Zoxea
Interview

Zoxea

Investi avec les Sages Po’, le Beat de Boul, à une époque IV My People, ou simplement en solo, Zoxea est régulièrement cité et considéré comme une figure et un moteur du rap autour de Boulogne. Retour sur son parcours, entre succès et déceptions, et premiers éclairages sur son nouvel album solo, actuellement en préparation. Un échange où il est notamment question de compétition, d’esprit fédérateur, d’image, de coupe Gambardella, de Melopheelo, du Cent-Quatre et de « Tout dans la tête ».

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Abcdr : On va débuter très simplement: quels ont été tes premiers contacts avec le Hip-Hop ?

Zoxea : J’ai commencé le Hip-Hop avec la danse, le smurf à l’époque de Sidney et de l’émission H.I.P. H.O.P. A cette époque là, je dansais beaucoup, j’étais connu en tant que smurfeur. Pas breaker. Smurfeur. A chaque soirée, où plus intimement quand il y avait des mariages dans ma famille, il y avait toujours un moment où il fallait faire le spectacle. J’étais toujours désigné pour ça. C’était pas évident vu que j’étais un peu timide mais au final j’y allais, je smurfais.

Après, y’a eu le tag avec le côté plus vandale qu’artistique. C’était déjà le délire où il fallait cartonner la ville, Paris, les métros…

A : T’étais déjà avec Dan à l’époque ?

Z : Oulah, c’est flou là. Je sais plus…enfin, ouais, je crois qu’on a commencé à se voir aux débuts du tag.

A : Et après tu t’es mis au rap ?

Z : On parlait de danse et de tag mais pour moi le Hip-Hop c’est large. Je m’y suis vraiment impliqué avec la musique. J’avais un oncle et une tante qui faisaient des soirées africaines et invitaient pas mal d’artistes africains. Mes parents leur donnaient parfois un coup de main pour l’organisation. Nous, on était petits, et on évoluait là-dedans, avec des artistes de la scène ivoirienne et d’autres pays. On a baigné vraiment tôt dans la musique. Mes parents n’étaient pas musiciens mais ils aimaient beaucoup la musique. Pendant les trajets en voiture, on écoutait Bob Marley, de la musique africaine et antillaise.

A: T’étais déjà à Boulogne ?

Z: Ouais, j’ai toujours été là-bas. Je suis né à Sèvres, à côté, et j’ai grandi à Boulogne, entre les deux y’a le Pont de Sèvres.

A : Tu es régulièrement cité comme une des personnes à l’origine de cette émulation autour du rap à Boulogne, tu as quelque part montré la voie…

Z : Ouais, c’est vrai mais en même temps il y avait d’autres grands de la cité qu’on ne cite jamais. Des mecs comme Kamel. On l’appelait Ben-K. Il faisait partie du groupe LST, Les Sans Tiep’. Eux, c’étaient les grands de la cité qui faisaient partie de la génération de Melopheelo. Ils allaient souvent en Angleterre et ils ramenaient plein de sapes, des Troops, les survets peau de pèche déjà, les baskets, les sons, les disques. A l’époque, c’était vachement le rap anglais qui cartonnait, Overlord X, Silver Bullet. Avec les BPM super accélérés, et puis Public Enemy. Bref, on a grandi là-dedans, et ces mecs là, non médiatisés, ont beaucoup contribué à l’essor du rap à Boulogne. Après, derrière, mon frère et moi on a apporté aussi un truc.

A : Tu ressens une fierté particulière de ce côté très fondateur ?

Z : Ouais, carrément, et je le revendique aussi. Même si je ne vais pas le crier sur tous les toits. Avec les Sages Poètes de la Rue, et moi, à titre personnel, on a fait beaucoup. J’ai été à l’initiative de tout ce qu’on a pu développer avec différents groupes, j’ai vachement engrainé et motivé les gars. Comme au foot où tu ramènes tous tes potes dans le même club. Moi, j’ai étendu cette démarche au rap.

