Chronique

Taipan
Je vous aime

LZO Records - 2010

Il s’en est passé des choses depuis 2003 et la participation de TaiChi au concours Max de 109. Un premier passage chez Skyrock qui précédait une street-tape regroupant l’ensemble des morceaux marquants enregistrés par Taipan et Céhashi, respectivement rappeur et beatmaker lorsqu’ils se retrouvent dans un studio et cousins dans la vraie vie. Entre temps, Céhashi a été signé chez Warner sans que l’expérience ne soit vraiment concluante tandis que Taipan a pris son temps pour perfectionner son premier album solo. Une signature chez LZO Records plus tard et le projet commençait à prendre sérieusement forme. Les trois dernières années furent l’occasion pour Taipan d’abreuver abondamment l’internaute de freestyles impulsifs, de morceaux inédits et de punchlines mémorables. Céhashi ayant entre temps quitté Warner et rejoint Ponds sur la création de ce qui s’appellera finalement Je vous aime, la machine était définitivement lancée. Après de multiples retouches, le produit est enfin fini et lâché dans la nature.

« Je n’attends pas qu’on m’apporte le Nobel, je ne porte pas l’œil aux gens, je leur porte l’oreille. »

Une première écoute de l’album suffit à imposer une première remarque à l’auditeur : si des risques sont pris aussi bien au niveau des thèmes abordés que des instrumentaux concoctés par Céhashi (producteur de 12 des 16 pistes), un étrange équilibre, insaisissable et difficilement descriptible, ressort de l’album. Comme si Taipan et Céhashi s’amusaient avec l’auditeur, prêchant le faux pour nous faire comprendre la vérité ou du moins « leur vérité ». A ce titre, ‘Je commence demain’ s’avère être un parfait exemple. Si Céhashi lâche un instrumental victorieux et triomphant, rampe de lancement parfaite pour déclarer au monde ses envies de conquête et de grandeur, Taipan et Soklak écrivent l’hymne potentiel du pôle emploi. L’ironie de l’histoire étant sûrement que l’entêtant refrain et l’imparable mélodie révèlent un potentiel tubesque surprenant. Surprenant, parce qu’imaginer le premier couplet de Taipan passer en boucle sur les ondes a quelque chose de diablement jouissif : « Ok le pôle emploi m’invite, j’ai rendez-vous pour un coaching, j’ai mis mon plus joli jogging, les chômeurs c’est des sportifs, tremper 2-3 tartines dans le Lexomil être motivé, motivé, « t’as toujours pas cotisé » m’a dit ma future-ex-copine, je n’ai toujours pas l’honneur de payer des impôts, j’ai rien d’un meneur, d’un suiveur, du coup je bouge pas trop, j’attends le bon boulot, payé comme il faut… » 1 minutes et 30 secondes plus tard et Soklak débarque en mode bulldozer. Sorte de fusion ultime entre Bernard Thibault et Jeff Bridges époque Big Lebowski, il enfonce définitivement le clou au cas où il y aurait encore des sceptiques (« Pas question de gâcher ma vie à la gagner« ).

Le reste de l’album est dans la même veine. Quand CHI livre un beat sombre aux accents quasi-morbides sur ‘L’ovni’, Taipan choisit de ne parler que de lui, assénant chaque rime comme un coup de poing entre second degré (« Reste honnête et je compatis tes morts et le jour de la mienne, joue la Compagnie Créole« ) et nonchalance assumée (« Des fois, si je n’ai pas l’air d’être à l’écoute, ce n’est pas que je ne t’aime pas, c’est que j’m’en bats les couilles« ). Cette même nonchalance utilisée comme une carapace par le maître de cérémonie qui, elle aussi, contribue à créer un paradoxe inédit. D’un côté, il y a les sujets universels abordés par Taipan et toutes ces phrases pleines de désillusions balancées comme s’il s’agissait d’indéniables vérités (« Tu n’es pas prié de le croire, tu luttes avec ou tu l’acceptes mais la vie est de droite« ) et de l’autre, il y a l’interprétation de Taipan, toujours distant et jamais vraiment sérieux même quand il promet de l’être (« On t’a dit d’aimer ton prochain, t’as dit « à la prochaine », Cupidon ne fait pas dans la brochette » sur ‘Je t’aime bien’).

« Je ne viens pas te faire la morale ou t’expliquer la vie, j’ai plus de questions que de réponses, plus d’oxygène que d’amis. »

En nous prévenant que Je vous aime serait radicalement différent des morceaux remplis d’arrogance issus de la Punchliner mixtape, LZO ne nous avait pas menti. Comme si Taipan était suffisamment passé sur le divan par le passé, il enfile aujourd’hui le rôle du psy et choisit de décortiquer l’individu lambda. Sans jamais s’oublier de s’inclure dans le lot. Qu’il s’amuse à décrire les différentes facettes des relations hommes/femmes (‘Mademoiselle’, ‘Les loups’), notre penchant pour le mensonge (‘La vérité vraie’ et son refrain entêtant comme un vieux tube de Snoop) ou les bavures policières au cours d’un étonnant storytelling (‘Sale flic’), Taipan est ce mec issu de la populace qui discute de tout et de rien avec ses semblables au long d’un projet qui, à l’instar de l’album de Grain 2 Caf sorti l’année dernière, pourrait légitimement être rangé au rayon « Chanson populaire » – et par la même occasion le réhabiliter.

Et puis, il y a surtout ‘Viens-là mon frère’, avant-dernière piste et véritable conclusion de l’album qui donne lieu à un instant de vérité comme le rap français n’en connait que trop rarement. Taipan, au fil d’une discussion avec une connaissance qu’il n’avait pas vu depuis un moment, s’y prend à faire le bilan sa jeune existance. Quand Grain de Caf et Oxmo donnaient leur âge de façon enfantine pour masquer le temps qui passe (« Trente ans et demie »), Taipan marque un temps d’arrêt (« Je réfléchis quand on me demande l’âge que j’ai« ) et enchaîne les constats amers (« Un ami devenu médecin, combien devenus malades ?« ). Morceau puissant dont on n’a finalement pas grand chose à en dire hormis qu’on pressent immédiatement qu’il devrait faire date.

Si la vitesse de croisière de Je vous aime connaît peut-être un léger ralentissement vers la fin, le projet n’en demeure pas moins rondement bien mené et devrait finir d’imposer Taipan comme une des meilleures plumes de l’hexagone et Céhashi comme un des beatmakers les plus polyvalents. Un premier album prometteur dont on espère que le successeur ne se fera pas autant attendre.

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