Chronique

Youssoupha
Éternel Recommencement

Bomayé Musik - 2005

C’est étrange comme le rap paraît simple parfois. Prenez une entêtante boucle de piano, un MC avec des idées plein la tête, donnez lui un micro et laissez le rapper plus de 6 minutes. A l’arrivée, on obtient ‘Eternel recommencement’, titre phare de ce street dvd qui fut le premier projet de Youssoupha en solo. Morceau choc que tous les rappeurs rêvent de faire. Rien d’inédit pourtant comme le précise le maître de cérémonie avant de commencer à « brailler sur des dizaines de mesures. Tout ce qu’il dit a déjà été rappé par ses prédécesseurs et sera repris par les suivants. Pourtant, ces 6 minutes 12 nous laisseraient presque sur notre faim tant la nuque ne s’arrête pas de faire des va et vient au rythme des rimes acérées du MC. Pas de refrain, juste une avalanche de mots. Voilà comment Youssoupha s’est présenté au monde.

Si le morceau ne se voulait pas original, le format du projet l’était davantage. Au lieu de proposer un street-cd, le lyriciste Bantu sort un street dvd. Même si les 10 morceaux (11 avec ‘Le Rapporteur’, morceau rétrospective de l’année rap français 2005) constituent l’intérêt principal du projet, le DVD a le mérite de nous en apprendre davantage sur le protagoniste principal. Son histoire, son entourage, ses fans (qui comptent Olivier Besancenot parmi eux) ses influences…Ces différents points sont abordés sans longueur et permettaient d’annoncer le premier album du MC, Négritude.

« Les tiens, les miens et rien qu’une différence »

Outre le titre éponyme du projet, le disque regorge de temps forts. ‘Toubab’ est sans conteste l’un d’eux. Youssoupha s’interroge alors sur la place en France des immigrés, de ces « blédards devenus banlieusards » et sur les rapports qu’ils entretiennent avec les « locaux », les Blancs. Là encore, le sujet n’est pas nouveau et d’autres rappeurs avaient déjà évoqué la relation ambiguë qui peut résulter de cette cohabitation. Le morceau rappelle immanquablement un couplet de Dany Dan posé sur ‘Immigré life’ :

« J’habite la ville de Boulogne mais bon je viens de Centrafrique,
Paris mon île, la Monopolie géante,
La Tour Eiffel me fait de l’ombre, rend plus sombre mes gens,
Pour dénigrer mon pedigree les Occidentaux sont forts,
En France 15 % d’entre eux rêvent de me jeter dehors,
Ils ont foulé du pied les astres,
Pour eux le futur est dans l’espace car ils savent déjà que sur la Terre leur œuvre est un désastre,
Même si ce sont des as de la science,
Même si leur médecine m’a maintes fois sauvé la vie depuis ma plus tendre enfance,
Ils ont exterminé des peuples, réduits d’autres aux rang d’esclave,
A la pensée d’un Jésus Christ noir, de rire ils s’exclament,
Mais à quoi bon les maudire? Mon téléphone cellulaire,
Tous les jours, me rappelle que je vis dans leur univers, leur hémisphère,
Beaucoup d’entre eux sont mes amis,
Mais le monde est le monde et à chacun sa vie. »

Youssoupha semble ainsi prolonger le « A quoi bon les maudire ? » du Sage Poète lorsqu’il dit « J’ai longtemps cru que te haïr me rendrait plus fort« . On peut souvent entendre des immigrés manifester leur déracinement. « Etranger ici, étranger au bled » est une phrase récurrente. Rares sont les rappeurs qui sont parvenus, avec autant de facilité, à traduire ce malaise. Sans diaboliser la France ou enfermer l’Afrique dans des clichés exotiques. Il ne s’agit pas de placer d’un côté la France en simple bourreau et les Etats Africains en victimes d’une politique esclavagiste et coloniale aux retombées encore actuelles. Il y en a autant pour le vice des multinationales qui confondent le continent africain avec un plateau de Monopoly que pour la corruption qui ronge trop de gouvernements africains.

