Chronique

Company Flow
Funcrusher Plus

Rawkus Records - 1997

Funcrusher Plus fut le premier album sorti par le label Rawkus Records, en 1997. Rétrospectivement, la dimension historique était donc déjà présente, même sans juger de la qualité du disque. Celle-ci a toutefois été plus qu’au rendez-vous, érigeant Funcrusher Plus au rang d’album majeur des années 1990, véritable pont entre un rap new-yorkais alors en proie à l’essoufflement et une scène plus expérimentale, symbolisée à l’époque par Anticon ou DJ Krush.

L’album alterne d’ailleurs entre instrus boom-bap assez classiques (« Blind », « Legends », « Vital Nerve ») et beats plus audacieux (« 8 Steps to Perfection », « Last Good Sleep », « Krazy Kings »). Si les premiers ne sont en aucun cas déplaisants, ce sont les seconds qui font la sève du disque. El-P, auteur de la majorité des productions, a su ingurgiter des influences diverses et les digérer, se réappropriant la musique Hip-Hop et la revisitant sans pour autant la rendre inabordable. A l’instar de Enter the Wu-Tang ou The Psycho-Social LP, Funcrusher Plus est ainsi une œuvre dont il est difficile de trouver les ascendants. Il suffit de jeter une oreille au beat de « Population Control » pour s’en convaincre : une grosse caisse presque assourdissante, des cuivres menaçants en retrait, et, surtout, des clapotis. Rien de semblable à ce que l’on a pu entendre ailleurs. Idem pour « The Fire in Which You Burn », ses sitars et son breakbeat chaotique.

Les ambiances sombres et oppressantes s’imposent comme une constante tout au long de l’opus. El-P et les siens paraissent à chaque piste lever un peu plus le voile sur un univers froid et déshumanisé. L’impression est renforcée par les différents extraits de films de science-fiction insérés entre les morceaux. L’apocalypse semble de plus en plus imminente au fil des titres, et survient fatalement lors du dernier morceau, l’atmosphérique et surréaliste « Info Kill II », final aérien et grandiose fait de voix déformées et de nappes de synthés. Chose rare, le travail du DJ, Mr. Len, est parfaitement intégré à l’ensemble et apporte une vraie dimension supplémentaire.

S’il fallait trouver un élément nuisant légèrement à la qualité d’ensemble de Funcrusher Plus, ce serait le MCing. Les couplets d’El-P, Bigg Jus et leurs collègues ont un peu mal vieilli, essentiellement parce qu’ils ouvraient une brèche dans laquelle beaucoup (trop) de rappeurs se sont engouffrés, amenant une certaine saturation. Le vocabulaire complexe et les images alambiquées ont aujourd’hui vécu, et on a du mal à ne pas trouver des punchlines comme « Even when I say nothing it’s a beautiful use of negative space » un peu tirées par les cheveux. Ajoutons à cela des flows souvent off-beat, et on obtient ici autant d’ingrédients qui vaudraient à n’importe quel MC de se faire taxer de « nerd » en 2011. Toutefois, certains textes plus terre-à-terre comme « Last Good Sleep » sont d’une grande pertinence et constituent autant d’indications sur les futures orientations des membres du groupe.

Malgré quelques défauts minimes et un accès assez difficile, Funcrusher Plus est donc un disque d’une rare densité. La cohésion de l’ensemble a de quoi surprendre, quand on sait que Funcrusher Plus n’a en aucun cas été pensé comme un album. Le LP est en fait une version étoffée de l’EP Funcrusher auquel ont été ajoutés quelques titres sortis sur maxis et des morceaux enregistrés pour l’occasion. Cela laisse rêveur quant à la qualité potentielle d’un « vrai » album de Co-Flow au complet, qui ne vit malheureusement jamais le jour. D’ailleurs, que l’on ne s’y trompe pas, le vrai chef-d’œuvre d’un El-P arrivé à totale maturité sera The Cold Vein de Cannibal Ox, sorti en 2001, sur son label Def Jux Records.

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