Chronique

Al K-Pote
L’Empereur

Neochrome - 2008

En écoutant des disques de rap, il m’arrive de me demander ce qu’il en restera dans dix ans, dans vingt ans, dans deux siècles. Qu’est-ce que l’histoire de la musique retiendra de ces 30 ans de rap ? Qu’est-ce que l’histoire du hip-hop retiendra du rap du début du XXIème siècle ? Que restera-t-il du rap français ? Quels artistes et quels albums laisseront vraiment une trace ?

Concernant Al K-Pote, il est douteux qu’elle en retienne grand chose. Artistiquement en tout cas, ça semble difficile. Une partie des auditeurs de rap français se souviendra de bonnes tranches de rigolade, de punchlines débiles, du rappeur le plus gras que la Terre ait jamais porté. Pour le reste…

« Je vous zigouille. Lèche mon concombre et mes citrouilles. »

Suite de phases-choc, le rap d’Al K-Pote n’est pas véritablement construit. Pas de cohérence, presque pas de thèmes, une tendance à passer du coq à l’âne sans prévenir. De l’egotrip neuf fois sur dix. Un peu d’introspection, mais pas trop quand même. Chaque morceau ressemble à une longue improvisation. Malgré sa volonté affirmée de laisser un souvenir de lui, Al K-Pote n’écrit pas pour rentrer dans l’histoire. Pourquoi, alors, puisque visiblement il n’a pas grand chose à dire ? L’Empereur comme Sucez-moi avant l’album ressemblent plus à des défouloirs instinctifs qu’à des disques pensés. Un moyen de remplir son assiette aussi, histoire de « bouffer du gigot ».

« Ma fontaine de jouvence c’est du whisky. »
« Grosse catin, j’fume des pèts’ tôt l’matin, imagine Joe Dassin avec un putain de flow malsain. »

Un ogre sous weed et vodka au XXIème siècle. C’est dans ce registre de mec défoncé, affamé, misogyne et dangereux déboulant à toute allure en plein centre-ville qu’Al K-Pote est le plus impressionnant : ses morceaux à thèmes, sur les femmes (‘Respect aux femmes’) ou sur son histoire personnelle (‘Mon histoire’) sont loin d’être réussis. Seul ‘La voix d’en bas’ s’en sort mieux.

Du rap souvent trop mécanique, malgré quelques variations momentanées, sur des beats très classiques à deux exceptions près (‘L’Empereur’, ‘L’Envahisseur’)… Et pourtant pas mal d’auditeurs en redemandent. Qu’est-ce qui, alors, fait qu’on l’écoute malgré tout ? Alors que d’un point de vue humain, ce rap est détestable ? Face à un texte de l’autoproclamé « Empereur de la crasserie » (« alias Pef Le Dégueu alias L’aigle royal de Carthage alias Le meilleur du 91 alias Jojo L’Affreux« ), l’auditeur est dans la même situation que la marionnette d’Alain de Greef, dans les Guignols, face à Michael Kael enculant un mouton. Il rigole comme un con. Même chose quand il s’agit d’expliquer à des gens ce qui est si drôle dans cette suite d’insultes et de gimmicks. « Ben, Michael Kael ‘cule un mouton, drôle, tout ça… » répond De Greef. Et nous : « Ben Al K-Pote dit « sucez-moi bande de putains », drôle, tout ça… ». Les conneries d’Al K-Pote sont marrantes pour certains, pitoyables pour d’autres. C’est tout. Mais il est rare de trouver quelqu’un restant indifférent à tout « ça« . Comme Jackass, à l’époque. Avec en plus un vrai charisme, car Al K-Pote est un personnage dingue et vraiment original. Le rap a déjà connu des types dans le même délire, mais jamais aussi excessifs, aussi barjos.

C’est donc ça, L’Empereur : du rap-bélier, mais aussi du rap fast-food, qui remplit les oreilles et vide le crâne pendant un petit moment mais gave vite. Puis vers lequel on retourne, avec le sourire. Parce que c’est marrant, et parce que les autres rappeurs sont trop sérieux dans leur délire « rue« . Al K-Pote lui-même se prend-il au sérieux ou écrit-il volontairement dans l’excès, avec un certain sens du second degré ? Il est sans doute à prendre, comme Booba, « à un degré cinq« . A la vue de ses interviews, c’est difficile à déterminer avec certitude : l’auditeur est seul juge. C’est cela aussi qui peut gêner.  Alors l’histoire de la musique l’oubliera peut-être vite, mais qui, aujourd’hui, en a quelque chose à faire ? La vérité est là : sans des mecs comme Al K-Pote, le rap serait terriblement monotone.

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1 commentaire

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  • Drayz,

    Marrant de relire cette bafouille 11 ans après. Alkpote a mieux vieilli que cette chronique et leur impact respectifs dans l’histoire y seront relatifs.