Au fil des 10 morceaux, Youssoupha s’efforce de conserver cet équilibre dans le discours. En même temps qu’il subit le racisme et les différentes formes de discrimination, il fait très attention à ne pas tomber dans la complainte pure et simple. Contrairement aux autres membres de sa famille restés au Zaïre, Youssoupha vit en France et, malgré les aléas du quotidien, est définitivement un privilégié. En relativisant sa situation (« Mais j’ai arrêté de geindre, moi je suis official dans l’espace Schengen donc plus vraiment à plaindre »), il conserve une pensée pour eux et les met carrément à l’honneur lors d’un ‘Post Scriptum’ qui leur est destiné. Encore une fois, Youssoupha est tiraillé entre ses soucis de banlieusard (« Si les gars achètent mon disque ça sera strass paillettes sinon ce sera un vigile de plus à Lafayette ») et la volonté de ne pas avoir de mots déplacés envers ceux restés au « bled » (« Et dire que je crie à l’aide, je t’imagine en train de rire de mes soucis de Parisien de merde »). Le propos renvoie aux récentes interviews données par Baloji à l’occasion de la sortie de son dernier album. Hotel Impala a été démarré après que l’artiste ait reçu une lettre de sa mère restée au Congo et dont il n’avait plus eu de nouvelles depuis des années. Lorsqu’il y est retourné pour offrir son disque à sa mère, il précise que les choses se sont mal passées, que lui ramener un CD était quelque chose de « déplacé » comme pour souligner une nouvelle fois le clivage entre ici et là bas.

Né en Afrique et vivant en Europe, Youssoupha est porteur d’une véritable double identité qui le distingue de bon nombre d’autres rappeurs français. Dans le DVD, Youssoupha révèle que, lorsqu’il devait mentionner son département plus jeune, il n’inscrivait pas 95 ou 93 mais 99. Qu’il le veuille ou non, Youssoupha apporte, au moins malgré lui, du sang neuf dans le microcosme du rap français. Son histoire particulière semble l’interdire de se conformer aux différentes tendances auxquelles le rap peut être soumis et lui imposer une sincérité à toute épreuve. Le rap n’a jamais été aussi racailleux ? Youssoupha s’exclue lui-même de la tendance (« si un lascar ne pleure pas alors je veux pas être un lascar »). Le rap n’a jamais été aussi léger et matérialiste ? Youssoupha contourne le mouvement en réaffirmant son identité (« J’aimerai écrire sur les belles blondes mas putain je viens du Tiers Monde« ).

On comprend aussi que Youssoupha est un véritable passionné de rap. De M.O.P à Oxmo en passant par Tupac et Lino, les références sont nombreuses et démontrent qu’avant de prendre le micro, Youssoupha a d’abord été un fan. Qu’il se lance en egotrip ou qu’il lâche des morceaux à thèmes, il ne perd jamais une occasion de rendre hommage à ses aînés. Dans le registre des morceaux à thèmes, il serait d’ailleurs difficile de ne pas parler de ‘Youssoupha est mort’. Quand Oxmo partait d’un enterrement pour s’interroger sur la sincérité des rapports humains, Youssoupha met carrément sa mort en scène. Simple et efficace, le beat de Bee Gordy est sublimée par le MC qui semble parler directement de l’au-delà.

« Tu bouges la tête machinalement parce que ma rime est trop sophistiquée »

Au delà de la sympathie qu’on peut avoir pour le personnage, Youssoupha démontrait donc tout le long de ce projet qu’il possède également des aptitudes hors normes. En effet, il s’imposait d’emblée comme un de ces rappeurs sachant allier fond et forme sans que l’un empiète sur l’autre (« Je mélange mes fantasmes et mes peines comme dans ce rêve où ma semence de nègre fout en cloque cette chienne de Marine le Pen »). Si le flow de Youssoupha est moins technique, il n’en garde pas moins une spontanéité qui colle parfaitement avec le propos du disque.

« La Négritude en France, voilà un sujet qui fâche »

Finalement, Négritude n’aura pas vu le jour. En tout cas, pas dans la forme souhaitée au départ. Pourtant au détour de plusieurs apparitions, Youssoupha nous avait rabâché ce titre emprunté au concept créé par feu Aimé Césaire. Malgré sa volonté affichée d’en découdre avec le formatage de certaines maisons de disques (« L’histoire m’enseigne que la différence ne nuit pas à la cause et tout ira bien tant que tu considèreras pas le rap comme ta chose »), l’album s’est finalement appelé A chaque frère. On ne saura jamais dans quelle mesure l’album correspond véritablement à ce que Youssoupha voulait faire initialement. Quoi qu’il en soit, le meilleur morceau d’A chaque frère se nomme ‘Eternel recommencement’. Comme si, à la manière d’un Nas, Youssoupha s’était dépassé dès son premier projet, se condamnant ensuite à éternellement chercher à retrouver cet état de grâce.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*