A : Petit aparté, t’as joué au foot pendant des années, t’as même failli rentrer en centre de formation, non ?

Z : Ouais, carrément, j’avais fait des essais. J’étais en équipe d’Ile de France. Mon premier amour, d’ailleurs je vais écrire un morceau là-dessus, c’était le foot. Mon père était joueur professionnel, international béninois. Et moi, à la base, c’était ma vocation. J’ai baigné dans le foot, le Brésil, Pelé, Garrincha,… J’ai beaucoup joué mais après deux-trois désillusions, quelques blessures et le rap venant, j’ai lâché.

A : Dans une interview récente, Salif expliquait qu’à une époque, genre fin des années quatre-vingt dix, il galérait pas mal et que si un mec lui avait donné envie de rapper, ben c’était toi. Tu avais quels contacts avec lui à ce moment là ?

Z : Salif, c’était un petit du quartier. Il venait à la maison vu qu’à l’époque on avait des jeux vidéos et il venait faire des copies. Je lui faisais des petites cassettes et il commençait à rapper dans son coin. J’avais déjà décelé en lui une bonne écriture. Je voyais qu’il était vif dans le quartier, il était petit mais c’était déjà un bonhomme.

Je l’ai pris en quelque sorte sous mon aile un peu avant mon album « A mon tour d’briller ». On avait même fait un morceau qui n’est jamais sorti. Le morceau s’appelle ‘Groupie’, on avait pris un sample de Charles Aznavour et on a pas eu les droits. Donc, bref, ouais, Salif c’était un des petits, un petit bien prometteur.

A : Depuis tes débuts, tu as beaucoup bossé avec ton frère Melopheelo, que ce soit pour les Sages Po’ ou en tant qu’artiste solo. Bosser avec son frère, ça ne complique pas trop les choses ? Vous ne vous êtes jamais pris la tête ?

Z: Non, honnêtement, jamais. Je ne dis pas ça parce que c’est mon frère mais Melopheelo est vraiment un gars formidable. Dans le Hip-Hop c’est rare un mec aussi humble, positif et gentil. La vraie gentillesse. C’est ce qui m’importe avant tout. J’ai bossé à un moment avec beaucoup de gens différents et si on a arrêté c’est parce que humainement parlant ça n’allait plus. Après, c’est peut-être ce qui me fait défaut vu qu’on est dans un business.

Bosser avec mon frère, c’est un plaisir. Je pense qu’il a une très bonne oreille et qu’il est très bon. Après, il s’est peut-être pas assez mis en avant. Moi, il me fait écouter des sons… je trouve qu’il est en avance sur pas mal de trucs. Je dis souvent que je trouve que Melopheelo a un truc de Dre. J’ai écouté l’album d’Eminem et le morceau ‘Crack the bottle’ avec le sample de Mike Brant. Melopheelo il m’avait fait un son comme ça, avec le même genre de rythme, il y a cinq ans, à l’époque de « Dans la lumière ». Je sais que la comparaison peut paraître prétentieuse vu qu’il a pas une discographie avec plein de disques d’or et de platine. Mais moi, je suis à fond dans la musique et je considère que la comparaison est justifiée.

A: T’as une discographie solo bien riche, comme Dany Dan, mais Melopheelo il n’a jamais eu envie de sortir des trucs aussi dans son coin ?

Z: Ouais, il est trop humble, ou faudrait le pousser. Mais je sais que le jour où je vais le pousser à fond [rires]….Là, j’ai plein de trucs sur le feu mais à un moment je vais stopper. L’énergie que j’ai pu mettre à une époque sur des gens qui ne le méritaient pas… enfin, bref ce qui est fait, est fait. Quand je vois mon frère, un mec humble et patient, le jour où je vais me mettre avec lui, attention, on va faire un truc de dingue.

