Chronique

Nemo Nebbia
En Direct du Brouillard

Seconde Lecture - 2013

Dès l’iconographie de sa pochette et les premiers mots de son disque, Nemo Nebbia la joue à la façon d’un sous-marin. Il est vrai que les six pistes d’En Direct du Brouillard naviguent comme un submersible. Planqué ou non derrière un périscope, Nebbia sent les choses et les rend au centuple, dans des titres qui transpirent l’errance. Sans se contenter d’effleurer la surface, il en fait surgir ce qui aurait pu faire tanguer n’importe lequel d’entre nous. Voire le couler par le fond. Finalement, jamais un sous-marin n’a tant eu des allures de vaisseau fantôme. Alors, sorte de Hollandais Volant la musique de Nemo ? En tous cas, sur des instrus signés de son « frère de son » Raistlin [Avec lequel il formait le groupe La Moza en compagnie de Boosta, NDLR], le phrasé du Grenoblois mouline le fond et la forme, touche à « l’abysse de l’esprit ». Et à celui qui lui dira qu’il « intellectualise beaucoup trop », Nebbia tendra un miroir qui oxymorise le mythe de Narcisse. Le propos est limpide, le maniement des syllabes irréprochable, et le reflet est celui d’une glace fissurée. Recommandation formulée au cours du disque : limiter les parties de « cache-cache avec soi-même ». Il y a ceux qui hissent les voiles, et ceux qui se voilent la face. Nebbia a choisi sa mythologie, ou plutôt, sa ligne de conduite : c’est celle des navigateurs et marins. Explorateur, mais jamais en fuite. Ou presque.

Sans boussole mais en regardant « la poussière d’étoiles », faisant du porte à porte en compagnie du doute, en passant devant « la légèreté qui repose en paix », Nebbia dézingue donc la route des Indes, rigole en tournant en rond autour du Cap Horn et détourne les détroits à coup de sarcasmes poétiques et cinglants. Avec ses quelques énièmes lunes en guise de repères, le MC ne navigue pas tout à fait à vue mais se faufile plutôt « entre kick et snare ». Dans un EP où la poussée d’Archimède se sent parfois pousser des ailes grâce à des dédoublements de placements posés sur basses bien rondes, Nemo Nebbia ne se noie pas dans les éléments mais aspire plutôt à s’y fondre. « Si la douleur est sourde, je rappe en langue des signes » semble d’ailleurs se répondre à lui-même le MC, dans un flow qui évoque l’enchaînement de vagues fluides et bien calées entre des refrains torpilleurs et des couplets qui laissent écume et houle sur leur passage. De la solitude, des années qui défilent en roue libre, des ambitions et angoisses en guise de terrain de jeu, voilà le débit d’En Direct du Brouillard. Et pas la peine d’y chercher du dépit. « Je déplace un tout petit pion entre frustration et création » explique Nebbia avant de rappeler ce qui est sûrement l’essentiel : « Tant que ça reste ludique et que ça bouillonne, je crée, ça crépite comme les rails du métro new yorkais ». Résultat ? « Une musique qui en cas de court-circuit sert de fusible ».

Si urgence, utilisez donc un brise-glace ? En tous cas un peu bipolaire, entre le « tu » et le « je », entre la brume et les étoiles, avec le moral entre marée haute et marée basse, le rappeur délivre « un rap conscient de ses limites » et vogue sur un océan d’essence. Dans un monde où tout reste possible mais où le plus simple reste encore de courir à sa propre perte, En Direct du Brouillard allume ses feux de position, joue au feu follet dans un paysage brumeux. Mieux, il déplace le bûcher des vanités au fond de l’Atlantide, entre critique personnelle, sociale et feu de joie rempli de défiance et d’impertinence. Le grand bleu dissout dans l’encre noire et les abysses. Cousteau Musique par un MC qui se dit capable de se noyer dans un verre d’eau mais qui finalement régurgite la tasse que l’on a tous bue un jour. Un EP pour ne plus « trinquer seul à sa dernière crise solitude aigüe. » Santé !

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