Chronique

La Caution
Asphalte hurlante

Kerozen - 2001

A l’origine d’une attente créée par ses nombreuses apparitions sur maxis et surtout sur mixtapes, La Caution sort un gros EP/mini LP (une intro à usage unique, une belle outro, dix titres dont neuf originaux).

Le classicisme de la composition du groupe (deux MC, les frères Hi-Tekk et Nikkfurie, un DJ, Fab) tranche avec l’innovation présente sur Asphalte hurlante. Néanmoins, si cet album se démarque nettement des productions environnantes, le paysage rapologique français ayant connu un sérieux passage à vide cet hiver, la réussite est moins due à une originalité affichée qu’à la conjugaison de prises de risques et d’un talent certain.

En effet, tandis que nombre de leurs confrères revendiquent sans cesse leur appartenance au hip hop, le trio semble avoir assimilé d’emblée toutes ses valeurs afin de mieux s’en libérer. Un son parfois proche de l’électro, des textes extrêmement peaufinés, un vocabulaire jusque là inédit, des samples vifs et enfouis dans chaque morceau : La Caution correspond bien à la rumeur qui la devançait.

L’énorme surprise vient probablement de l’accessibilité du résultat. Nul besoin d’avoir entendu dix fois une chanson pour bouger la tête : l’écoute initiale accroche tout de suite l’auditeur grâce aux productions sonores acérées de Nikkfurie et de DJ Fab. Les premières mesures de la plupart des chansons sont réellement envoûtantes (‘Souvent’, ‘Rétrospectives’, ‘Toujours électriques’), tandis que d’autres sonnent presque « bounce » (‘Entre l’index et l’annulaire’, ‘Changer d’air’, ‘Comment on t’voit’). Mais le point fort des instrus sont justement leur profondeur : loin de lasser, elles ne révèlent leur vraie nature qu’avec le temps, tant elles fourmillent de milles sons enfouis partout.

Hi-Tekk, qui a perdu le côté saccadé de son phrasé parfois agaçant à la longue, joue désormais à jeu égal avec son frère. Mais alors que les récents duos de MCs à avoir émergé se caractérisaient par une similitude troublante, tels Ärsenik ou L’Skdrille par exemple, la complémentarité est loin d’être un vain mot pour La Caution. Par contre, la légende voulant que leurs flows soient en changement constant s’avère peu justifiée : ils s’adaptent parfaitement aux beats, donc accélèrent et ralentissent sans perdre pied, mais ne rappent jamais à contre temps ou en s’imposant subitement des changements de rythmes.

Les textes quant à eux nécessitent une écoute approfondie. D’une part, car le débit des MC est très rapide et d’autre part, au lieu de développer une idée en quinze phrases, ils condensent quinze idées par phrase (la qualité des lyrics rappelle à la fois Akhenaton, Oxmo ou Kery). De plus, le sens est parfois enfouis derrière l’omniprésence des assonances et des allitérations : « Rarissime charisme par ici, ma rime se tarifie de Paris à Mars, un Arabe de Paris qui classifie l’arrivisme, l’avarice cavale des caves auxCanaries, moi j’atterris la tête la première sur mon Atari« . Si certains morceaux sont facilement abordables (‘Aquaplanning’, ‘Changer d’air’), l’ensemble apparaît légèrement opaque, impénétrable et uniforme.

Les thèmes abordés sont plus classiques que ceux des mixtapes Kerozen (Un jour peut-être et L’antre de la folie) et ressemblent à s’y méprendre à ceux développés par tous les groupes quelconques qui ont fleuri récemment. L’importance de la forme prenant le pas sur l’intelligibilité d’un message, la voie du rap engagé n’a pas été choisie. L’égotisme est pourtant évité, au profit de chroniques urbaines émaillées de métaphores : « Galaxie de métal et de chair, mon lien avec la tess est ombilical, les pneus crissent, un véhicule évite le carton : pile, il cale, sentinelle urbaine maniant les narcotiques sans une once minimal de bon sens initial« . Par contre, certaines idées pêchent à vouloir trop expliciter : les voix subliminales d »Asphalte Hurlante’ et l’utilisation appuyée des syllabes du refrain comme début de strophe dans ‘Culminant’ faussent les deux morceaux. Le récit réussi d »Aquaplaning’ (retour en voiture d’une soirée arrosée) montre tout de même qu’une alternance plus générale de la forme des textes est à la portée du groupe et aurait pu être envisagée.

En effet, malgré une recherche musicale poussée, certains titres ne se différencient pas aussi nettement que l’on aurait pu s’y attendre (cf. les références récurrentes à Fight Club). La quasi absence de featurings devient doublement regrettable. Car si l’intervention de Taïro est décevante, la prestation des membres de Kerozen, sur ‘Entre l’index et l’annulaire’, est impressionnante : Izno, qui est passé du stade il-est-fort-pour-son-âge à il-est-fort, Saphir et 16 S 64 auraient mérité chacun plus qu’un couplet.

Toujours est-il qu’Asphalte hurlante est une excellente nouvelle, autant pour ce qu’elle offre que pour ce qu’elle laisse entrevoir quant au futur du rap français.

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