Chronique

Haroun
Au front

Front-kick - 2007

Au crépuscule du XXème siècle, Fabe scelle le rap français de deux derniers albums alors que son acolyte Ahmed Koma lâche un premier opus « pour les esprits larges et les plus rétrécis« . 3 jeunes emcees de Barbès se mettent dans leur sillage. Ces identités finissent par s’additionner lors d’une Opération Freestyle. La Scred Connexion est née.

Depuis, l’eau a coulé sous les ponts et l’ombre de Fabe plane sur le pochoir du bonhomme affublé d’un bob et d’un foulard. Un album du collectif, un bootleg dédié à Mokless, ou encore quelques featurings pas toujours rassurants laissaient entrevoir une lente immersion. La Scred semblait trop perdre de son sang froid et de sa distance vis-à-vis du milieu du rap hexagonal. Passage en mode sous-marin et silence officiel pour difficultés à se maintenir en surface pendant que les annonces d’albums solos coulaient régulièrement à pic. 10 ans plus tôt, Haroun avait pourtant prévenu : « avant de sortir un skeud je me dois de fournir un travail sérieux, afin de marquer la différence avec les merdeux« .

2007. Le temps semble être venu pour celui qui n’est « pas le beurre qu’on tartine ni celui qu’on baratine » de monter « au front ». « En guerre comme Albator« , Haroun débarque avec un album solo réunissant un tracklist produit entre 2003 et 2007. Album, ou plutôt Bootleg solo, Au front n’oublie pourtant pas la Scred ni sa démarche. Si Haroun déplore de se « casser la tête alors que les gens ne sont bons qu’à danser« , il n’empêche que son « rap, ce n’est pas la bagnole que tout le monde rêve d’avoir, mais plus la douleur du clochard que les passants n’aiment pas voir« . Le MC remet les pieds sur terre de tous ceux qui « pensent que la rue c’est super », voire de ceux qui en font leur fond de commerce (‘Mon Poster’). Les voix de Mokless, Morad et Koma appuient son propos, à travers des insertions de phases antérieures, parfois scratchées, comme par la présence de (incontournables) featuring.

Bref, sur Au front « ce n’est pas la foire à la saucisse« . Le rap de la Scred a toujours été celui d’une génération oscillant entre lassitude et persévérance. Morad résume bien le tout sur l’excellent ‘Les routes de l’oseille’ : « ce que je cautionne, c’est le fait de ne rien devoir à personne« . Et si la plupart du propos s’oriente autour des journées et nuits de zonard, le monde qui part en couille, l’envie de croquer, ou le refuge qu’est la musique, le tout est fait sans chercher la compassion ou la pitié. « Chacun sa merde, c’est le dicton« , et c’est bien ce qui semble déranger le rappeur. Seul, il rappelle qu’à force de « s’être fait dans la censure, il renvoie l’ascenseur » et constate que son « quartier est une grenade sans goupille« . Accompagné de Mokless et Koma, il souligne au stabilo les lignes destructrices de ce bas monde. Ou comment en arriver au point de « miser son RMI sur un cheval« . Les 4 gars de Barbès ont toujours eu des principes, et leur manière de dire en est un des reflets.

L’écriture privilégie donc l’image aux prouesses, bien que les placements d’Haroun aient gagné en technique, comme l’avaient fait ressentir certaines de ses dernières apparitions (sa bonne intervention sur le très moyen ‘Je veux vivre de ma musique’). Incursions de breaks, utilisations de dialogues, rimes doublées, changements de flow en fin de morceau, et surtout intonations renforcées sur les dernières syllabes ont dépoussiéré le phrasé du mc. Si ce dernier peut se voir reprocher de tomber dans le vice, assez tendance, de sur-ralentir certaines fins de mots pour les appuyer à outrance, il n’empêche que sa voix comme son flow, plus élastique, ont franchi un pallier. Finis les morceaux assez âpres et linéaires comme ‘Dans l’arène’ (dont une partie du texte est recyclée sur l’album). A la fois jemenfoutiste, pépère et ferme dans son élocution, Haroun gagne en conviction et donc en force de frappe. Il se montre tantôt détaché sur l’agréable et pépouze ‘Sur Scène’ –probablement le morceau le plus « formaté » du disque- tantôt plus tranchant sur un titre comme ‘Nique le terrain’.

Au-delà de cette identité logique et revendiquée depuis presque une dizaine d’années, ce sont les productions d’Haroun qui construisent l’âme de l’album. Privilégiant le sampling, les instrumentaux trouvent leurs personnalités dans des boucles variées mais aux couleurs et textures relativement proches. Généralement chauds, régulièrement acoustiques, les samples d’Au Front se veulent être l’âme de chaque piste. Certaines récurrences sont pourtant à noter des trompettes d’’Au front’ à la guitare sèche de ‘Sur scène’, du piano électrisé de ‘Voyous’ au violon sicilien sur ‘Le zonard’ ou encore des notes de guitares de Santana sur ‘Respire’. Les beats sont constants, car bien dosés, sans extravagances et loin de tout matraquage. Finalement, seul le synthétique ‘Mon poster’ (qui n’est pas produit par Haroun) s’écarte d’un univers musical varié mais cohérent, ponctué de légers scratchs (et de deux interludes) menés par R-Ash.

De nombreux sons et voix pitchés émaillent également l’album et lorsque Haroun commet des fautes, c’est finalement sur des détails mal gérés. L’auditeur se serait bien passé de MC Sarko qui fait une intrusion au Karcher sur ‘Voyous’. Entendre le mètre 65 en talons compensés jusque dans ses disques de rap, ça frôle l’omniscience. Plus de finesse aurait été la bienvenue, comme le confirment les inserts de voix de Nasme sur plusieurs morceaux. Criardes et rentre dedans, ces irruptions couplées à un sample vocal de Mickey 3D rendent finalement un titre comme ‘Respire’ assez agaçant. L’auditeur pourra également s’interroger une ou deux fois sur un certain misérabilisme. Une impression qui sera pourtant démentie par quelques belles symboliques, comme le texte grave de ‘Voyous’ qui se termine sur des cloches semblant sonner le glas. Finir l’album, jusqu’au dernier mot, par une diatribe acerbe dédiée aux majors ne manque ni de style, ni de sens.

Même si il y aura toujours des emmerdeurs pour lui reprocher une durée trop courte, Au Front est un album fluide, solide, dont le tracklist respire l’œuvre d’un mec « dans le pera jusqu’au cou ». Mieux, c’est avec ce genre de production que les emcees de la Scred montrent qu’ils sont plus que jamais opérationnels, que Fabe ait décidé de s’arrêter ou non. Et même si l’impertinent restera toujours dans le reflet du rétroviseur, un disque comme celui-ci pousse à regarder devant, et non en arrière. De ce disque qui sera peut-être un standard, voire un étendard de ce que le rap indépendant peut faire de mieux, il y a deux certitudes : celle d’avoir affaire à un album qui traversera le temps et les époques d’un coté. Et de l’autre celle d’un album qui à sa sortie ne semble prêcher que les convaincus. Pourtant, dès les premières secondes du disque, le message est clair : « dès l’intro tu sais que c’est du lourd« . Quant aux prods elles « redonnent le sourire aux puristes« , et le style survet’ constellé de trous de boulettes « fait kiffer les scarlas et les petites zoulettes », mais il faut croire que ça ne suffit pas. Alors souhaitons qu’Au front traverse le temps, car il y a des batailles qui ne s’arrêtent jamais.

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1 commentaire

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  • Igor,

    Super article, un de mes albums préféré du rap fr, qui « donne le sourire aux puristes » !!