Chronique

Apathy
Eastern Philosophy

Babygrande Records - 2006

« I’m from the home of a million legends. »
Rakim – ‘Streets Of New-York’

Du speech chiant à l’avalanche de scratches en passant par les samples de films, il existe une multitude de manières d’introduire un album de rap. Apathy, lui, a opté pour le clin d’œil d’initié, ouvrant Eastern Philosophy de la même manière que le B.D.P. de KRS One démarrait By All Means Necessary dix-huit ans plus tôt – par la question ayant, entre autres subtilités, façonné la légende de l’humilité du « teacher » : « So you’re a philosopher ? Yes…« , le MC du Connecticut nous épargnant cette fois le fameux « I think very deeply !« . Plus qu’un détail, c’est un symbole.

Premier solo d’un MC même pas trentenaire, Eastern Philosophy a pourtant des airs de coup d’œil jeté par-dessus l’épaule avec un brin de nostalgie. Il prend même par moments l’allure d’un constat d’échec, malgré le dynamisme dégagé par les beats. « I feel like a preacher man and someone burnt down my church« , glisse Apathy au détour d’un couplet.

Les incendiaires ? Internet, entre autres, les backpackers, et tous ces débutants qui se mirent à rapper à tort et à travers à partir des années 2000, jurant être des « microphone masters » alors qu’ils n’étaient que des nazes.

Son église ? Le hip-hop de la côte est des années quatre-vingt dix et la mentalité d’alors, évoqués par le grand nombre de scratches et de références qui jalonnent le disque, ou plus directement dans ‘Me & my friends’, par un couplet de grande classe : « I remember in the 90’s it was all about 40’s and blunts, Nas’ cassettes, Das EFX and Reebok Pumps / punk motherfuckers that were claimin’ they got Tecs and rockin’ ski masks like Q-Tip in ‘Hot Sex’ / Before, them underground rappers were complex, when Mobb Deep and Jay still lived in the projects…« . C’est en partie à cette fondation rap et au style de vie de la East Coast qu’entreprend de rendre hommage Apathy, tout en racontant sa propre histoire.

Un scratch peut n’être qu’une simple citation illustrant le thème d’un morceau. Mais il établit le plus souvent une forme d’intertextualité entre les différentes œuvres de rap, les groupes et les époques – démontrant si besoin était que le hip-hop constitue bien une culture, avec ses codes, ses traditions et ses références. C’est le cas ici, lorsque la « eastern philosophy » revendiquée, quasi fil rouge de l’album, est étayée par les voix de Guru, Lauryn Hill, Notorious B.I.G., Jay-Z, Buckshot, Jeru ou Nas. C’est encore plus flagrant quand un morceau entier est développé autour d’un sample d’Onyx (‘All About Crime’, sur une bonne production d’un autre Demigod, Celph Titled). Enfin et surtout, débuter un disque intitulé Eastern Philosophy sur un clin d’œil à KRS One et le clore en invitant celle qui illumina les jours pluvieux de Raekwon et Ghostface une décennie plus tôt ne peut être totalement fortuit. Ainsi, sans distribuer bons et mauvais points ni se lancer dans de grandes tirades vengeresses, Apathy fait indirectement revivre avec une certaine subtilité, en 2006, une époque désormais révolue.

Alors, comme Masta Ace et les Cunninlynguists contemplant le cycle des saisons du hip-hop, Apathy observe son église en flammes, capuche rabattue sur la tête, Timb’s aux pieds et mains enfoncées dans les poches de son baggy. Puis, des souvenirs plein le crâne et malgré la lassitude et les déceptions (« that shit hurts…« ), il revient aux affaires pour construire un nouvel édifice, sur le même modèle. Qu’il se rassure, les fondements sont solides : la « langue d’alien » qui se fit remarquer aux côtés de Jedi Mind Tricks il y a une dizaine d’années n’a rien perdu de sa verve ni de son talent – que les morceaux soient thématiques ou egotrip -, et pose sur des productions bien plus inventives et diversifiées que la moyenne du genre.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*