A : On a l’impression que Melopheelo aujourd’hui il est producteur avant tout. Alors que j’ai encore l’image du mec qui était aussi rappeur…

Z : Ouais, mais Melopheelo il est humain. Faut pas se mentir, il a reçu beaucoup de critiques. On dit souvent Dany Dan, Zoxea… et on délaisse beaucoup Melopheelo. Alors que si vous réécoutez « Qu’est-ce qui fait marcher les sages ? » ou « Jusqu’à l’amour », la magie Sages Po’ elle est dans la combinaison de nous trois, dans cette alchimie.

Après tout ça dépend de la personnalité de chacun. Certains, plus ils vont prendre des coups, plus ça va les motiver. Tu en as d’autres, plus réservés, à qui les coups font mal et qui vont se tenir en retrait. Et ceux-là, si tu les regonfles pas après, ils perdent un peu le truc. Mais vraiment les Sages Po’ c’est la voix de Melopheelo, les métaphores de Dany et mon côté un peu plus rue ou hargneux. Les Sages Po’ à la base c’est mon grand frère. C’est limite lui qui m’a mis dans le rap, lui qui écrivait, lui qui a formé le groupe…

A : SPR !

Z : Ouais, tu connais, SPR, Soul Pop Rock MCs ! Et plus ça va aller, plus on veut le restreindre un rôle de producteur ? Nan, c’est un MC, il a des choses à dire. Après, peut-être que ce n’est pas sa vocation. Là, on prépare le concert Retour aux sources [NDLR : l’interview a eu lieu le 1er juin], il s’investit à fond, on revisite les anciens morceaux où on sent qu’il s’éclatait quand il posait. Après, c’est un déclic. Aujourd’hui, il se sent plus à l’aise derrière les manettes, très bien.

« J’ai été à l’initiative de tout ce qu’on a pu développer avec différents groupes, j’ai vachement engrainé et motivé les gars. Comme au foot où tu ramènes tous tes potes dans le même club. Moi, j’ai étendu cette démarche au rap. »

A : On voulait aussi te parler d’une autre époque, en l’occurrence de IV My People. Tu peux nous redire comment t’as rejoint IV My People et nous commenter aussi comment le label a évolué…

Z: Je vais bien tout vous expliquer. Pendant l’album de Busta, j’ai produit le single ‘J’fais mon job à plein temps’. J’ai aussi fait le morceau ‘Un pour la basse’, morceau sur lequel j’étais aussi en featuring. Dans le studio, y’avait une grosse dynamique. Kool Shen qui réalise l’album de Busta est impressionné par la façon dont j’opère en studio.

Or à l’époque avec les Sages, on s’était dit qu’on allait partir en solo. Faut savoir qu’on est très influencés Wu-Tang, et c’est l’époque où les mecs du Wu sortent des albums solo. On s’est dit qu’on allait faire pareil, en se disant qu’on allait déployer nos forces pour revenir plus fort après. Moi, entre temps, j’avais fait mes maquettes et enregistré pas mal de trucs avec mon ingénieur Patson. A un moment, j’fais écouter mes maquettes à Kool Shen, à Busta et à Charbonnier le D.A. de l’époque chez Warner, et ça leur plait à tous. A partir de là, on me propose de signer. Ah, et y’a aussi Spank, on l’oublie souvent. A l’époque il avait son petit magasin aux Halles et il jouait souvent ‘Beat de Boul est dans la sono’. Ca a contribué au buzz de l’époque, au fait que les gens s’intéressent à moi. Big up à lui.

Suite à ça, ça se passe bien en studio et Kool décide de créer un collectif qui s’appellera IV My People. Dans ce collectif, il y a Busta, lui et moi. La création de ce collectif donnera naissance au morceau ‘This is 4 my peeps’ produit par Madizm avec Lord Kossity. Y’a une grosse dynamique, on fait la 93 Party, le clip du morceau avec Joey, ambiance de dingue, il y avait même Dany… mais moi, je suis signé chez Warner à l’époque, Busta aussi. IV my People n’est pas encore un label déposé, juste une marque. C’est devenu un label plus tard, mais moi je suis juste dans le collectif.

