Chronique

D' de Kabal
Contes ineffables

Asphaltiq' / Nocturne - 2002

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2002. D’ de Kabal sort un album solo, Contes ineffables. Premier échos ? « Inécoutable », « décevant », « caricatural ». Bon, zappons.

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2003. Steus sort l’album-concept Mémoires vives. D’ y apparaît le temps d’un morceau parfait, ‘Une boule de pus dans le ventre’. On commence à se dire qu’on est peut-être passé à côté de quelque chose.

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2002. D’ de Kabal sort un album solo, Contes ineffables. Première écoute ? « Dense », « complexe », « ambitieux ». Bon, creusons.

Car, oui, il faut creuser.

Creuser pour comprendre le chapitrage des morceaux, différent de l’ordre du tracklisting. D’ multiplie les thèmes, disparates au possible, mais y appose toujours son filtre personnel, mêlant cynisme, jugement moral et autodérision. Le résultat est long à décrypter, mais le chemin est truffé de récompenses permettant de rentrer peu à peu dans l’album. A travers les différents contes, D’ fait notamment preuve d’un sens de la narration acéré, construisant des personnages touchants (‘Le beau au bois dormant’ et ‘Le beau au bois dormant 2’), voire tragiques (‘Roméo et Juliette 2002′).

Creuser, oui. Creuser pour identifier l’autobiographie parmi la fiction. On s’attendait à un album concept, D’ livre un projet personnel. « L’efficacité du récit tient à l’équilibre entre le réel et le fictif ; il ne s’agit pas ici de disséquer le vrai du moins vrai« . En changeant de voix et de débit, il ne crée plus des personnages mais bien des personnalités – jusqu’à cinq différentes dans le morceau emblématique ‘Skyzofrénia’. Pourtant, c’est en pariant sur la sobriété que D’ impressionne le plus. Le glacial ‘Kréol’, le rageur ‘Râleur à l’heure’ ou le rétrospectif ‘Brèves de quartiers’ font mouche sans effet du style, ne jouant que sur la symbiose aboutie entre instru et voix. D’ailleurs, le cru et dur ‘Peine-à-vivre’, seul morceau où D’ ne travestit pas son timbre, sera prolongé à travers le déstabilisant projet « Interdit aux mineurs », réalisé en 2004 par le collectif de slam Spoke Orkestra.

Côté production, on retrouve des collaborateurs de l’époque Kabal – mais pas de signe de Djamal, si ce n’est, au détour d’une sibylline allusion à In Vivo. Professor K, Yed, Dawan, Marc Ducret, Toty et le nouveau venu Gysterieux (du groupe Frer200) prennent en charge l’intégralité des productions de Contes ineffables. Particulièrement peaufinées rythmiquement, les instrus sont loin de faire pâle figure face au rappeur.

Car si les premières écoutes sont accaparées par le travail de D’, il faut reconnaître que ses supports musicaux sont pour beaucoup aux émotions transmises, le meilleur exemple étant le titre final, ‘Dans ma cage’. Le morceau commence comme une outro-inutile-d’album-de-rap-français : beat dépouillé en retrait, notre hôte nous annonce que « ce disque touche à sa fin« … Sauf qu’une complainte de violon et la voix rauque de D’ choisissent ce moment pour se jeter dans une dernière tentative d’épanchement. « J’aimerais tellement avoir les mots pour dessiner ce que je ressens ; c’est au fond de moi, dans mon cachot, ton appel résonne dans mes fibres, saigne sur mes sentiments ». Double montée en puissance, D’ hausse au fur et à mesure le ton, s’égosille, mais l’instru le devance et le couvre peu à peu. ‘Dans ma cage’, ou la tragédie faite rap.

Alors, Contes ineffables, à zapper ? Allons ! Caricatural ? Oui, certains passages paraissent maladroits, si on ne les confronte pas à d’autres parsemés dans l’album. Décevant ? Oui, D’ n’a pas choisi de poursuivre de manière linéaire la voie tracée au sein de Kabal. Inécoutable ? Oui, la densité des textes rend l’écoute laborieuse, éprouvante.

Mais Contes ineffables est un objet magique : sa richesse est proportionnelle à l’attention qu’on lui accorde. A picorer, sans risque de satiété.

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