Chronique

Triplego
2020

Autoproduit - 2017

Voilà plus de trois ans que Sanguee et Momo Spazz peignent une bien belle œuvre aux multiples nuances de bleu. Ensemble, ces deux Montreuillois ont sorti pas moins de trois projets, auxquels 2020 vient désormais donner suite. Depuis son premier effort Eau Calme, Triplego s’est doucement laissé porter par les flots d’un style que ce groupe est le seul à cultiver. Tendres voyous, les deux artistes écrivent des mélodies calmes et des mots durs. La violence du verbe est tempérée par la sérénité de l’élocution, et la lenteur du beat est perturbée par la percussion.

Le quatrième projet de Triplego s’inscrit en plein dans ce mouvement, et permet au binôme de définitivement s’installer à sa place, dans le désormais si vaste champ des possibles musicaux qu’offre le rap. La touche du groupe est unique, son identité on ne peut plus claire. En quatorze pistes, il donne à entendre des amours difficiles et des voyages immobiles, entre les gifles du réel et les caresses du rêve. Souvent, la tête est enfumée, le paysage est embué. Il arrive que les yeux soient humides quand les chevilles trempent dans une eau paisible. Jamais pourtant il n’est question de pleurer, de gémir, ni pour une princesse ni pour qui que ce soit, mais toujours d’avancer. Entre ses aspirations tropicales et ses inspirations montreuilloises, Sanguee écrit l’espoir d’une vie tranquille demain, espoir troublé par les incursions sombres du quotidien, des rues de la ville et du déhanché diabolique de la petite sirène au diadème brillant.

Mais 2020 ne se limite pas à ce jeu de clair-obscur et d’oxymores visuels, finalement pratiqué par tant d’autres rappeurs français. Il y a dans la musique de Triplego une indéniable innovation, un son parfaitement neuf qu’amène Momo Spazz, le beatmaker. Ce sont des sonorités orientales d’une pureté reposante, des claquements de doigts synthétiques, des gouttes d’eau qui s’éclatent sur une flaque… Autant d’échos et de chuchotements que viennent sublimer les nombreux moments muets de ce disque. En n’en disant jamais trop, que ce soit par la brièveté de ses couplets ou par la simplicité de son phrasé, Sanguee saisit en cabine l’essence de ses idées. Il écrit peu, mais il écrit bien, les figures de style sont légères et sans effet de manche : « Ma beuh est douce comme ta langue » (« Ketama »), « Tu pars, tu reviens, douceur du matin, tu pars, tu reviens, comme la fraicheur du matin » (« Yamaha »), « C’est le chrome qui arrive en Xmax » ( « Blanche »).

De ce son inédit et de ce style propre, il résulte un projet fort, peut-être clivant car désert de toutes concessions. Pourquoi en faire d’ailleurs, lorsque l’on dispose d’une telle capacité à créer ? Créer sans voler, créer sans citer, créer librement, c’est un luxe. Momo Spazz et Sanguee en jouissent actuellement, et les tendres voyous qu’ils sont auraient bien tort d’entrer dans le moule.

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  • Raf morad,

    5ème projet