A : A l’époque, on ressentait une putain d’alchimie avec Busta, notamment avec le morceau ‘Un pour la basse’. Vous avez jamais eu envie de la pousser plus loin cette alchimie ?

Z : Honnêtement, si, on aurait aimé. Déjà, avec tout cet engouement, la logique aurait voulu qu’on commence par sortir l’album IV My People avec Kool Shen, Busta et moi. Plus les invités qui se devaient d’être là. Mais ça c’est jamais fait. A cette époque, y’avait une grosse vibe, une bonne compétition qui te pousse, de l’adrénaline, tout ce que j’aime. On aurait pu sortir des très bons trucs… Ca se fera peut être bientôt…

A : L’album était vraiment prévu ?

Z : Ouais. On avait sorti le single et l’album était une suite logique.

A : C’est ce que le public attendait en tout cas…

Z : Ouais, je sais [rires]. Pour Busta, on a fait la dernière tournée NTM ensemble, pas mal discuté sur plein de trucs. On s’entend bien, après, aujourd’hui, chacun a ses trucs, son actualité, mais pourquoi pas faire un jour un album ensemble.

A : On va continuer à remonter le temps. Quel regard tu portes aujourd’hui sur ton premier album solo, « A mon tour d’briller » ?

Z: Dix ans se sont écoulés, c’est difficile à dire. Honnêtement, j’le réécoute pas mais y’a des titres que je fais sur scène aujourd’hui et que je referais probablement dans dix ans, vingt ans. Genre ‘La ruée vers le roro’, seul ou avec Busta, ‘Rap musique que j’aime’, ‘L’hymne du Mozoezet’. Pour moi, c’est un bon premier album solo mais on peut toujours faire mieux. En tout cas, pour ma part, je m’arrête pas à ça.

A : Ton deuxième album solo, « Dans la lumière », n’a pas rencontré le succès que tu aurais pu espérer. A ton avis, pour quelles raisons ?

Z: J’sais pas. Honnêtement, j’pense que c’est un album qui avait un gros potentiel commercial. Y’avait un morceau comme ‘Esprit ghetto métèque’ qui a failli rentrer plusieurs fois en radio mais au final non, va savoir pourquoi…  Des morceaux comme ‘Jamais oublié’, ‘Une fois que c’est terminé’, ‘Tout est écrit’. C’est un album que j’ai beaucoup axé sur la mélodie, le chant, qui est un truc qui fait vraiment partie de moi. Y’avait aussi des côtés techniques, comme sur ‘Bounce’. Même si l’album était autoproduit, il était distribué par une grosse maison de disques. Je pensais vraiment pouvoir bénéficier de l’appui des radios. Générations m’a suivi, Sky un peu sur les émissions spé’ mais j’ai pas eu les rotations escomptées.

Tu sais, un album comme « Jusqu’à l’amour » fait partie des classiques aujourd’hui, mais à l’époque il était assez critiqué. On disait qu’il y avait beaucoup de titres. Les double-albums dans le rap français ça se faisait quasiment pas….

A: Là, pour le coup, ça conforte un peu le mimétisme avec le Wu-Tang, un double album pour marquer le retour du groupe – comme « Wu-Tang Forever »…

Z: Ouais, à l’époque on était grave influencés par Wu-Tang. Et à ce moment là, on enregistrait constamment. Matin, midi et soir.

A : D’ailleurs, on s’en rend plus compte aujourd’hui avec la série des « Trésors enfouis ». Autant chaque groupe a toujours des morceaux de côté, autant là, y’en a un paquet….

Z : Et y’en a encore beaucoup. De quoi faire trois-quatre « Trésors enfouis » supplémentaires.

A : Et ces morceaux sont déjà finalisés ?

Z : Marrant que tu me dises ça, ça me rappelle l’époque où on démarchait les maisons de disques. On arrivait et certains D.A nous demandaient toujours si les morceaux étaient bouclés. Y’a toujours des petites retouches mais en général nos morceaux étaient structurés un minimum. Au niveau de la réal’ du titre, on essayait de sortir des trucs aboutis.

