Chronique

Prodigy
H.N.I.C. Pt.2

Voxonic - 2008

“This is live from behind the wall / sitting, starring at the wall”

Malade, attaqué, abandonné, critiqué, sous la menace d’une incarcération? Qu’à cela ne tienne, Prodigy encaissera, et reviendra plus fort. Toujours. Plus il chancelle près du précipice, et plus il aime narguer la chute mortelle, bouteille de whisky a la main, blunt entre les lèvres et pistolet dans le blue-jean. Antihéros quasi-parfait, cela fait belle lurette qu’il a mis une croix sur son avenir, si tant est  que ce mot ait déjà fait partie de son vocabulaire. Prodigy n’a jamais vraiment vécu, depuis l’enfance il survit en repoussant la fatalité à la dernière seconde. Jusqu’à la prochaine fois. C’est cette  urgence de chaque instant qui a forgé sa légende : P. parait souvent distancé par le beat, mais finit toujours par retomber chirurgicalement sur la caisse claire à chaque mesure, pour y déposer une part de son Enfer sur Terre.

“Just when you think this shit’s over, that’s when this shit begins”

Son retour en grâce l’an dernier avec l’excellent Return of The Mac a montré, même aux plus sceptiques, que malgré quelques errances, Prodigy n’avait rien perdu de son talent. Du coup, H.N.I.C. Pt. 2 a suscité beaucoup d’attentes, d’autant que le premier volet avait, 8 ans plus tôt déjà, profondément marqué les esprits. Mais entre les crises cumulées de l’industrie du disque et du rap de la Grosse Pomme, les retards de sortie, ses problèmes de santé et sa condamnation pénale, l’accouchement de ce 3ème album s’est fait dans la douleur. Un mal pour un bien ?

“It took me 33 years for me to see the truth”

En ouvrant le bal avec des propos paranoïaques et étrangement antimatérialistes, Albert Johnson prend tout de suite le parti du contre-pied : ‘Real Power Is People’ tient plus du discours d’un Immortal Technique que des habituelles diatribes ultra-capitalistes en vigueur chez Mobb Deep. Surprenant, mais très inspiré, cet état d’esprit plein de rejet et de méfiance sera l’un des points clés de cet album, surgissant par violents à-coups au détour d’une phase ou d’un morceau.

“I write it for the streets, for the hood inspiration”

Pourtant, le naturel revient vite au galop quelques 3 minutes après le coup d’envoi : dès les premières mesures de ‘The Life’, head-banger flirtant avec le rituel chamanique, P. déverse des propos totalement contraires à ceux du morceau précédent ! Tant pis pour la cohérence, mais musicalement, le ton est donné : ambiances glauques et froides, basses à la limite de la saturation… la rupture avec Return of The Mac est sans appel, malgré la présence de The Alchemist sur près d’un tiers des morceaux. Seul ‘Veteran’s Memorial Part II’, ode mélancolique aux proches disparus, se voit gratifié d’un grain soulful et de voix pitchées au refrain. Le reste des productions ne passe qu’entre les mains du duo Sid Roams, d’Apex et de l’autre moitié de Mobb Deep. Et scrupuleusement, tous les beatmakers respecteront une charte musicale en accord avec l’état d’esprit du rappeur : sombre mais racée, la vulgarité flirtant avec l’élégance, la mélodie hésitant entre tristesse et puissance.

“I started with a Mobb but now I got an army”

Est-ce cette foutue parano qui a poussé P. à n’appeler que des (très) proches sur H.N.I.C. Pt. 2? Les habitués ne seront pas dépaysés, avec pour seuls invités Big Noyd, Cormega, Un Pacino, et, surtout, l’incontrôlable Twin Gambino. Cet allié de toujours brille comme d’habitude par son énergie et sa grosse voix, plus cassée et râpeuse que jamais. Ses deux apparitions se démarquent parmi les morceaux à featuring, regrettablement entassés à la fin de l’album.

Cet étrange choix souligne à nouveau le manque de cohésion générale. Cette ambivalence autour de laquelle se côtoient coups d’éclat et coups d’épée dans l’eau tire inexorablement l’ensemble vers le bas. Car si la première -courte- moitié frôle le sans-faute, plus les minutes passent et plus l’auditeur ressent un coup de mou, comme si toute une partie avait été bouclée à la hâte. Seul l’ultime baroud d’honneur, ‘I Want Out’, viendra sauver les meubles, concluant dignement cette troisième escapade en solo de Prodigy.

“And on the youTube, I’m killin’m out there, crazy views”

Pourtant pourvu d’excellents morceaux, et entamé presque parfaitement, H.N.I.C. Pt. 2 laisse au final un petit goût d’inachevé. Indigeste sur la fin, le disque souffre notamment d’un mauvais agencement des pistes… Sans doute que la pression liée aux démêlés avec la justice ont leur part de responsabilité ;  mais alors, pourquoi tant d’inédits, leakés avant la sortie officielle, sont passés à la trappe ? Ainsi l’excellent ‘Dirty New-Yorker’, entre autres, n’aurait-il pas eu sa place dans ce projet ? Trop court peut-être, sorti au mauvais moment sûrement, ce H.N.I.C. Pt. 2 méritait quoi qu’il arrive mieux que cette fin en queue de poisson…  Et tant qu’à faire,  un artwork moins moche n’aurait pas été de refus non plus.

“Fuck it I still won, still undefeated”

Alors que son successeur est d’ores et déjà annoncé pour la fin de l’année, on regrettera que le temps ait manqué à Prodigy pour peaufiner ce qui aurait pu être le nouveau chef d’œuvre que New-York attend fébrilement depuis des années. On se contentera tout de même d’un bon album qui tire son épingle du jeu grâce à d’excellents coups de génie qui excuseront sans mal quelques ratés. Finalement, tout cela reste à l’image d’un personnage fascinant qui oscille perpétuellement entre panthéon et fond du trou.

“Now I’m right back in hell, dunn I’ll be right back / Yeah, but in the meanwhile… »

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