Classique

Booba
Temps Mort

45 Scientific - 2002

Après la sortie de Mauvais oeil, l’annonce d’un album solo de Booba laissait perplexe, le duo Lunatic ayant toujours fonctionné sur la complémentarité. Au premier abord, la pochette du vinyl – silhouette de Booba au milieu d’un cimetière, un ciel rougeâtre en arrière plan – tranche avec le style sombre et figuratif des précédentes. Cette référence à ‘Repose en paix’, maxi annonciateur de l’album, laisse présager un opus incisif, dévastateur lyricalement.

Sur le papier, les textes de Booba en solo laissaient présager une succession ininterrompue de phases prêtes à être scratcher. Et c’est exactement ce qu’il nous est donné d’entendre. Sur ce point, il serait inutile de donner des exemples afin d’appuyer ce constat. Soit vous connaissez l’efficacité dont le MC a déjà fait preuve, et il suffit de savoir que le niveau de ‘Le crime paie’, ‘Les vrais savent’ ou Mauvais oeil est largement atteint. Soit vous n’avez jamais entendu Booba, et la meilleure sélection de ses phrases chocs ne rendrait pas compte avec justesse de leur impact, en l’absence de flow.

Une précision pour tous les détracteurs insurgés, qui crachent sur Booba en ressassant encore et toujours, avec mauvaise foi – mais bonne conscience -, la même phase : « Et à l’école, ils m’disaient d’lire, voulaient m’enseigner qu’j’étais libre… Va t’faire niquer toi et tes livres » (‘Hommes de l’ombre’, sur Nouvelle Donne II). Loin d’être renié, ce constat bénéficie d’une suite, en guise d’explication de texte, dans ‘Ma définition’ : « J’voulais savoir pourquoi l’Afrique vit malement, du CP à la seconde ils m’parlent d’la Joconde et des Allemands. » Anodin en soi, ce passage semble pourtant démontrer l’existence de plusieurs niveaux de lecture dans l’écriture du rappeur. Et l’hypothèse de se voir confirmée à la fin du morceau : « Ou j’te fais jouir ou j’te fais mal, c’est très simple, ma définition avec des textes à prendre à un degré cinq. » D’un seul coup, on se rend compte de l’ampleur et de la complexité de ce personnage torturé et dévastateur, réduisant en miettes le raccourci caricatural cataloguant Booba dans la case – dans la cage ? – MC-racailleux.

Inconsciemment ou non, les textes de Booba sont écrits de telle manière que l’attention saute de phase en phase, sans jamais s’arrêter sur le reste. Sans même lire entre les lignes, il suffit de lire exhaustivement les paroles, voire d’esquiver les tournures aguicheuses, pour se rendre compte de la richesse de l’écriture du MC. Et tour à tour, les formules hardcore, la glorification du 92, les allusions au shit et les détours égotistes s’encastrent dans un ensemble cohérent. Le génie de Booba est précisément ici. En apparence identiques à ceux abordés par la totalité des rappeurs, les thèmes évoqués prennent une dimension noble.

Malheureusement, cette réussite ne reflète pas la qualité du disque. Car si certaines productions se montrent dignes de la réputation acquise par les différentes entités du 45 Scientific (‘Temps mort’, ‘Ecoute bien’, ‘Repose en paix’, ‘Nouvelle école’, ‘Jusqu’ici tout va bien’, ‘Indépendants’, ‘De mauvaise augure’), les autres démontrent un essoufflement de la formule jusqu’ici infaillible. Il faut néanmoins noter que les sons, bien plus diversifiés et hocheurs de tête que ceux de Mauvais oeil, font preuve d’une identité extrêmement marquée. Remplies de sonorités électroniques telles que celles qui pullulent dans les dernières sorties, les intrus déparent par l’utilisation qui est en faite. Même si le résultat est mitigé, les producteurs peuvent se targuer d’être l’un des uniques groupes à pouvoir revendiquer un réel démarquage par rapport aux compositions américaines.

Autre facteur surprenant de déception, les invités. Tous étant affiliés de plus ou moins loin à 45 Scientific, il était légitime de s’attendre à les entendre relayer leur hôte avec talent. Mais LIM et Moussa annoncent la couleur : ‘Animals’ est la première salve manquée. Ensuite, Ness, pourtant auteur de prometteurs maxis avec son groupe Dicident, s’attelle au morceau suivant, sans plus de réussite. Et lorsque Mala, Issaka, Brahms et Sir Doum’s eux-mêmes accusent à leur tour un contagieux manque d’inspiration sur ‘100-8 zoo’, le charme se rompt définitivement. Et les semi-échecs que sont les apparitions respectives de Mala et Ali sur ‘Nouvelle école’ et ‘Strass et paillettes’ ne renversent pas l’inertie dévastatrice. Les soldats du clan seraient-ils déméritants ? En réalité, ils ont simplement revêtu des armures spécialement taillées pour leur hôte. Mal à l’aise, en tentant de surenchérir dans un style qui ne convient qu’à Booba, ils le privent de soutien. Et l’échec est d’autant plus retentissant que ces mc’s ont déjà prouvé par le passé leur valeur, notamment pour ceux issus du Beat de Boul’.

Alors, Temps mort, chef d’œuvre digne du premier album de Lunatic ? Attendu comme peu, cet album ne correspond pas à l’idée que l’on avait pu s’en faire. Ceux qui estimaient qu’un Booba esseulé ne pouvait que gâcher les productions mises à sa disposition se trompaient triplement. En effet, en l’absence d’Ali, le MC « pésa en noir avec une faux » déploie une constance et une verve au dessus de toutes les espérances. Mais les prestations de son entourage – producteurs et rappeurs – s’avèrent être des facteurs de déception. Ainsi, de par son inégalité, Temps mort ne fait que confirmer la force du mythe Booba. D’où la question : à quand un véritable album solo ?

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  • […] Abcdrduson, avril 2002 : « Attendu comme peu, cet album ne correspond pas à l’idée que l’on avait pu s’en faire. Ceux qui estimaient qu’un Booba esseulé ne pouvait que gâcher les productions mises à sa disposition se trompaient triplement. En effet, en l’absence d’Ali, le MC « pésa en noir avec une faux » déploie une constance et une verve au-dessus de toutes les espérances. Mais les prestations de son entourage – producteurs et rappeurs – s’avèrent être des facteurs de déception. Ainsi, de par son inégalité, Temps mort ne fait que confirmer la force du mythe Booba. D’où la question : à quand un véritable album solo ? » […]