A : Quand on regarde aujourd’hui les gens qui ont composé le Beat de Boul on est habité par deux sentiments : une certaine admiration vu que la plupart ont sorti des albums, des projets mais aussi quelques regrets avec le sentiment qu’il aurait été possible de faire plus et mieux. Quels sentiments t’animent ?

Z : Je crois beaucoup en Dieu, et pour moi ce qui doit arriver, arrive. Si ça s’est passé comme ça, c’est qu’il y a une raison, que ça devait être comme ça. Dans la vie, tout est prédit. Après, les amoureux de la musique, et j’en suis un, peuvent se dire que ce collectif là, réuni aujourd’hui, avec toute cette expérience cumulée, ça donnerait un gros truc. Mais si ça ne se fait pas, c’est qu’il y a des raisons.

A : Avec le projet « Beat de Boul volume 3 », on avait le sentiment que tu avais essayé de fédérer une nouvelle équipe, une nouvelle génération.

Z: Non, le « Beat de Boul 3 », il ne s’est pas fait dans cet esprit. De toute façon, l’équipe originelle de Beat de Boul elle n’a pas été formée, elle s’est faite naturellement, on a grandi ensemble, marché ensemble, on a fait des conneries ensemble. Et ça, tu pourras jamais le remplacer. Quand j’ai fait « Beat de Boul 3 », c’était plus avec l’intention d’utiliser Beat de Boul comme une marque pour mettre quelques personnes en lumière, un délire pour l’utiliser comme un label découvreur de talents,

A : Tu regrettes la façon dont a été gérée la promo’ à l’époque ?

Z : Non, j’avais fait une interview à l’époque où j’expliquais tout ça. Aujourd’hui, à l’ère d’Internet, il faut faire bien attention à la façon dont tu gères ton image, à la façon dont tu la diffuses. Tout ça peut te servir comme te desservir. J’essaie tout le temps d’apprendre et d’évoluer. Après, y’a certains trucs que j’ai fait à l’époque et que je referais pas aujourd’hui. Mais si je l’ai fait, c’est que je devais le faire à ce moment là. Aujourd’hui, je ferais différemment, et d’ailleurs je fais différemment.

A : Est-ce que tu te rappelles de l’article qu’on avait publié à l’époque en réaction aux vidéos promos de « Beat de Boul 3 » ?

Z : Oui, bien sûr.

A : Tu avais réagi violemment à cet article dans une interview filmée. Avec le recul, as-tu conscience des critiques que nous faisions dans cet édito ?

Z : Il faudrait que je le relise cet édito.

A : En résumé, cet édito disait que ces vidéos ne collaient pas aux Sages Po’ qu’on pouvait aimer, on sentait trop que c’était pas spontané, que c’était très orienté, trop orienté promo…

Z : Ouais, je vois. Y’a un truc qui avait dû me choquer. Honnêtement, quand j’avais lu l’édito, j’avais rigolé. Moi ce qui m’a fait réagir, c’est une personne qui m’a dit « tu peux pas laisser faire ça ». Et c’est pour ça que j’ai réagi. [Silence de plusieurs secondes] Mais ça je l’ai fait pour le groupe et cette personne. J’en dirais pas plus.

A : Pour continuer sur le sujet Internet, aujourd’hui, c’est vraiment LE média majeur autour de la musique. Qu’est-ce que tu penses de ce nouvel environnement ? Tu as aussi participé à ce mouvement « Le rap c’était mieux avant ». Tu as même un morceau là-dessus. Est-ce que c’est uniquement par nostalgie ? Ou tu déplores l’état du rap ?

