Classique

Gang Starr
Hard to Earn

Chrysalis Records - 1994

« We had the right idea in the beginning and we just need to maintain our focus and elevate. We update our formulas. We have certain formulas but we update them with the times. The rhyme style is elevated. The style of beats is elevated. But it’s still Guru and Premier, and it’s always a message involved. »

(‘You know my steez’, Moment of Truth)

Laissons de côté nuances et précautions. De tous les groupes et artistes de rap new-yorkais ayant perduré, Gang Starr est le seul qui n’ait cessé de progresser, livrant année après année des albums toujours meilleurs. De No more Mr. Nice Guy (1989) à Moment of Truth (1998), la carrière de Guru et DJ Premier est un long crescendo. Une aventure unique, conclue par un tardif chant du cygne (The ownerz, 2003), tristounet malgré quelques passages de haute volée.

Dans ce schéma, Hard to earn, leur quatrième opus, occupe une place particulière : celle du dernier grand disque avant le chef d’oeuvre. Une place de choix, mais aussi une place ingrate ; forcément comparé, il subit le poids de son successeur, qui le relègue dans la cruelle zone d’ombre absorbant souvent les seconds.

Hard to earn est pourtant l’album de Gangstarr le plus entêtant. DJ Premier, qui connaît en 1994 l’une de ses plus grosses années – il produit sur IllmaticReady to die et l’intégralité de The sun rises in the East… pour n’en citer que trois – y est impérial, capable en trois samples de s’incruster dans un crâne pendant une semaine et de marquer à tout jamais l’histoire du rap (‘Code of the streets’, ‘The planet’ et surtout l’hypnotisant ‘Mass Appeal’). Dans des styles variés, l’album est une suite de classiques, sans temps morts si l’on excepte l’interlude ‘Aiiight Chill…’. Un travail d’orfèvre – aussi bien dans les beats que dans le travail de DJ – qui nécessite une écoute attentive pour se révéler. Les sept notes rondes de basse, roulant sous les sifflements de ‘Tonz’ O’ Gunz’ ou les scratches d’un simple « blip » comme micro-refrain de ‘Code of the Streets’ ne sautent pas aux oreilles à la première écoute… Mais les instrus de Hard to earn sont suffisamment riches pour ne jamais lasser et être redécouvertes au fil du temps, en se focalisant sur un élément différent. Epurée à l’extrême (‘Mostly the voice’ et sa ligne de basse mettant en valeur le discours de Guru sur l’importance de la « voix » dans le rap, ‘Code of the Streets’ et sa boucle) ou dense et complexe (la tornade ‘Brainstorm’, la séparation en trois parties de ‘Speak ya clout’), la musique de Premier fait des merveilles.

Guru, même s’il devient flagrant qu’il rabâche tout le temps les mêmes choses, n’est pas en reste et délivre une série de textes marquants. En quelques phrases, il inscrit son couplet sur ‘DWYCK’, fréquemment scratché depuis, au rang de ses meilleures prestations, qu’il se la joue rudeboy (« Clips are inserted into my gun so I can take the money, never have to run… ») ou parte simplement en vrille complète (« Lemonade was a popular drink and it still is. I get more props and stunts than Bruce Willis ! » – Guru, père spirituel de Chip Tha Ripper ?). Régulièrement monotone, écrasé par les prestations de Jeru et Lil’ Dap sur ‘Speak ya clout’, il parvient néanmoins à s’arracher pour faire honneur à la dernière prod de l’album, ‘Comin’ for datazz’, posant un énergique deuxième couplet.

Loin des représentants du hardcore de l’époque, Premier et Guru livrent quand même un album plus brut que Daily Operation. C’est peut-être ça, la mise à jour de la formule Gang Starr pour cette version ’94 : une musique plus épurée et sèche, pas encore découpée au scalpel comme elle le deviendra quelques années plus tard, mais déjà moins marquée par les atmosphères jazz qu’auparavant. Guru devient plus rugueux, lui aussi. Versant encore dans les textes sociaux (‘Code of the streets’, ‘Tonz ‘O’ Gunz’, sortes de prolongements de ‘Just to get a rep’), il se montre plus offensif dans ses egotrips et ses attaques contre les « wack MC’s ». Pour le pire et le meilleur : Hard to earn compte son lot de punchlines – avec pour point d’orgue l’énorme ‘Suckas need bodyguards’ – mais aussi pas mal de rimes médiocres.

Un long break a suivi la sortie de Hard to earn, que quatre ans séparent de Moment of Truth. Comme un vieux couple, Guru et DJ Premier ont ressenti le besoin de vivre pendant quelques temps leurs aventures solos. La suite de l’histoire est connue : elle fera de Preemo le producteur le plus fameux des années 90 pendant que Guru, malgré les très bonnes suites de Jazzmatazz, ne prendra jamais réellement son envol sans l’appui de son partenaire.

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