Chronique

Klub des Loosers
La fin de l’espèce

Disques du Manoir - 2012

Il est vivant. La branche du pendu a été plus forte. Et après plusieurs années passées à affûter ses boucles et sélections musicales (Spring Tales et la série des Broadcast), Fuzati revient donner une suite à Vive la vie. Un premier album solo synthétisant une époque entre mal-être assumé, boucles kitsch et rimes amères. Huit années écoulées soit bien assez pour tourner une page et en ouvrir une nouvelle. Ses premiers mots vont dans ce sens : « une seconde naissance, j’ai buté mon adolescence » (« Vieille branche »).

Exit Anne-Charlotte, la copine de fac toujours plus distante, l’étudiant suicidaire a pris de la bouteille. Un œil sur le passé, entre frustrations et désillusions, un autre sur un avenir désenchanté, le Klub ne brille pas par son ton enjoué. Plutôt par la misanthropie de son créateur, finalement rattrapé par la vie et par le quotidien. Un quotidien banal : une place dans un bureau trop étroit, une vaste incompréhension avec le sexe faible et la trentaine désormais passée. Mais derrière ce masque d’indifférence, il reste un regard débordant de cynisme et d’humour noir. Et derrière les cicatrices des échecs, on devine une humanité dissimulée. Entre l’homme et le personnage, entre la réalité et la fiction, Fuzati semble constamment en équilibre sur un fil toujours plus étroit. Cet exercice constant de funambule désarçonne et bouscule. Et on devine que c’est exactement l’effet recherché. « J’envoie des signaux de fumée super faciles à décrypter vu qu’ils veulent tous dire la même chose : évitez de me parler » (« L’indien »).

Toujours solitaire et incompris des chromosomes XX, il traîne aujourd’hui son dépit. Un dépit à peine dissimulé par quelques « faciales » vengeresses. Le mal-être a fait place à une amertume ponctuée de quelques coups d’éclats. Et même si les premières écoutes ne le dévoilent pas immédiatement, La fin de l’espèce transpire la solitude. Le thème récurrent de la paternité illustre ce sentiment comme un miroir déformant. À l’image de « Non père », portrait d’un père d’une famille recomposée, assis sur un tabouret à trois pieds. Ou dans un autre registre, « La fin de l’espèce », épuré au possible et dont la conclusion est explicite : « bientôt plus de sept milliards donc faire des gosses c’est criminel. »

« Je me demande si Cupidon est un peu myope ou un peu con » (« Volutes »).

La plume trempée dans un encrier de noirceur, le schizophrène a conservé un sens de la formule cinglant, étalé tout au long de ces treize titres. Bien plus fluide dans la rythmique – ouf ! – Fuzati  brille une nouvelle fois par son écriture. Mais au-delà de la finesse textuelle, c’est la cohérence musicale de l’ensemble de l’album qui détonne. Entièrement produit par Fuzati, il enchaine de fines touches de piano et autres cordes harmonieuses dans des boucles posées sur des lits de coton. L’ensemble est léché, transpirant de jazz et d’une touche de rock psychédélique. Ponctuellement appuyé par des c(h)œurs innocents, il dévoile une esthétique singulière. Avec un chloroforme enivrant, il dégage une légèreté chaleureuse qui tranche avec le caractère résolu de son auteur. Porté par ces pensées sombres finalement jamais exprimées, La fin de l’espèce sonne comme une forme d’exutoire. Et les mots les plus amers trouvent un certain écho auprès du schizophrène qui sommeille en chacun de nous. Il suffit juste de se l’admettre. « Les apparences d’un type normal, les phalanges pleines de bleus » (« Volutes »).

Observateur cynique et silencieux, Fuzati dresse sur La fin de l’espèce un portrait quasi-nihiliste du quotidien. Caché derrière ce masque que nous portons tous par instants, il se veut le reflet de frustrations et d’interrogations générationnelles. À ce titre, il parle au plus grand nombre. Complètement désintéressé du rap – de ses modes et codes changeants – et pourtant bien accroché à ses fondamentaux, il est à l’image du Klub des Loosers : un medley de contrastes.

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