Chronique

Mr Lif
I Phantom

Def Jux - 2003

Après avoir fait équipe avec Esoteric et Virtuoso au sein de Rebel Alliance, Mr Lif poursuit, depuis maintenant plusieurs années, une carrière solo mouvementée. Multipliant les sorties, quatre 12 », puis deux EP (Enters the Colossus en 2000 et plus récemment Emergency Rations), entrecoupé d’un album enregistré en public  (Live at the middle east), Mr Lif a procédé étapes par étapes jusqu’à ce fameux premier véritable long format. Après ces années de préparation et de patience, l’heure est enfin venue. I Phantom est dans les bacs. Présentation.

Pour comprendre cet album plus complexe qu’il n’y parait, et en apprécier pleinement les différents épisodes, il faut avant tout en avoir une vision d’ensemble. I Phantom prend la forme d’un récit, exposé en quatorze points, avec un début et une fin, mais dont le développement s’avère plutôt complexe (pour ne pas dire chaotique). Les petites notes et explications laissées par Lif dans le livret sont à ce titre bien utiles, et nous servent d’indices dans cette mini-enquête. Après les avoir décortiqué, on comprend que cet opus expose les rêves, regrets et illusions d’un homme devant faire face à un quotidien où les embûches ne manquent pas. Cet individu dont l’identité n’est pas révélée, recherche ainsi sa voie au sein d’une société Américaine dont Lif ne manque pas de souligner (une nouvelle fois) les multiples incohérences. Quelques thèmes annexes viennent se greffer à ce récit, comme par exemple la colonisation (‘Iron Helix’), ou encore l’holocauste nucléaire (‘Earthcrusher’). Cette dernière étape fait d’ailleurs office de conclusion (après le lugubre ‘Post Mortem’) d’une histoire décidément difficile à cerner.

Pour cet album, Mr Lif (Jeffrey Haynes pour l’état civil) s’entoure à nouveau d’une équipe mixte, partagée entre anciens de Boston (Insight, Edan, Fakts One, Akrobatik) et membres de l’écurie Def Jux (Aesop Rock sur ‘Success’, et bien entendu le maestro El-P(roducto)). Le nombre d’invités et surtout la diversité de leurs influences confèrent à cet album une certaine hétérogénéité. Les atmosphères étouffantes et apocalyptiques concoctées par El-P côtoient ainsi les productions plus classiques d’Insight (à mi-chemin entre DJ Premier et Pete Rock), ou encore Fakts One, dont l’inspiration se situe plus du coté du funk. Assez bizarrement, Edan se retrouve réduit à la portion congrue, ne produisant que le seul ‘Live from the plantation’, quand à Lif il laisse ici de coté son travail de concepteur musical pour se consacrer pleinement au emceeing.

Au final, I Phantom alterne le bon (souvent), le moins bon (parfois), mais aussi le très bon, avec notamment les brillants ‘Success’ avec le toujours impressionnant Aesop Rock, et ‘Post Mortem'(qui voit défiler au micro Mr Lif, El-P, Jean Grae puis Akrobatik). Si chacun des emcees rivalise d’ingéniosité sur ce dernier titre, Lif se montre tout particulièrement inspiré, « Watching the Patriots win the Super Bowl, grabbing that fumble from Rickey Proehl, or my stereo provided me with rhythm and soul, I don’t know, all I know is that I feel guilty for everything I’ve ever bought or sold« . Lif et Aesop Rock se livrent sur ‘Success’ à une démonstration microphonique des plus tonitruantes, avec en fond une réflexion autour de la réussite individuelle et collective. Notre soldat inconnu y revoit sa conception de la réussite (« I was so convinced the household had to always be complete, I didn’t realize the only thing missing was me« ) et commence à refonder une nouvelle famille, qu’il espère soudée. Autre pierre angulaire de cet opus, l’excellent ‘Return of the B-Boy’, scindé en deux parties distinctes. El-P sort de sa manche deux productions radicalement différentes, sur lesquels Lif se déchaîne, enchaînant les phases d’égotrip. L’alchimie entre l’ex-tête pensante de Company Flow et le MC/Producteur de Boston est assez éblouissante. Un excellent morceau.

Malheureusement, I Phantom comporte quelques titres beaucoup moins marquants, nuançant forcément notre enthousiasme. On passe donc rapidement sur l’assez insipide ‘Friends and neighbors’concocté par Fakts One, ou encore le tout aussi inoffensif ‘A glimpse to the struggle’. Enfin, si ‘The Now’ et son récit sur la complexité des relations familiales tient la route, il ne risque tout de même pas de tourner en boucle sur votre platine. D’ailleurs, en y regardant de plus près on se dit que la présence de Fakts One n’était peut-être pas indispensable.

Perçu à l’avance comme une des sorties à surveiller de cette année 2002, I Phantom demeure dans l’absolu un bon album, même s’il manque parfois de cohésion et nous laisse quelque peu sur notre faim. Def Jux continue tout de même sa marche en avant…

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