Chronique

IAM
Arts Martiens

Def Jam France - 2013

Flash-back en 2007. IAM revient avec un nouvel album. De sa pochette au titre en passant par son logo, Saison 5 n’annonçait rien de très passionnant avant même d’avoir dévoilé le moindre contenu. Et force est de constater qu’entendre Akhenaton clasher du wack  avec « Allez soyons clairs entre nous et disons le level de tes rimes et tes phrases : Ronald McDonald » avant de terminer le morceau par « Toi tu rappes au Milan, car tes couplets sont caca« , ça ne l’est pas davantage. À vrai dire, ça tient surtout du surréalisme.

À la suite de ce franc raté, il va sans dire que l’intérêt pour les vétérans phocéens s’est vu fortement diminuer. Le retour manqué de l’oncle Shu en solo, l’annulation de l’alléchant projet IAM Morricone et de premiers extraits (finalement absents du projet final) peu enthousiasmants finiront par avoir raison de l’attente d’un sixième album à la genèse compliquée. Pourtant, à quelques semaines de sa sortie les signes positifs commencent à s’accumuler. La pochette, esthétiquement superbe, semble vouloir revenir à l’ancienne imagerie iamesque. Le titre Arts Martiens et le logo original (largement inspiré de celui de L’École du Micro d’Argent) vont également dans ce sens, sans parler de la présence annoncée au mixage de Prince Charles Alexander. Après « Spartiate Spirit » et « Les Raisons de la colère », deux premiers extraits d’assez bonne facture, on se dit qu’on va peut-être éviter le pire. Mais à cinq jours de la sortie du disque, personne ne s’attendait à subir une fracture ouverte des osselets. C’est pourtant ce qui se produira à l’écoute de « Notre dame veille » et son couplet unique d’Akhenaton, dément de causticité et débité avec un tranchant que personne n’osait plus lui prêter.

Car si Arts Martiens est une vraie surprise, c’est surtout celle de voir le duo rapper avec une verve qu’on lui croyait perdue à jamais. Délaissant son flow indigeste et ses rimes grossières période post-Soldats de Fortune, Akhenaton se montre incisif à souhait et délivre plusieurs passages mémorables. Shurik’n, dont le discours se montrait régulièrement creux sur Tous m’appellent Shu, retrouve ici une consistance bien réelle et sa voix puissante fait toujours office de parfait contrepoids à celle de son comparse. Évidemment, il est tentant de penser que sans Freeman parti honorer son pseudonyme, le groupe a pu retrouver la cohérence et la solidité de ses débuts. Ce n’est pas totalement vrai, car ce serait bien vite oublier l’extraordinaire densité des textes de Revoir un printemps. Mais si l’ancien Malek Sultan n’a jamais été responsable de la progressive baisse de niveau de ses partenaires, il est vrai en revanche que sa présence au micro créait un déséquilibre certain tant dans le flow que l’écriture. En ce sens – et en ce sens seulement – sa défection est bénéfique à Arts Martiens. À nouveau palpable, l’alchimie entre les deux MC’s fait merveille et le binôme peut livrer quelques-uns de ses meilleurs morceaux depuis plus de 15 ans.

Au rang de ceux-ci, « La part du démon » tient une place de choix. Sur un instrumental méphistophélique d’Akhenaton, les deux Marseillais offrent une prestation éblouissante qui n’est pas sans rappeler celles de titres aussi cultes que « Je combats avec mes démons » ou « Une journée chez le diable ». Dans le même genre, l’énorme « 4.2.1 » propose une intense réflexion sur la destinée à partir de la métaphore du jeu de dés : « Combien de fois sous des cieux épaissis j’ai rembobiné le film et tout refait avec des si ? Avec des si on redessine le passé, c’est impossible on le sait, alors on se console avec des signes« . Épique, la partition d’Imhotep termine d’en faire l’une des pistes majeures du disque. Aux côtés de « Notre dame veille », ces morceaux constituent un triptyque de première classe qui à lui seul suffit pour envoyer valser tous les préjugés possibles sur l’état présumé souffreteux d’IAM en 2013.

