Chronique

Le Pakkt
L’Album Lent

Autoproduit - 2013

Qui aurait cru qu’il y aurait du brouillard à Nice ? Pas grand monde, et pourtant, c’est bien la brume que fend L’Album Lent, tantôt avec la dégaine d’un escargot suspendu dans un semi-coma au dôme d’un champignon chargé en PCP, tantôt avec le regard d’un crocodile dont seuls les yeux et les naseaux émergent des flots. Bave aigre, flemme destructrice sous l’emprise de psychotropes, mâchoires acérées, voici le programme en somme. Sauf que cette fois il est ponctué d’une dent contre le rap, dent qui se fige au cœur même du tracklisting avec un « Allez tous vous faire foutre » d’entrée, message de bienvenue typique qu’on jette à la figure de ceux dont a espéré un jour, pour être mieux déçu ensuite. L’amour du micro et la haine du silence, avec cette question sous-jacente : tout ça pour quoi ? Se faire gang-banger par des geeks pendant que tu fixes le prix de ton bandcamp comme dit Zippo ? Compter ses amis sur Facebook au bout de 10 ans de rap sans amasser le moindre pécule comme l’explique John Creazy ? N’est-ce pas Vargas, qui en 2012 avait chanté dans son album solo « Microphone et Psychotropes », sorte d’ode désespérée à l’entrelacement du rap et de la défonce, en forme de gyrophare rouge aux batteries déchargées ? Alors, effectivement, des albums, Le Pakkt aurait beau en vendre dix mille que ça ne ferait pas avancer le schmilblick. À moins de se souvenir que le ver est dans le fruit et que le dépit reste toujours le dépôt à finir au fond du verre que l’on vide. Aujourd’hui, plus personne ne lit dans le marc de café et fait tout pour ne pas trop penser au futur.

Il faut dire que le XXIème siècle a les allures de celui qui va se boire cul sec. Ici, tout va trop vite, et les radars automatiques ne marchent que sur les routes. Ils ne servent à rien sur internet, à rien lors des plans sociaux, à rien à Pôle Emploi, et encore plus à rien dans le rap. Entre frustration et éjaculation précoce, telle est la façon de vivre : avec un cerveau qui flashe et photographie tout ce qui bouge, avant de passer au véhicule suivant. Digitalisation progressive des cinq sens, sollicités en accéléré, porteurs d’un enthousiasme qui retombe aussi vite qu’il est venu. Villas Vortex perchées sur la Baie des Anges, bref, des flashs… Une succession de brefs flashs émis par des corps hyper sollicités. « Bref », le voilà le mot qui parle d’aujourd’hui, en 4 lettres. À celui-ci, Le Pakkt y oppose le mot « Lent ». 4 lettres également, mais étirées sur ces 10 titres, intégralement produits par le PDG, alias Vargas au Mic. Un total de 46 minutes en faux éloge de la lenteur mais en véritable critique de la brièveté, proférée à 65 BPM.

Des déclinologues aux ongles sales, voilà finalement ce que sont Zippo, Vargas et Creazy. Tous trois partagent le même rêve : « vivre peinard », même si la définition qui se cache derrière l’idéal n’est pas forcément toujours la même selon qui des trois la rappe. Toujours en trio, avec un John Creazy présent sur les refrains, et une complémentarité bien plus affirmée que sur le (double) album précédent (alors qu’ici, on a affaire « qu’à » dix titres), Le Pakkt joue de ses trois caractères. Zippo est un bûcheron survivaliste qui pratique les accélérations tranchantes autant que le lent et patient aiguisage. Le Bon. Vargas est rongé, boule de nerfs qui recrache chaque syllabe imbibée d’une gorgée ou d’une bouffée restée trop longtemps en travers de la gorge. Malsain et hargneux. La Brute. John Creazy est la lenteur et le je-m’en-foutisme incarné jusque dans son flow (« Arrête de me parler de cette foutue technique, j’ai deux potes qui l’ont en stock c’est leur registre »). Le Truand. Résultat ? Un disque aux allures de grand enterrement avec des relents de grands soirs qui ne sont finalement plus espérés et de petites morts quotidiennes qui elles n’ont jamais tardé à arriver. Des instrus souvent lugubres et lourdes, en forme de gros son dédié à un futur qui ne vient pas et auquel on laisse des rimes en absence. Et si le tout s’apaise sur la fin de l’album, peut-on parler d’apaisement lorsqu’il s’agit de productions vaporeuses et de storytelling qui racontent des virages mal négociés, hormis celui qui se terminera dans les bras d’un croque-mort ? 

Alors, avec son éloge de la lenteur, sa mauvaise digestion d’un déclin – qu’il soit supposé ou réel – et sa splendeur de la rancune, sa fin en forme de faucheuse, L’Album Lent serait-il finalement renoncement ? Il peut le paraître, tant il trempe ses instrus dans le noir, tant il flirte avec la vindicte, que seules la nonchalance d’un John Creazy, les références de Vargas à Chuck Norris et l’ironie faussement candide d’un Zippo arrivent à sauver des ténèbres. « Ils disent que je renonce, non en fait je refuse » assène d’ailleurs Le Bûcheron durant l’excellent « Les Promesses de l’Ombre ». Et c’est peut-être bien de ça dont il s’agit ici : un contre-pied, un défi même. Le Pakkt refuse de suivre le rythme et court-circuite la matrice. Il fait dans la polarité, assemble des contraires. À la fois stroboscopique et codéiné, halluciné et hargneux, aigri et débile, transformant quelques minutes à Pôle Emploi en preuve par l’absurde, L’Album Lent joue contre la montre. Et contrairement à la légende, il n’y a jamais eu d’heure pour réveiller les morts. Mais il y a bien un tempo pour les fossoyeurs. « Il y a ceux qui font du son et ceux qui creusent. Ben nous on creuse » dit Vargas. Back from the dead.

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