Chronique

Funkmaster Flex
60 Minutes of Funk Vol. IV – The Mix Tape

Loud / RCA / Sony - 2000

DJ devenu personnalité médiatique plus qu’artiste, râleur invétéré sur les ondes new-yorkaises de la station Hot 97 : Funkmaster Flex est, au même titre qu’un Sway, une personnalité centrale du rap outre-Atlantique. Le secret de Flex ? Sa voix gueularde si reconnaissable, ses mythiques coups de gueule (récemment compilés par Complex), et surtout sa longévité : sa carrière officielle commence en 1987, et a occupé un large spectre, entre ses émissions radio et télé (MTV et ESPN, tout de même), ses soirées à la célèbre boîte new-yorkaise The Tunnel, et, évidemment, ses propres albums.

Au hasard de sa discographie, prenons ce volume IV des 60 Minutes of Funk. Comme beaucoup de projets de ce genre, il est un instantané de l’état de santé et des rapports de force du rap à un moment T – ici, en l’occurrence, le passage de NY dans une nouvelle décennie. Cet album n’a de cassette mixée que le nom : contrairement à ses prédécesseurs, il est une compilation dans la veine du The Tunnel, du même Flex, sorti un an auparavant. Premier signe d’un changement d’époque (déjà amorcé par les albums de ses confrères Clue? et Kid Capri) : ici, ni mélanges astucieux d’a cappelas sur les tubes du moment, ni enchainements bien fluides entre morceaux et freestyles. D’ailleurs, le seul vrai (et excellent) freestyle est placé en fin d’album, celui d’un Fabolous en pleine ascension sur le « It’s Yourz » du Wu-Tang. Ce format de non-mixtape sera par la suite celui de bien d’autres compilations à succès pilotées par des célèbres DJs, à l’image de Drama ou Khaled.

Comme We The Best ou Gangsta Grillz : The Album l’ont fait pour le style sudiste il y a quelques années, ce 60 Minutes of Funk célèbre un genre, la deuxième vague de sonorités new-yorkaises qui a fait fureur entre la fin des années 90 et le début des années 2000. Un son synthétique, minimal, agressif. Celui de Irv Gotti, patron/producteur du Murder Inc. de Ja Rule, capable du plus fin (le funk froid du « Do You » DMX) comme du plus gras (« Feelin The Hate » de Murder Inc). Celui de Swizz Beatz, livrant l’instru brûlant et sec de « I Don’t Care », pour un tranchant Jadakiss en route vers son premier solo. Et celui de Rockwilder, pardon, de DJ Twinz, copiant généreusement le style de son pote Rock pour Drag-On et Nature, deux seconds couteaux aujourd’hui au chômage. Aux antipodes, il y a quelques titres rappelant l’essence du son chaud et crade de la grosse pomme : l’émeutier remix du « Ante Up » de M.O.P. en compagnie de Busta Rhymes, Teflon et Remy Ma, un inédit fulgurant et rugueux de Biggie, le « Fine Line » de Saukrates, pote canadien de Redman, et la production excellente et décalée de Nottz pour le « Uhhnnh » du rookie brooklynite The Bad Seed, qui ne sortira son premier album solo que six ans plus tard dans une totale indifférence.

D’ailleurs, plus que de révéler des talents, cette « mixtape » met d’avantage en avant les têtes d’affiche de l’époque – malgré l’absence notable d’au moins un membre du Roc-A-Fella. Dr. Dre introduit l’album sur une boucle cramée de François de Roubaix, les Ruff Ryders ont droit à trois apparitions dans la première moitié de l’album, les deux plus gros vendeurs de l’époque passent faire coucou (Nelly et Eminem avec ses potes de D12), et la bande à Ja Rule joue les rockstars. Il faut écouter le hurlement déchaîné de Flex avant le posse cut de Murder Inc. pour saisir tout le poids du label à l’époque, alors que l’on rougit presque de honte de nos jours à fredonner de temps à autres le refrain de « Always On Time ». Après ce déluge de grands noms de l’époque (CNN, Lil Kim et So So Def sont aussi dans le coin), les nouveaux potentiels sont relégués en fin d’album : Fabolous et The Bad Seed, donc, mais aussi Shyne pas encore sous les verrous (et son effrayant « Bad », version raccourcie de son maxi « Dymondz »), ou encore le groupe Da Franchise, réunissant des rappeurs qui ont connu des destins variables – Red Café, perpétuel faiseur de hits locaux, Gravy, interprète de Biggie sur grand écran, et Q Da Kid, évanoui dans la nature. La plus grosse ironie de ce casting multiple est la relégation en fin de tracklist de quelques artistes méridionaux, Ludacris et Three 6 Mafia. Le premier est devenu l’un des rappeurs les plus bankables de la décennie suivante, et l’ambiance film d’horreur du groupe de Memphis est aujourd’hui la norme du rap de crapules. Mais si douze ans plus tard, la géopolitique du rap a changé, Flex, lui, est toujours là.

Cette compilation n’est pas un classique du genre ; elle a le même défaut que la plupart des autres, avec son absence de fil rouge et son empilement de tueries et de titres banals. Pourtant, là où les grands albums ont gagné une intemporalité, réécouter ce Volume IV offre au contraire un voyage dans le temps pittoresque dans une époque révolue mais pas désuète, l’autre âge d’or du rap new-yorkais.

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