Classique

Ice Cube
Death Certificate

Priority Records - 1991

« J’ai regardé la télé ce matin. Ils disaient que le monde où on vit est violent, c’est un monde de violence. Et ils montraient tout plein de pays, avec des étrangers qui y vivent. Alors du coup je me suis mis à gamberger : ou ils veulent rien savoir, rien montrer ; ou ils se fichent pas mal de ce qu’il se passe ici. » (Ice Cube alias « Doughboy », dans le film de John Singleton « Boyz ‘N The Hood »)

A ceux qui ne voulaient rien savoir et rien montrer, Ice Cube -O’Shea Jackson pour l’état-civil- avait fourni un premier compte-rendu en 1990, l’explicite AmeriKKKa’s Most Wanted. Un « ghetto report » aux lyrics bruts et au funk gras réalisé sous la houlette des producteurs de Public Enemy, le Bomb Squad. Mais aussi un succès retentissant, certifié disque de platine en trois mois. Il enchaîna dans la foulée avec le EP Kill at Will et le film Boyz ‘N The Hood avant de sortir fin 1991 ce Death Certificate, brûlot social et politique jeté à la face de l’Amérique blanche ; un album annonciateur pour beaucoup des émeutes qui enflammeront Los Angeles en avril 1992 après l’acquittement des policiers ayant tabassé Rodney King.

Les jheri curls rasées, la plume trempée dans l’acide, l’ex-Nigga With Attitude dresse le portrait de la situation alarmante des jeunes noirs américains en ces années républicaines (Reagan puis Bush). Pour cela, il divise son album en deux parties : d’un côté la « death side« , « a mirrored image of where we are today » et de l’autre la « life side« , « a vision of where we need to go« . Les maux dont souffre cette jeunesse sont multiples : tout d’abord les armes et la violence, que celle-ci vienne de l’extérieur (les brutalités policières dans l’interlude à la fin de ‘My Summer Vacation’) ou de l’intérieur, le fameux « black on black crime » (‘My Summer Vacation’, ‘Man’s best friend’, ‘Alive On Arrival’), la came (‘A Bird in the Hand’), les maladies sexuelles (‘Look who’s burnin » et l’interlude faussement humoristique à la fin de ‘Givin’ Up The Nappy Dug Out’). Pour s’en sortir, la communauté noire devra resserrer les rangs (« Unite or perish »), avoir une vision claire de ses erreurs et les corriger (‘Us’) et ne pas oublier qui elle est ni d’où elle vient (‘True To The Game’). En vue de cette élévation il lui faudra s’affranchir d’un certain nombre d’obstacles : l’Amérique blanche raciste dont l’Oncle Sam est le symbole (‘I Wanna Kill Sam’, la pochette est explicite), les communautés coréenne (‘Black Korea’) et juive (Cube lâche quelques rimes « ambigües » dans le diss track ‘No Vaseline’ dirigé contre ses anciens partenaires de NWA et encourage à la même période la lecture d’un ouvrage fumeux au titre évocateur, « The Secret Relationships Between Blacks and Jews« ). Ice Cube préconise l’adhésion à la Nation Of Islam de Louis Farrakhan (« the best place for a young black male or female« ), génératrice de meilleures valeurs et de nouveaux repères pour cette génération perdue et agonisante.

Véritable chronique urbaine, Death Certificate transpire l’urgence et la colère. Quitte à heurter. On le taxe de racisme à cause de ‘Black Korea’ et de ‘No Vaseline’ ? « Je n’ai pas le temps d’être anti-Juif, anti-Coréen ou ce que tu veux. Je suis trop occupé à être pro-Noir, tu piges ? »*, répond le principal intéressé. De même, la légendaire misogynie d’O’Shea Jackson, dénoncée par les associations féministes fatiguées d’entendre des « bitch » à longueur de couplets, trouve son point d’orgue dans l’hilarant ‘Givin’ Up The Nappy Dug Out’. Bref, le « nigga you love to hate » a compris que le scandale lui permettait de décupler ses ventes, et il s’en sert. Passé maître dans l’art du story telling depuis les excellents ‘You can’t fade me’, ‘Once Upon A Time In The Projects’ et autres ‘A Gangsta’s fairytail’ (« AmeriKKKa’s Most Wanted »), Cube enfonce ici le clou avec quelques nouveaux joyaux du genre (‘My Summer Vacation’, ou encore le glaçant ‘Alive On Arrival’, récit de sa propre mort).

S’il reste dans la droite lignée de AmeriKKKa’s Most Wanted, ce second LP sonne néanmoins plus brut et dépouillé que son prédécesseur. Les Boogie Men (Bobcat, DJ Pooh, Rashad) ont remplacé les new-yorkais du Bomb Squad. Sir Jinx, le camarade de la première heure avec lequel Cube avait fondé le groupe C.I.A. avant l’épopée NWA, est toujours là. Les samplers, eux, restent gorgés de funk. Roger Troutman et son Zapp, George Clinton et son Parliament, le Gap Band et les Meters forment la colonne vertébrale de ce Death Certificate dopé aux lignes de basse grasses et aux breakbeats claquants et ravageurs. A des années lumières de la nonchalance de la vague G-Funk dont accouchera la Californie quelques années plus tard, la musique est ici agressive et virulente, pleine de ruptures, prenant l’auditeur aux tripes et à la gorge. En un mot comme en cent : irrésistible.

S’appuyant sur un flow carré et impeccable, une voix énergique pleine de hargne et une écriture simple, précise et maîtrisée, Ice Cube s’impose à travers cet album comme LE modèle du rappeur : violent, conscient, engagé, cru et controversé. AmeriKKKa’s Most Wanted prouvait que le MC de South Central était l’un des tous meilleurs de sa génération. Véritable torpille sonore et lyricale, Death Certificate le fait tout simplement entrer au panthéon du hip-hop.

*cité dans l’article de Toma! « Ice Cube, le dernier gangster », publié dans Radikal 74, juillet-août 2003.

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