Z : Quand je dis que le rap c’était mieux avant, c’est déjà un peu par provocation. Maintenant, je trouve, personnellement, que la qualité de la musique a baissé. A l’époque, les sons étaient pas pareils, les raps et les rendus étaient différents. Et même au niveau de l’état d’esprit c’était autre chose. Même si ça a toujours été très dur dans le rap, et j’en ai vécu des époques… Après, ça n’engage que moi. Aujourd’hui, je suis encore dans le rap, j’ai un album qui va arriver, qui va être jugé et critiqué. Je prends surement des risques à dire ça mais on ne peut pas nier que c’est le reflet d’une certaine réalité.

A : Mais il y a des groupes qui te parlent dans le rap de maintenant ?

Z : Déjà, moi, j’écoute du rap français. Apparemment, personne n’écoute de rap français. Moi, j’écoute de tout et je peux apprécier certains trucs, mais je donnerai aucun nom. Très rares sont ceux qui nous citent, alors qu’on a grave marqué sur plein de trucs. Ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent. Pourtant, nous aussi, on a contribués à la médiatisation du rap.

A : Dany Dan nous disait qu’un nouvel album des Sages Po’ arriverait probablement en 2009, peux-tu nous en dire un peu plus ?

Z : Oui, en préparation dans nos têtes ! [rires] A l’époque où Dany avait fait cette interview, je m’en souviens bien, on devait commencer à enregistrer, un titre par mois. Je disais à Dany qu’on allait le faire. Mais pour moi, on peut pas faire un album Sages Po’ comme ça, enregistrer un titre un mois, puis le mois suivant un autre… Non, pour cet album il faut qu’on se remette dans les conditions d’avant. Qu’on soit tous les trois, ensemble, qu’on mette la science. On peut pas faire un album avec un titre là, un autre plus tard. Non, les plus gros succès qu’on a fait, c’est quand on était à la maison ou dans le studio en vase clos. Dans ces conditions, on pousse la compétition. On écoute du son, Melopheelo met un truc, moi un autre. Dany balance un couplet qui tue, faut que je brule le micro, Melo se surpasse parce qu’il y a du level. C’est comme ça que moi je conçois un album Sages Po’.

Aujourd’hui, on a la chance de bénéficier d’un endroit comme le Cent-Quatre, on peut faire nos répétitions pour les concerts. Si je dis que c’est dans la tête, c’est qu’à l’intérieur ça bouillonne. On a vraiment envie de le faire cet album mais on va pas le faire n’importe comment.

« Tu sais, un album comme « Jusqu’à l’amour » fait partie des classiques aujourd’hui, mais à l’époque il était assez critiqué… »

A : On a l’impression que depuis toujours tu adores le freestyle, et ce que ce soit en concert ou sur disque. Est-ce que c’est un truc que tu as cherché à bosser à un moment ou c’est venu naturellement ?

Z : Ça fait partie de ma personnalité ça, ça vient de mon goût pour le danger. J’ai besoin de quelque chose qui me pousse pour me surpasser. T’arrives sur scène, t’as plein de MCs qui oseraient pas faire deux rimes d’impros par peur de s’afficher. Le disque il va sauter, t’as des mecs qui vont demander au DJ de remettre le truc. Moi je m’en fous, ces moments là, on est danger, et c’est là que je vais être le meilleur. Il y a quelque chose de magique qui va se passer. Quelque chose de pas explicable.

On va en revenir au foot. Quand je jouais au foot, on rencontrait parfois des équipes et on leur mettait des 10-0, des 15-0. C’était marrant, mais quand c’était comme ça j’aurais limite préféré rester chez moi ou jouer avec mes potes. Par contre quand on était en coupe de Gambardella et qu’on jouait des équipes comme Versailles ou le PSG, là fallait sortir toutes les techniques que t’avais apprises à l’entrainement, fallait tout donner.

A : Tu supportes une équipe de foot en particulier ?

Z : Non, je vais te dire le foot c’était mieux avant ! [rires] Je te jure, c’est bizarre. Quelqu’un qui me connait bien et lit que je ne suis plus le foot, il va se dire mais c’est un truc de malade ! Parce que pour moi le foot c’était tout, j’étais incollable sur tout. Mais après, voilà… C’est la musique que j’aime le plus et que j’ai jamais lâchée.

