Chronique

Seth Gueko
Drive by en caravane

Neochrome - 2008

« L’amour c’est comme la guerre car je tire des coups avec des canons, avec une bécane on n’écrase pas un camion ». Il y a deux constantes face au talent : le foisonnement d’imitateurs et l’émulation source de nouveaux talents originaux plus grands encore. Si Booba a quelque chose du Roger Federer du rap en français de ces dernières années – « j’ai créé un monstre » déclarait d’ailleurs ce dernier à propos de son obligation d’excellence -, alors Seth Gueko est en passe de devenir son Novak Djokovic, l’homme qui restera dans l’Histoire comme celui qui priva le Suisse d’une onzième finale d’affilée en Grand Chelem (là où en atteindre ne serait-ce qu’une constitue déjà un Graal en soi). L’un cultive le port de tête altier de celui qui a jadis planté sa raquette au sommet de la montagne et y est resté, n’entendant en redescendre qu’à l’heure où lui seul l’aura décidé. L’autre est en pleine ascension, mâchoire serrée malgré l’autodérision de façade, mollets en feu et regard tendu vers l’horizon. Sur son dos, un sac bourré de nouilles chinoises, d’un réchaud et d’un coup de gnôle au cas où le zef et les nuages rendraient le soleil froid et la sueur glacée… Longtemps l’un regarda l’autre de haut avec l’indifférence du Neuilléen face au dalleux. Longtemps l’aîné fut seul et le cadet bien loin en contrebas. « Wesh ma frère, si je compte mes deux bras j’ai cinq jambes » : bardé d’un humour d’opérateur de transpalette de marché-gare en contrat chez Adecco et d’une tête à jouer dans « 13 Tzameti », « Les démons de Jésus » ou dans un bon vieux Jaume Balaguero, le dauphin a aujourd’hui de quoi faire sérieusement flipper l’ourson, mononucléose de ce dernier ou non.

« C’est pas un bon vent qui m’amène c’est le cyclone Katrina ». Venu de Saint-Ouen l’Aumône dans le 95, né d’une mère russe et d’un père italien, Seth Gueko est de cette génération DVDvore qui aurait pu chanter l’an 2001 avec Pierre Bachelet mais finalement non. En lieu et place, l’homme qui propose à ses détracteurs de venir « faire du bilboquet avec [s]on plus grand doigt » se fit connaître au début de la décennie 2000 sur diverses compilations du label Neochrome et le maxi « Mains sales ». En 2005, « Barillet plein » leur permit, sa « tête de Roumain », son « zgueg de poulain » et lui, de se faire connaître au-delà du cercle des featurings, notamment via un morceau tourbillonnant et patateux postillonné à l’ombre de la casquette de Sefyu. L’hiver 2007 ? L’occasion d’enfoncer le clou avec un « Patate de forain » punchlinesque à souhait, même si ce street-CD démarré sur des chapeaux de rouquins semblait s’essouffler au fil des pistes. Enragé plus qu’engagé, turbulent autant que truculent, l’artiste qui jouait avec les onomatopées comme un enfant avec ses matières – « Zdédédédex ! » –  était-il allé au bout de son envie de dire ? La question méritait d’être posée au jour de la sortie de « Drive-by en caravane ».

« Chaque matin j’ai la tête dans le cul mais c’est pas le mien. » L’esprit de ce deuxième street-CD aux accents de one-man-show ? Une vitrine pour le lobby manouche popularisé par le film « Snatch » de Guy Ritchie. Du rap stand-up – une phrase, une gifle -, passé des jantes alu à la tête de Delco, de la carrosserie qui luit à ce qu’il y a vraiment sous le capot. Du rap qui sent le cambouis, la rustine et le Pento, les barbeuks à cinquante moustaches et les tournées où l’on trinque au gobelet voire au goulot. Seth Gueko rend hommage à cette frange du pays érigée en fratries, chez qui les filles sont au pire des trous, au mieux une matière à plaisanterie – sauf les mères, pardi. Il fait l’apologie de ces monologues anisés où « emboutir » se dit « pare-choquer » et « être heureux » se dit « gicler ». Il cause de cette étrange pudeur qui permet à la caisse et au chien d’être sortis plus souvent que la sœur ou l’épouse, entre deux soirées yam’s aux chupitos sur fond de matches de K1 et trois descentes entre couilles dans les boîtes à mannequins pas chers de la proche frontière.

