Chronique

Iswhat?!
Big Appetite

OSNR - 2009

Pour essayer d’appâter le chaland, un sticker sur la couverture rapproche Iswhat?! de The Roots et Public Enemy. Mouais, bien essayé… Il y a un peu de ça sans doute, surtout pour le groupe de Philly période « Organix ». On est quand même encore loin du compte. Malgré les parallèles sonores et textuels possibles entre ces illustres modèles (on pourrait peut-être ajouter une pincée de Saul Williams) et le groupe de Cincinatti, il n’est pas le chaînon manquant entre les deux. Et pour cause : Iswhat?! est profondément original. Le groupe développe autre chose, une vraie/fausse identité à la fois unique et en perpétuelle évolution depuis 1997, date de son acte de naissance. Big Appetite donne l’occasion de prendre le train acoustique en marche et, dans la foulée, de raccrocher les wagons précédents.

L’abord n’était pas évident, il faut bien le reconnaître, à la sortie de You Figure it Out… (précédé par une rareté, le EP Landmines en 1999), objet sonore non identifié sorti en 2005. On était séduit par les croisements du sax, de la basse, du turntablism avec le débit parlé et surtout le beat-box faussement désinvolte de Napoleon Maddox. Mais on se sentait aussi un peu perdu, errant sans beat en plein désert rythmique. De quoi interpeller les amateurs de free jazz et de bizarreries musicales en tous genres (avec au passage une réinterprétation très personnelle d’un morceau de Led Zeppelin, par exemple) plus que les hip-hop headz même pas trop borné(e)s. En 2006, The Life we Choose donnait un bon coup de volant vers une texture sonore hip-hop, malgré les références à Coltrane, Ellington, Hendrix et Mingus. Toujours autant de chaleur instrumentale, mais plus de punch, plus de boucles, plus de caisses, et même un morceau quasi dance floor. Et avec ça le lyricisme politisé le plus fin qui soit. La grande classe, quoi.

Big Appetite accentue clairement cette orientation et clarifie les repères. En témoigne notamment ‘Cake’, qui invite Boogie Bang sur un rythmique rap relativement classique. Par rapport au premier album, l’artillerie rythmique est de sortie. Il faut dire que le casting a un peu changé en même temps qu’il s’est dilaté. Le groupe est devenu une sorte de carrefour entre une grosse poignée d’artistes, à commencer par le bassiste Brent Olds, alias Killa-O, qui co-produit plusieurs morceaux. Parmi les membres désormais officiels de la troupe, on compte aussi le batteur Hamid Drake : à coups de roulements et de breaks, il contribue à transformer le son du groupe, donnant l’occasion au MC de l’accompagner par un flow affûté sur le nerveux ‘LUXURY’. De son côté Napoleon Maddox déploie une palette variée, plus mélodique, avec moins de spoken word déclamatoire (comme celui qui ouvrait The Life we Choose). Quelques invités aux flows dynamiques confortent cette direction.

L’album est aussi plus classique que les précédents, en particulier dans sa construction. Les refrains sont davantage mis en relief, même si le groupe continue de jouer avec les structures, comme sur ‘Fanta’, où une sorte de refrain accompagne le couplet, et qui mélange passages parlés et scratches à des sons bizarres en arrière-plan. On compte même quelques tubes en puissance comme ‘Cats’, ‘Breeze’ ou ‘Hungry’, morceau porté par une touche latino et des tirades cuivrées avant de s’achever en tornade scratchée. Plus classique ne veut pas dire plus convenu. Cet album est franchement jouissif de bout en bout. La couverture ironique autour d’un repas de chaînes en or, comme les clins d’œil et jeux de mots pseudo-culinaires des titres, donnent le ton d’un disque qui met la déconne au service du sérieux. Il se termine ainsi sur le funeste ‘Trouble’ : rythmique pesante et traînante alourdie par la guitare, dans laquelle le chorus inquiet du refrain s’insère parfaitement.

Big Appetite est un petit chef-d’œuvre, plein à craquer de détails dans la composition et les arrangements. Certainement l’album le plus accrocheur du groupe, mais pas le moins réussi. Car Iswhat?! continue de prendre tout le monde, amateurs de fusion jazz/rap y compris, à contre-courant. Du rap avec des tripes, des couilles et un cerveau, qui ne fait pas dans l’anticonformisme musical pour accroître ses parts de marché.

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