Chronique

Klub des Loosers
Vive la vie

Record Makers - 2004

Annoncé à maintes reprises, plusieurs fois repoussé, le premier album du Klub des Loosers se faisait attendre en même temps que le scepticisme grandissait. L’essoufflement des prestations de Fuzati ne laissait plus grand espoir quant à sa capacité à dépasser le stade du rappeur incongru qui se fait un petit nom sur internet avant que son buzz ne s’éteigne dans un océan de mépris. Et puis Vive la vie et son design soigné ont fini par arriver.

On annonçait la présence de MF Doom ; celui-ci sera coupé sur l’album (on peut néanmoins l’entendre sur la version maxi du morceau ‘Depuis que j’étais enfant’). Fuzati se présente donc seul, irrémédiablement seul. Et les craintes redoublent. Depuis le EP La femme de fer, ce Klub devenu mono-personnel semblait quelque peu battre de l’aile. Pourtant, pour ce premier véritable test, Fuzati n’a pas réitéré les erreurs commises à l’occasion de son dernier maxi : il n’a pas cherché à recycler et à remettre au goût du jour des morceaux d’une fraîcheur approximative, comme ça avait pu être le cas de ‘La femme de fer’ ou de son fameux ‘Hymne’. On pourra toutefois regretter que ‘Poussière d’enfants’ et l’inusable ‘Baise les gens’ fassent office de réminiscence. En effet, ces deux morceaux – même s’ils demeurent de qualité – rappellent trop un récent passé où tout ce qui était vaguement conceptuel était largement surévalué. Du même coup, ils peinent à tenir leur place au sein d’un projet qui se veut plus peaufiné qu’une compilation aventureuse ou qu’un maxi destiné à nourrir une réputation.

« Ils pensaient que ce que je disais n’était qu’un concept. Super, mais je risque d’en user jusqu’à la corde »

Par-delà l’ironie, plus que jamais de mise, un glissement s’est donc opéré : Orgasmic le Toxicologue s’en est allé, laissant Fuzati orphelin dans son Klub de copains. Pour anecdotique qu’elle paraisse, tant la personnalité et l’image du chétif versaillais masqué tenait à elle seule lieu d’étiquette pour le groupe, cette séparation semble pourtant à l’origine d’un certain changement : au niveau musical évidemment, Fuzati ayant pris le parti de remplacer lui-même son acolyte, mais également en ce qui concerne l’identité du groupe. On assiste donc à un léger virage initié par l’unique rescapé, un recentrage autour de phases moins gratuites, moins artificielles, même si la figure du perdant misanthrope demeure largement exploitée. Plus libre de laisser envahir ses propos par des éléments de sa propre vie, ou simple prise de conscience par Fuzati de la difficulté à relever le challenge d’un album complet en se cantonnant dans un rôle étriqué, le Klub des Loosers nouvelle version mérite en tout cas un regain d’attention.

« Marie-Charlotte aimerait me faire croire qu’elle a quelques amis basanés, mais ce ne sont que Pierre et Louis qui rentrent bronzés de l’Ile de Ré. »

Pour la voix nasillarde et le flow dégingandé, certes, rien n’a changé. Prendre le parti de faire coïncider le ton adopté et les paroles scandées constituait un pari pour le moins osé. Mais quand il s’agit de misanthropie en décor versaillais, l’accent mi-geignard mi-précieux devient rapidement irritant. Pourtant, les premiers grincements de dents passés – pour ceux qui n’y étaient pas familiers – ça vaut le coup de continuer. On assiste alors à un étonnant déballage de verve pathétique, à des envolées pleines d’un cynisme salvateur, ainsi qu’à des éclats de mots sordides. Un concert d’ironie habilement déployée surtout : « Si je suis nul en maths c’est que je n’ai jamais compté pour personne« , ou encore « N’y a-t-il que dans les crématoriums que l’on trouve de la chaleur humaine ?« . Entre aveu de faiblesse et sursaut haineux, l’équilibre est troublant. Plus incisif et plus touchant que lors d’anciens délires devenus rapidement lassants, Fuzati parvient avec Vive le vie à renouveler un style qui s’essoufflait dangereusement, sans pour autant changer fondamentalement de recette. C’est en tout cas une de ses grandes forces sur cet album d’user avec adresse de multiples nuances pour mieux nous perdre dans des méandres de vérité, pour porter son regard sur un monde que le rap aborde trop peu souvent de côté, préférant la plupart du temps s’y confronter de face. Et puisqu’il n’est pas question d’enchaîner les KO au micro, il convient de ruser, d’esquiver, d’ironiser et de cibler. C’est ce à quoi s’emploie Fuzati, non sans légèreté dans le phrasé.

« Il est injuste que les briquets puissent servir à décapsuler les bouteilles de bières, alors que les décapsuleurs ne pourront jamais servir à allumer de cigarettes »

« On danse, pense, marche ou même s’habille à la manière hip hop. Alors souvent je me dis : patiente, bientôt le hip hop sera une religion. Il suffit simplement d’attendre que quelqu’un tue en son nom »

Mais un mélange de bons mots et de thématiques bien ficelées ne font pas un bon album. On a parlé du non-flow de Fuzati, sujet de commentaires aussi inlassables que stériles, et de sa voix fluette qui constitueront pour certains deux des plus lourds handicaps de ce disque. On notera néanmoins que si Fuzati ne daigne toujours pas faire étalage d’hypothétiques talents rythmiques, il cherche quand même à varier sensiblement son débit et à s’appuyer sur des changements d’intonations salutaires au fil de plusieurs morceaux. Au-delà de ça, reste encore à évoquer les instrus, seules susceptibles de faire basculer cet album du côté des sorties dont il serait dommage d’être passé à côté, plutôt que dans la catégorie des disques pleins de bonnes idées mais qu’on finit par ne plus jamais écouter. On s’aperçoit alors que ce qui aurait pu virer au carnage – étant donné le peu d’expérience de Fuzati derrière des machines – se révèle finalement une assez bonne surprise (le rôle de James Delleck à la réalisation n’y étant certainement pas complètement étranger). Quelques boucles légères au parfum volontairement kitch restent l’ingrédient de base des instrus du Klub des Loosers, supportées par des rythmiques singulières mais malheureusement trop peu percutantes. Une formule également adoptée par Jean-Benoît Dunckel, la moitié de Air, qui co-produit ‘Sous le signe du V’. On sent un grain plus léché, avec une nappe de brouillard posée sur la mélodie au synthé, mais l’essai n’est pas concluant au point de ridiculiser les autres productions – loin de là – pour ce qui est la seule intervention extérieure sur ce disque (si on fait abstraction de la participation d’Orgasmic et de Para One sur les deux morceaux non inédits).

Au final, Vive la vie est un pari réussi. Un disque qui n’emportera pas l’adhésion chez les nombreux allergiques au style de Fuzati mais qui se révèle suffisamment consistant et bien réalisé pour balayer les réticences des sceptiques. En outre, la saga des interludes téléphoniques du looser invétéré, qui ponctuent l’ensemble de l’album, finit de lui donner un charme certain. De quoi être content du résultat, même si l’ensemble ne satisfera pas une quelconque envie de faire bouger sa nuque de haut en bas de façon frénétique.

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