« Si on a les yeux bleus c’est à cause des gyrophares ». Egalement connu sous les noms d’Al Poelvoordino – contraction de Benoît Poelvoorde, son presque sosie, et d’Al Pacino -, « Louis de Fufu avec un big zifu » ou Patrick Sébastos, le MC à « la chevalièèère » ne roule pas seul, loin de là. C’est même plutôt le genre à se déplacer en convoi. Pas moins d’une trentaine de producteurs différents sont ainsi crédités sur ce 2 x 15 pistes. Cela aurait pu nuire à la cohérence et à l’homogénéité du projet ? Il n’en est rien. Une décennie de patience n’est parfois pas de trop pour se créer son propre univers et se forger une véritable identité… Côté invités, l’hôte a beau avoir tout ce qu’il faut en magasin pour scotcher tout seul l’auditoire – cf. la pirouette finale d »E-a-é-in-an’ -, il fait tour à tour croquer Rim.K, Hamza, 25G, Al KPote, Ous-D-Ous, Zessau, Aka, Farage, Nourou, Kamelancien, Despo et Sidi-O. Parmi ceux-ci, une révélation et une confirmartion. La révélation, c’est 25G. Sa prestation sur ‘Cabochards’ a occasionné l’un des clips les plus enthousiasmants de ces dernières années (pour info, les Chiennes de garde n’ont pas voté), en forme d’hymne aux terrains vagues, aux ongles noirs et à la débrouille… La confirmation, c’est Al KPote, à qui il devient urgent de prescrire un rééquilibrage hormonal. Deux exemples pour en juger : son intro sur ‘D’Evry à Saint-Ouen l’Aumône’ (« Brûlez… Hurlez… Buvez… Sucez bande de putains ! ») et son refrain sur ‘Moyen du bord’ (« Puceau ça sent la mort, on va te fister le cul avec le museau d’un labrador »), le reste étant à l’encan : « Je marche torse nu sur la tête j’ai mis le T-shirt, non ne me prends pas pour un débile petite sœur… » Heureusement, Seth est là pour faire les présentations : « Serre l’anus, v’là les suppôts de Satan… »

Arrivé à la fin des deux disques, l’auditeur se retrouve dans la même situation qu’un téléspectateur en fin de journal de 20 heures. A la question « pouvez-vous m’en faire un résumé ? », les deux sont embêtés. Que retenir de ce déluge d’invectives gratuites – « Monte sur ma bite, pédale avec mes couilles » – et d’instantanés glauques que ce cerveau fertile a eu l’improbable mérite de rendre lumineux ? Certains parlent d’hypnose, d’autres de talent. Sako, lui, parlait de « larmes d’inanité » et touchait ainsi de très près au qualificatif approprié… « Voir mes yeux c’est voir mon coeur, idiote, j’enlèverai mes lunettes que quand t’enlèveras ta culotte » : ce n’est pas du bruit qu’il faut se méfier, mais du silence. A l’instar de cet adage bien connu des maquisards et des braconniers, le plus fascinant dans « Drive by en caravane » est tout ce dont Seth ne parle pas. Mâle pudeur qui cultive l’outrance pour mieux effleurer l’évidence et les plaies – un paradoxe particulièrement palpable sur les titres ‘Marche funèbre’ ou ‘Tête de brique’ (prod crépusculaire de Tony Danza)… Dans la vraie vie, Seth Gueko est père de famille et annonce à qui veut l’entendre un album à venir aux thématiques autrement plus personnelles. Comme jadis le cinéaste mexicain Alfonso Cuarón, passé de « Y tu mamá también » à « Children of men » alors que peu de gens l’en pensaient capable… Booba devrait se méfier.

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