A : T’as participé à beaucoup de projets, fait beaucoup de collaborations. Parmi toutes ces collaborations, quelles sont celles qui t’ont le plus marqué ?

Z : [Il laisse passer plusieurs secondes] ATK par exemple. J’ai de bons souvenirs en studio. IV My People bien sûr, Beat de Boul, O.S.F.A. aussi. Toutes en fait.

A : Comment vous aviez atterri sur le deuxième album de MC Solaar, « Prose Combat » ? Via Jimmy Jay, ou autrement ?

Z : A cette époque là, on était sur notre premier album « Qu’est-ce qui fait marcher les Sages ? » En fait Solaar kiffait grave ce qu’on faisait. Et être sur son album, c’était un bon coup de buzz pour nous alors on a fait ce morceau ‘L’NMIACCd’HTCK72KPDP’ dans l’esprit du freestyle de fin comme ça se faisait sur chaque album à l’époque. On avait déjà fait ‘Obsolète’ qui avait eu beaucoup de succès alors on a réitéré là-dessus.

A : Depuis plus d’un an, un an et demi, y’a le live que vous aviez fait à Taratata qui tourne sur le net. C’est un bon souvenir ça j’imagine ?

Z : [enthousiaste] Ouais, grave ! Toute cette époque, avec tous ces groupes, le 501 Possee, Jimmy Jay. Quand tu regardes, toutes les collaborations qui m’ont fait vraiment kiffer c’était avec des groupes. Y’avait ce côté adrénaline et compétition.

A : T’es encore en contact avec Solaar ?

Z : Ouais, on se croise de temps en temps. Il y a toujours un grand respect entre nous.

A : Dany Dan nous disait la dernière fois que tu avais un projet d’album commun avec Kossity, il est toujours d’actualité ?

Z : Ouais, l’album avec Lord Ko’ il est fini. On a fait deux clips, un moyen métrage qu’on a fait à Los Angeles. C’est un album qu’on a fait de façon très impulsive. Après pour ce qui est de la sortie, j’ai mes projets, il a les siens. Mais quand ce sera plus calme, ce sera le bon moment pour le balancer.

A : Quand tu parles de moyen métrage, c’est un documentaire ?

Z : Non même pas, c’est un film de quarante minutes, on a écrit un petit scénar’. C’est l’histoire de deux espèces de losers qui arrivent à Los Angeles, veulent fricoter avec le milieu et se mettent dans des histoires pas possible. Au final, ils se font un peu banane. C’est plus burlesque qu’autre chose.

A : Vous avez rencontré du monde là-bas pour faire ça ?

Z : Ouais mais à l’arrache. On a trouvé des acteurs qui jouent dans des grosses séries, genre « Weeds ».

A : Le projet c’est de le mettre en complément de l’album ? A part ?

Z : On sait pas, on n’en a pas encore parlé. Maintenant, on va peut-être faire quelques petites retouches, ajouter des morceaux… enfin le rap français, il évolue pas si vite que ça, faut arrêter de se branler.

A : Dans le clip de ‘Y’a que ça à faire’, il y avait aussi ce côté un peu marrant.

Z : Ouais, c’est vrai. Ce clip là, je l’avais réalisé avec Biggs qui a fait beaucoup de trucs depuis. Je voulais vraiment faire un truc fendard. On l’avait fait aux Etats-Unis ce clip, c’était cool.A : Pour revenir à ton actualité, comment tu t’es retrouvé en contact avec le Cent-Quatre ? Tout ça c’est dans le cadre de ton nouvel album à venir ? Aujourd’hui, on est dans des supers locaux, on a vu ton espace…

