappeurs se montrent très efficaces. Aelpéacha est excellent sur les productions laidback tandis que MSJ est un peu plus technique et se débrouille mieux que son partenaire sur les tracks plus musclés comme « Hip-hop non-stop ». Les refrains chantés sont réussis dans l’ensemble, ce qui est assez exceptionnel en rap français. Quant aux textes, ils sont drôles et pleins de ces trouvailles que l’on a envie de répéter à ses potes quand on les croise. De bons textes en somme. Le A et MSJ prouvent, s’il en était encore besoin, qu’on peut être un bon lyriciste en rappant sur les filles et la fête.

Le Lubrifiant est plus varié que les autres albums d’Aelpéacha, aussi bien au niveau des instrumentaux que des ambiances, mais il contient un peu moins de titres imparables qu’à l’accoutumée. Les paroles sont également plus soft que d’habitude, pour preuve le morceau tout public « Tout le monde », le bijou du disque. Même le nouvel hymne sexuel « Fais ça bien » est moins  explicite que d’habitude (au passage une mention spéciale pour Ryu MC, impressionnant à chacune de ses apparitions). Le A et MSJ se sont un tout petit peu assagis. Le seul vrai reproche concerne la deuxième moitié de l’album, un peu confuse, plombée par trop d’interludes et de morceaux de moins de deux minutes. L’ultime morceau, qui aborde la foi, est également un peu déroutant après une avalanche de textes grivois. Mais ces quelques détails n’empêchent pas le disque d’être une franche réussite.

Aelpéacha continue de rayonner sur la westcoast française et consolide encore un peu plus une discographie déjà bien fournie. Si Le Lubrifiant est bien sur la même lignée que les précédents albums, il ne donne pas l’impression que le leader de Splifton tourne en rond. Le A poursuit son exploration musicale, parvient à se renouveler et à ramener de nouvelles idées. Il apporte de la fraîcheur à une ancienne recette que plus guère de personnes ne savent ou ne veulent encore faire. Un album qui glisse toute l’année, à écouter idéalement le soleil dans les yeux, un coup dans le nez, les mains grasses de chips.

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