Chronique

Nas
God’s Son

Columbia Records - 2002

Si un titre devait résumer l’année 2002 pour Nas, ce serait sans doute ‘Destroy and rebuild’.

Revenu en grâce après sa vic…, pardon, son coup d’éclat face à Jay-Z lors de leur mémorable échange de venin, l’auteur du classique parmi les classiques Illmatic va voir sa vie personnelle chamboulée. 2002 marque en effet le décès de sa mère, Ann Jones, et la rencontre avec sa future femme, la plantureuse Kelis. Entre coup dur, coup de foudre et coup de gueule, son sixième album God’s son porte les stigmates de l’existence mouvementée de cet artiste déjà vétéran, pas vraiment en paix avec lui-même au vu de ses nombreuses tirades anti-rappeurs cette année-là : Kelis apparaît dans ‘Hey Nas’, le spectre de sa mère hante le touchant ‘Dance’, et les instincts belliqueux du MC transpirent de ‘Mastermind’. Arrivé à un tournant de sa carrière, Nas met fin au leitmotiv graphique de ses précédents albums pour apparaître, regard baissé, dos à l’océan, sur la pochette, loin des bâtiments new yorkais, troquant le cultissime pigeon de Stillmatic pour deux colombes. Une manière judicieuse de prendre ses distances avec l’iconographie d’Illmatic, son chef d’œuvre devenu fardeau.

Conséquence de la prise de bec avec Jay-Z : Nas devient, plus que jamais, obsédé par son propre héritage dans le panthéon du rap. Dans l’intriguant ‘Last real nigga alive’, produit par Ron Browz, il exhume un beef avec Notorious BIG (« who you thought ‘Kick in the door’ was for ?« ), et retrace pêle-mêle dix ans de rap à New York, entre bruits de couloir, fusillades, et trahisons. Eternel seul contre tous, Nas opère un va-et-vient permanent entre vie publique et vie privée, et fait intervenir des noms familiers – Carmen, Ill Will, Jay-Z, Ghostface – pour mieux cimenter sa propre légende. Quelques années après être apparu crucifié dans le clip de ‘Hate me now’ et deux ans avant de réinventer la Cène sur la pochette de Street’s disciple, le Fils de Dieu rempile également dans son rôle fétiche : celui de messie de QB, portant la croix dans ‘The cross’ (« if Virgin Mary had an abortion I’d still be carried in the chariot by stampeding horses« ) avant de tutoyer l’immortalité sur un air de guitare, le temps d’une collaboration virtuelle avec Tupac Shakur (‘Thugs mansion’).

En équilibre pas tout à fait stable entre compositions léchées et sampling classique, God’s son hésite entre rap new-yorkais parfumé au bitume et grosse production professionnelle – Chucky Thompson, Eminem et Alicia Keys sont de la partie. Le résultat ne déçoit pas, le classicisme côtoyant avec succès les prises de risques, comme le final ‘Heaven’ et sa rythmique casse-nuque. Seul talon d’Achille de Nasir : sa confiance aveugle envers Salaam Remi, honnête artisan qu’on aimerait adorer, mais qui ne réussit pas à déclencher l’enthousiasme : entre fausses bonnes idées (superposer le breakbeat ‘Impeach the President’ à ‘La lettre à Elise’ dans ‘I can’), et vraies trouvailles (‘Zone out’, culotté), le multi-instrumentiste livre une partition correcte mais scolaire. On lui préfèrera nettement les beats d’Alchemist – moins ambitieux mais plus efficaces – qui applique avec une étonnante constance la théorie du « less is more » en triptyque : dépouillement sonore dans ‘Book of rhymes’, futurisme passé dans ‘Mastermind’ et soul joyeuse dans ‘Revolutionary warfare’.

Même si, de temps à autre, Nas tente de capturer des bribes de passé sur des boucles vintage (‘Made you look’, ‘Get down’), le confort et l’expérience ont depuis longtemps transformé l’urgence de ses premières rimes en savoir-faire. Un public à la nostalgie forcenée ne manquera pas de souligner les faiblesses de God’s son – un peu propret, un peu terne – mais ne pourra nier que Nas maîtrise son « street-hop » sur le bout des doigts : avec une facilité déconcertante, il transforme quelques bouts de textes avortés en un morceau-concept magistral, ‘Book of rhymes’. Un mini-classique au milieu de titres solides, pour un album concis (14 morceaux) et cohérent dans ses choix de productions. Désormais conscient que tout ce qui brille n’est pas toujours d’or, Nas signe avec God’s son un disque personnel et adulte. Sans comparaison nécessaire.

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