Dans une moindre mesure, on pourrait également citer le désabusé « Mon encre, si amère » ou encore « Après la fête… » qui dresse un triste constat du passage de l’adolescence à l’âge adulte. Mais c’est sans doute dans les morceaux sur lesquels ils se répondent mutuellement que l’entente entre Shurik’n et Akhenaton transparaît le plus. Egotrip guerrier dans le plus pur style IAM, « Benkei et Minamoto » laisse la part belle au vocabulaire martial si cher au groupe tandis que « Sombres manœuvres/Manœuvres sombres », story-telling judicieusement construit en effet miroir, renoue avec la tradition des contes sanglants (et probablement aussi vrais qu’ils en ont l’air) se déroulant au cœur de la cité phocéenne.

Pas en reste, la production est l’autre satisfaction de cet album. Globalement excellente, elle est laissée en majeure partie aux soins de l’architecte Imhotep et du duo Faf Larage/Sebastien Damiani. Ensemble, ils participent à construire l’édifice musical le plus « asiatique » jamais entendu pour un album du groupe. Sans s’embourber dans des expérimentions synthétiques sur lesquelles ni Akhenaton ni Shurik’n n’ont de toute façon jamais été à l’aise, les instrumentaux chargés de cordes et de vents se montrent souvent d’une extrême délicatesse et rappellent volontiers certaines compositions de l’époque Où je vis. Omniprésent, Kheops donne à fond dans l’autoréférence et soutient efficacement le tout de ses scratches sudistes toujours bien placés.

Si surprenant et bien fichu soit-il, Arts Martiens n’est cependant pas exempt d’un certain nombre de défauts. Le premier regret concerne sa durée un brin trop étendue. Comme à son habitude, IAM voit les choses en grand et livre une galette de 17 titres qui aurait mérité une épuration plus poussée. Surtout que quelques morceaux moins inspirés tels que « Tous les Saints de la Terre », « L’amour qu’on me donne » ou « Debout les braves » se montrent finalement très dispensables. Et c’est d’autant plus dommage que leur présence amène un second bémol : trop éloignée de l’ambiance sino-japonaise développée dans les autres morceaux, les productions de ces trois pistes créent un décalage malvenu et l’on regrette que l’uniformisation du disque n’aie pas été assumée jusqu’au bout. Une remarque qui vaut aussi pour « Marvel ». Si l’idée de transposer dans un autre univers le délire de « L’Empire du côté obscur » avait de quoi susciter l’excitation, le morceau ne fonctionne au final qu’à moitié, la faute à une production futuriste qui peine à s’intégrer dans un ensemble résolument traditionnel.

L’autre problème, c’est qu’on a forcément moins de choses à dire avec 25 ans de carrière au compteur. Si AKH et l’oncle Shu sont toujours capables de balancer quelques cartouches encore fumantes, on ne peut s’empêcher de ressentir par moment une impression de déjà-vu. C’est particulièrement le cas sur « Habitude » qui déplore la vie monotone et fantomatique des sans-abris, et « Misère » qui personnifie la pauvreté pour mieux en mener la critique. Malgré l’actualité de son sujet, on pourrait rajouter dans le lot « Pain au chocolat » et son introduction ridicule dont on se serait bien passé. Sans être mauvais, ces morceaux aux propos déjà entendus mille fois (notamment dans la bouche d’IAM) n’apportent rien, sinon un sentimentalisme pesant qui en agacera certains là où d’autres y verront une marque de vertu.

À la fin de « Dernier coup d’éclat », deux certitudes. La première, c’est que personne n’attendait Arts Martiens à ce niveau, si bien que seul le temps dira si l’album vaut davantage pour ses qualités intrinsèques que pour son effet de surprise renversant. La seconde, c’est qu’il est difficile dans ces conditions de continuer à parler d’IAM comme d’une antiquité. Aujourd’hui, c’est hier qui est loin. Car quelle que soit la réponse du temps, le groupe vient de sortir son meilleur projet depuis ce qui semble être une éternité.

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