Chronique

Rick Ross
God forgives, I don’t

Def Jam Recordings - 2012

Ne sous-estimez pas Rick Ross. Les dernières années ont prouvé qu’il était capable de tout. Notamment de retourner une situation largement compromise. Avec une confiance inébranlable et une carapace ultra-renforcée, Rozay a éclipsé le passif encombrant de William Roberts pour devenir un incontournable. Une figure reconnue et respectée dans la chaîne alimentaire du rap. Toujours à mi-chemin entre la fiction et la réalité, porté par une dimension théâtrale, l’autoproclamé « bawse » semble aujourd’hui au sommet de son ascension. Jusqu’à s’approcher du ciel. La déification, évoquée implicitement au travers de ce titre God forgives, I don’t, et régulièrement suggérée, n’est qu’à un pas. Et on ne doute pas qu’il sera bientôt franchi.

Cinquième chapitre d’une saga digne des Corleone, God forgives, I don’t n’a rien de surprenant. Il est même très exactement en ligne avec ce qu’on attendait. Avec cette élégance sophistiquée et le caractère imagé de ses prédécesseurs, Deeper Than Rap et Teflon Don en tête. Il s’inscrit pleinement dans cet univers rutilant perdu entre luxe et luxure, grandeur et décadence, univers criminel et grand spectacle. L’atmosphère musicale, assurée par une équipée élargie, suit une certaine unité de ton, oscillant entre l’orchestration massive et étincelante (« Amsterdam », « Ten Jesus Pieces ») et les montées en pression portées par des vagues de synthés ravageurs (« Hold Me Back »). Et si on retrouve le trio Justice L.E.A.G.U.E. derrière plusieurs joyaux, les contributions individuelles se fondent dans un collectif, une cohérence éclatante. Parfaitement exécutées, elles laissent le personnage Rick Ross – mi-ogre, mi-démon – au centre de l’attention et de la lumière. Et les nombreux convives ne portent aucun ombrage au maitre des lieux. Enfin, en dehors d’Andre, et dans un tout autre registre de Meek Mill.

Ils sont pourtant nombreux les invités aux festivités. Avec d’un côté les références absolues – Jay-Z, Dr. Dre, Andre 3000 – autant de signes extérieurs de richesse et de preuves manifestes de succès. Un peu comme ces breloques de guerre qu’on affiche ostensiblement pour rappeler ses états de service. De l’autre côté, on retrouve les poulains de l’écurie maison. En bon gestionnaire, le parrain de Maybach Music Group convie Stalley, Wale, Meek Mill et Omarion, soit autant de pions placés sur la table des jeux et autant de gains potentiels. En attendant la vérité, il laisse la roulette (russe) tourner et les sous-fifres s’agiter. Il quitte parfois son costume, taillé sur mesure, du hustler froid pour dévoiler un amour récent pour le rap. Le thème de « Sixteen » reflète justement cet état de fait pas dénué d’ironie.

« Get a blow job, have a seizure on a Lear. (« Maybach Music IV ») »

En apparences anecdotiques, ces quelques mots en disent pourtant long. Ils symbolisent cette capacité à rebondir et à transformer en glorification un évènement dramatique. L’attaque cardiaque devenue une forme d’autocélébration, tous les évènements semblent bons pour conforter un peu plus le mythe de l’intouchable parrain. Le personnage Rick Ross reste au-dessus de toute réalité et la fumée de ses cigares cubains ne sauraient assombrir l’éclat du gros barbu. Avec le luxe indécent et l’ascension jusqu’au sommet pour thèmes fondateurs, God forgives, I don’t n’offre rien de fondamentalement novateur. Il consolide un peu plus le personnage en glissant par instants des souvenirs d’un passé moins ostentatoire. Mais ces brefs élans nostalgiques n’ont rien d’une confession, ils servent de respirations à cette apologie caricaturale.

« I multiplied my hustle, stimulated my mind, motivated my niggas and we’ll never divide, no! (« Hold me back ») »

Avec tous ses signes extérieurs de richesse, God forgives, I don’t ne manque ni de dorures ni de joyaux. Pourtant, en dépit de quelques succès manifestes – « Sixteen » et « Hold me back » – il ne constitue pas un sommet absolu, plutôt une conclusion cohérente à une dynastie déclinée en cinq actes. Une dynastie qu’on imagine bientôt conclue par une fin soudaine et violente. « Like a Bawse. » Une question demeure néanmoins : quand ?

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