Chronique

Esoteric
Egoclapper

Fly Casual - 2007

Une envie de s’autoriser une petite thalasso musicale des neurones ? Voici deux grandes familles qui ouvrent largement leurs bras. D’un côté, un bon vieux boom-bap tranquille, nourri d’influences jazz et soul. Ayant définitivement enterré son passé révolutionnaire, le label Rawkus a maintenant largement investi ce créneau. Prenons par exemple le récent album de Panacea, The Scenic Route : une pochette montrant deux braves types s’affrontant benoîtement à un jeu vidéo pacifique, une atmosphère vaguement onirique à coups de longues boucles moelleuses, un discours à l’éclairage tamisé… bref : du rap pépère. De l’autre côté, un non moins bon et vieux rap bourrin, bête et méchant. C’est là qu’après le Ritual of the Battle de Army of the Pharaohs, intervient l’un de ses membres faisant cavalier seul, Esoteric.

Sur sa compilation Too Much Posse, le MC/producteur annonçait un album qui devait s’intituler Saving Seamus Ryan, du nom de son auteur dans le civil. Il promettait quelques surprises avec un « very dark, very conceptual, very « murder-death-kill » type of recording« . Le titre a changé ; pour le reste, à condition de ne pas être trop regardant sur le conceptuel, il n’a pas menti.

Vu la proximité chronologique des deux sorties, une discographie en dents de scie, et un Esoteric lassant à trop hautes doses, on pouvait craindre malgré tout qu’Egoclapper soit sans intérêt. Et on se tromperait. Bien sûr, l’album n’invente rien, mais un peu comme le Eastern Philosophy de Apathy, il perpétue une tradition avec un indéniable savoir-faire et surtout un souci du détail plus affirmé qu’il n’y paraît. Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, le Bostonien signe les deux tiers des productions, dans un registre hardcore éprouvé et efficace. Par-dessus, il s’applique à ce qu’il fait de mieux : balancer un flow énergique, pour ne pas dire teigneux, sans doute pas très varié, mais percutant à souhait. ‘Typhoons in Japan’, qui reprend le style à double temps adopté sur le couplet posé en compagnie de Kool Keith sur ‘Daisycutta’, en témoigne.

Esoteric n’est pas en mesure de faire oublier les rares et éphémères errements musicaux, comme le bruit de casserole qui constitue la première partie de ‘Zombie Combat’, que la suite du morceau rattrape heureusement en changeant complètement de direction avec les platines aux commandes. Mais on aurait mauvais jeu de faire la fine bouche : dans le genre battle-rap, des morceaux comme ‘Watch the Pro’, avec son ambiance tantôt de film d’action et tantôt à suspense, rehaussée par les cuts de 7L, atteignent leur cible. En plus, l’homme sait plutôt bien s’entourer : les tirs groupés sont fidèles aux attentes, les invités font globalement bien leur taf, en particulier Celph Titled (plus convaincant qu’un Termanology, par exemple). Parmi eux, Raydar Ellis se détache en se montrant aussi bon au micro sur ‘Boston Garden Rap’ que derrière la console, avec une production qui place quelques notes de piano dans un monde de beats bruts (et pas moins de deux compères pour s’occuper des cuts).

L’hôte du Pterolab n’est pas réputé pour être un grand lyriciste. Il s’est plutôt spécialisé dans la punchline de petit calibre. Les titres des morceaux et de l’album disent clairement qu’on ne fait pas dans le storytelling inspiré (« You and your stupid horrorcore« , se désole une voix dans un interlude…). C’est donc avec étonnement qu’on relève quelques allusions politiques inattendues (« Politically I’m to the left of Teddy Kennedy / That’s how I want you to remember me« ) dans un style où la nature reprend quand même vite le galop (« ’cause damn dudes are pussies like a right-wing is lyin‘ »). Et puis on ne pourra pas lui reprocher son manque de hauteur de vues, puisque Egoclapper puise ses références à la fois dans la préhistoire (le rappeur étant affecté d’un syndrome étrange consistant à se prendre pour un ptérodactyle) et dans la science-fiction, grâce à de multiples extraits de films et de séries B, de jeux vidéos et de publicités débiles. Le tout avec la bonne idée de ne pas les parquer dans des interludes sans fin (à l’exception d’une intrusion dispensable du père d’Esoteric sur répondeur), pour en truffer l’album un peu partout, dans les couplets comme dans les refrains, en les intégrant pleinement à la texture sonore. Esoteric honore ainsi un art du collage qui reste l’une des inventions les plus géniales et les plus délaissées du rap. Il s’amuse au passage à retoucher et trafiquer certains extraits : dans l’un d’eux, il s’arrange pour qu’une femme s’exclame bizarrement : « Sometimes I think he should have married his mic instead of me« .

Ajoutée aux échantillons vocaux, la présence de variations instrumentales sur plusieurs morceaux (le deuxième couplet de ‘Typhoons in Japan’ enchaîne plusieurs samples) contribue à la richesse de l’ensemble, si bien que les moments trop répétitifs, dont la production de The 45 King, font un peu tâche. Les scratchs furieux de 7L sont aussi pour beaucoup dans la réussite de l’entreprise, agréablement teintée de réminiscences old school (‘Ego Empire’). Bref, on n’aurait pas forcément misé sur Esoteric pour nous pondre une des très bonnes galettes de l’année – et pourtant. C’est souvent con, mais putain que ça défoule.

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