Chronique

Lateef & The Chief are Maroons
Ambush

Quannum - 2004

La carte de visite est prometteuse. Le tandem Maroons est né de la réunion du producteur de Blackalicious, Chief X-Cel, et du rappeur de Latryx, Lateef The Truth Speaker. À force de traîner ensemble depuis une décennie, les deux hommes se sont décidés à prolonger les séances de hors-piste. Ils avaient déjà collaboré sur quelques morceaux, en particulier sur la compilation Spectrum sortie en 1999. Et auparavant, avec la complicité de DJ Shadow, tout ce beau monde était à l’origine du collectif Solesides. Quelques années plus tard, le premier résultat d’envergure de cette association donne Ambush, un mini-LP de neuf titres, plus un morceau caché (Comme X-Cel annonce qu’il veut faire un dernier morceau, Lateef vanne : « J’croyais qu’on la jouait style « Paid in Full » et « Yo ! Bum Rush the Show »… On en fait un quand même ?« ). Premier indice de l’ensemble : ce ‘First Draw’ en embuscade, placé sous la tutelle spirituelle d’un certain Ernesto Guevara, n’a rien d’un brouillon. Alternant riff électro torturé et clavier apaisant, il clôt le disque en beauté.

Bien que le projet soit placé sous le signe de la guérilla en forêt et qu’il s’ouvre, avec le premier morceau éponyme, sur le bruit des hélicos et des talkies-walkies, on aurait tort de croire que Ambush s’acharne seulement à développer une ambiance martiale bourrine et gueularde. C’est au contraire un disque musical et dansant, bourré de mélodies denses, riches, sophistiquées. Dans la lignée de certaines tentatives faites sur Blazing Arrow, le magicien Chief X-Cel se livre à des exercices de style et expérimente les combinaisons, en convoquant pas mal d’instruments (en particulier la base guitare/basse) et en faisant un gros usage du clavier (‘365’). Les variations d’ambiance correspondent à la diversité des angles d’attaque, comme sur le redoutable ‘Matter of time’. Le morceau débute sur une entraînante intro scratchée, continue sur une rythmique endiablée, puis s’achève en contre-pied sur des récits journalistiques de massacres, qui amorcent la transition vers ‘If’. Plus tard, sur l’imparable ‘Don’t Stop’, X-Cel réinvente même carrément le funk — si vous ne bougez pas votre corps, c’est que vous êtes mort. Évidemment, il est probable que les maniaques de la boucle en solitaire ou les puristes hostiles par principe au mélange des genres auront du mal à digérer la bête, spécifiquement le violon dépressif et le premier couplet chanté de ‘Beautiful You’…

Ambush est mélodique, il est également politique. Il faut dire que Lateef et X-Cel ont reçu la piqûre très tôt. A des degrés divers, leurs parents étaient impliqués, à la grande époque, dans le mouvement des Black Panthers — la mère de Lateef était même une proche d’Angela Davis. Le nom Maroons incarne d’ailleurs la revendication d’une filiation avec les renégats de colonies d’esclave des Amériques au cours du XVIIIe siècle. ‘If’ est de loin le morceau le plus explicite de l’album sur ce point. Plus fin que ses concurrents dans cet exercice périlleux, Lateef se lance dans une description critique de la géopolitique américaine, en écorchant Bush… sans oublier, pour une fois, les années Clinton qui lui ont donné naissance. De manière général, l’album prône les valeurs de la solidarité et de la résistance. Les Maroons sortent des sentiers battus, aussi bien d’un point de vue thématique (en évoquant un joueur de base-ball entouré de mythes dans ‘Lester Hayes’) qu’en ce qui concerne l’agencement des morceaux (l’excellent ‘Best of me’, scindé en deux parties radicalement différentes). L’adéquation entre la voix de Lateef the Truth Speaker et les instrus concoctés par son comparse est irréprochable. Lateef n’a sans doute pas, au micro, la présence de The Gift of Gab, qui pose sur ‘Best of Me’ un nouveau couplet hallucinant. Mais comme The Gift of Gab est le meilleur rappeur du monde, on ne lui en voudra pas, d’autant qu’il demeure très proche de son style. Le débit clair et l’aisance tout-terrain de Lateef en font un MC de très haut niveau.

Autant dire que la carte de visite n’est pas trompeuse. Ambush est soigné dans tous ses détails, jusqu’à l’emballage somptueux signé par l’esthète de Quannum, Brent Rollins. À chaque morceau, le livret fait correspondre une figure de référence, de Afrika Bambaataa à Nelson Mandela, en passant par Mohammed Ali. Quarante minutes peuvent laisser l’auditeur sur sa faim. Qu’il se rassure : la vocation de Ambush est de servir de hors-d’œuvre à un projet plus long, Ashe. Cet album en devenir ne cache pas qu’il devrait approfondir une voie encore moins minimaliste que son petit frère. En attendant, Ambush ne sonne comme rien d’autre. Lateef et Chief X-Cel ont créé une division dans laquelle ils sont seuls à jouer.

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