Chronique

Mozzy
1 Up Top Ahk

Empire - 2017

Quand en 2015 Timothy « Mozzy » Patterson sort de prison, il est encore sous contrôle judiciaire et assigné à ne pas franchir les frontières de la Californie. Le rappeur de Sacramento est en quelque sorte enfermé dehors mais il sait que s’il ne franchit pas à nouveau la ligne jaune plutôt pointilleuse aux États-Unis, il sera définitivement libre en 2017. Ce sera alors le moment pour lui de se présenter en bonne et due forme à l’Amérique et au monde.

Pourtant, depuis la fin de sa détention, les réalisations de Mozzy, en solo ou en collaboration, se suivent à un rythme stakhanoviste. Pendant que son agent de probation veille sur le moindre de ses écarts, le rappeur enchaîne les concerts et les featurings. Sans parler des innombrables mixtapes et sorties balancées sur le net ou en CD durant cette période. Philthy Rich, Trae Tha Truth ou Gunplay sont autant d’artistes de la Bay ou du sud des États-Unis aux côtés desquels Mozzy brille durant toute la durée de son contrôle judiciaire. Comme s’il avait tenté de contourner les barreaux symbolisés par les limites administratives du Golden State. Mais ces apparitions ne sont qu’un symbole : si sa musique peut filtrer hors de la Californie, lui est condamné à y rester. Alors en 2017, quand le trentenaire redevient totalement libre de ses mouvements à défaut de l’être de tous ses faits et gestes, il décide que c’est le moment. Celui de prendre de la distance avec la rue. Une prise de distance somme toute relative, qui pourrait être vue comme la cavale que Patterson n’a pas eu le choix d’avoir lorsque les menottes s’étaient refermées sur ses poignets quelques années plus tôt. Cette fuite, il la fera avec 1Up Top Ahk, un album où la rue ne se racontera plus au présent mais à l’imparfait. « Took a step back and started funding the gang wars » y clame le rappeur qui récolte les contrecoups d’une décennie passée au front.

Seize pistes durant, plutôt que les impacts de balles, ce sont donc les confessions que Mozzy multiplie. Désormais, il définit son rap comme une musique d’église pour la rue. Sur des productions concoctées par Dave-O et June, les synthés résonnent avec froideur comme dans la nef d’une chapelle. Et s’il est souvent accompagné par des chœurs sous forme de samples vocaux aériens ou de hookmen attitrés, Mozzy semble bien seul face à ses remords, ses questions et ses doutes. Son passé de membre de gang n’est pas si éloigné, sans qu’on sache qui entendra ses versets oscillant entre rédemption et autobiographie des plus factuelles. « Took a seat in church, my family told me it don’t hurt to try/ It’s therapeutic for you baby, it don’t hurt to cry ». Les souvenirs d’une pauvreté pas si lointaine continuent à hanter ses couplets. Ils sont comme un avertissement que la route sera encore longue malgré l’envie de briller : « I had to work for mines, mingle in the dirt and grind/ I overcame my obstacles and struggles, I deserve to shine ».

« Gangsta rap died with Pac, Mozzy brought it back. »

Pendant ces cinquante minutes où s’entremêlent cœurs et chœurs, parfois criblés d’une interprétation puissante, Mozzy fait de la mort le personnage central de son disque. La mort qu’on inflige autant que celle par laquelle on est tentée. Entre meurtre et suicide, c’est à dire constamment au bord du gouffre, l’auteur de 1 Up Top Ahk rappelle parfois un Scarface ou un Boosie Badazz, ce dernier étant d’ailleurs invité sur l’album. Ici, l’écriture psalmodie des mesures entières ou les mots les ponctuant. Mais comme tout rappeur tentant d’ouvrir la porte de la repentance, et finalement comme n’importe qui regardant son parcours dans le rétroviseur, Mozzy n’échappe pas totalement à son passé. Quand on a été membre d’un gang, on le reste d’une certaine manière toute sa vie, qu’on le veuille ou non. Se déconditionner ne se fait pas en seize pistes, et si la prison suffisait à couper les ponts avec la Mobb Music et ses réflexes fiers et orgueilleux, ça se saurait. Voilà pourquoi par fulgurances, l’Oak Park Blood bombe aussi le torse et agite son bandana rouge vif. Jusqu’à se placer en tête de gondole du gangsta rap version 2017 avec des titres comme « Momma We Made It » ou « Outside ». Et d’asséner : « Gangsta rap died with Pac, Mozzy brought it back ».

Certains répondront à cette phase que le MC sait simplement d’où il vient (un oncle, second couteau chez Death Row, lui met le pied à l’étrier dès 2004). D’autres qu’il ne sortira jamais totalement de la rue et de ses réflexes bravaches. Mais tout le monde s’accordera pour dire que le californien a les épaules pour croiser le fer avec des Jay Rock, des Lil Durk ou un Dave East, notamment lors de ce dernier cri venu d’outre-tombe lancé en compagnie de The Jacka. En croisant en permanence menaces et regrets, fierté et doute, Mozzy donne à voir toutes les facettes d’un personnage torturé, à la croisée de deux vies qui finalement n’en forment qu’une seule cinquante minutes durant. Le plus beau témoignage de ce rap bicéphale ? « Sleep Walkin », quintessence d’une écriture poignante, technique et pas dénuée d’humour, avec un débit à la limite du spoken word. Alors s’il continue de se débattre avec les stigmates de sa vie de gangster, notamment dans une guerre de tranchées à Sacramento contre le vétéran C-Bo et l’ennemi séculaire Lavish D, Mozzy semble avoir fait le choix de ne plus se retourner. Paradoxe, car 1 Up Top Ahk est un album qui lui permettra de s’asseoir sans honte à la table du gangsta rap américain, tant il est de ces œuvres construites dans l’adversité et la contradiction, celles qui donnent toute sa force à cette musique.

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