Z : C’est grâce à Dieu. A l’époque où je suis venu ici, je voulais faire mon album. Et pour mon album ou pour un album Sages Po’, j’voulais pas faire ça à l’arrache. Tu dois pouvoir être posé quelque part, prendre ton temps. Les gros classiques qu’on a pu faire avec Beat de Boul ou avec les Sages Po’ c’était à la maison, posé et tranquille. Pour mon album, il me fallait un endroit. J’ai entendu parler du Centre-Quatre. Etre ici, c’est aussi donner un autre statut au rap. Il y a ici un côté très artiste. Tu côtoies des plasticiens, des metteurs en scène. Et nous sommes des artistes, nous avons notre place ici. Alors, j’ai fait la demande et quand j’ai expliqué mon projet, l’album Tout dans la tête, écrit sans feuille ni stylo, ça a intéressé le Cent-Quatre et ils ont accepté direct. Depuis, je suis là.

A : J’ai entendu que ton nouvel album serait en deux parties. La première intitulée « L’esquisse » et la seconde « Le chef d’œuvre »…

Z : Pour cet album, je veux m’affirmer en tant que compositeur. Idéalement, je voudrais faire toutes les prods. Dans cet esprit, les prods sont les esquisses des morceaux. L’écriture vient ensuite. L’Esquisse ce sera donc la version instrumentale de l’album.

C’est comme ça que je vais vraiment faire du Zoxea. Pour trouver l’instru’ qui va coller exactement, faut que ce soit un truc qui sorte de ma tête. L’alchimie entre ces instrus et les lyrics va donner le Chef d’Oeuvre.

Un truc bien avec le Cent-Quatre, c’est que le dimanche mon atelier est ouvert et je fais découvrir au public l’avancement de mon travail. Ca me permet d’avoir un baromètre, de voir les réactions des gens, de voir ce qu’ils attendent de moi, ce qu’ils ont aimé. Je me nourris de tout ça, et ce même si au final c’est moi qui aurait le dernier mot. Ces ouvertures au public, c’est vraiment cool, y’a une séance micro ouvert à la fin, je mets mes instrus et celles de Melopheelo.

A : Quand tu prépares ton nouvel album, tu ressens le poids de ton héritage, de ce que ça t’as fait avant ? Quel rapport tu entretiens avec tes anciens disques ?

Z : Honnêtement, je peux me dire que certains sons me rappellent d’autres trucs que j’avais faits. Après, je peux avoir envie de le refaire, mais sans faire du copier-coller, juste choper la vibe. Moi, je suis pas le genre de mec qui arrive en studio et choisit tel thème, tel autre thème. Non, j’écris en fonction de la musique, de ce qu’elle va m’inspirer et de mon humeur.

T’écoutes un album Sages Po’-Zoxea, y’a aucun morceau qui se ressemble. Tu prends ‘Qu’est-ce qui fait marcher les Sages ?’ ça ressemble pas à ‘Un noir tue un noir’, ni à ‘Pas besoin d’apparaitre dur’ ou ‘Amoureux d’une énigme’. « Jusqu’à l’amour » c’est pareil, même chose pour « Dans la lumière ». Cette diversité c’est un truc auquel on a toujours tenu. Je sais que cette variété c’est un truc qu’on nous a reproché à une époque. A la grande époque de Mobb Deep, il fallait avoir la même couleur sur tout un album. Tout le monde suivait ça, les gens se bridaient du coup. Aujourd’hui, je suis de bonne humeur, on est là, bonne vibe, tout à l’heure, j’étais dans les bouchons c’était aut’chose. Si j’écris un truc maintenant, ça va pas être la même chose que si je l’avais fait tout à l’heure. Pour le son, c’est pareil.

Après, si je veux la jouer artistique, je peux faire un album d’une certaine couleur. Les gens ils aiment Zoxea comme ça, genre Mozoezet. OK, je peux m’alcooliser et faire un album de fou sur deux titres. Mais ça m’intéresse pas ça. Quand j’ai fait ‘L’hymne du Mozoezet’, ça allait avec le contexte. D’ailleurs, rien que le titre, Mozoezet, l’hymne du Moet, c’est mon langage ça avec les Z, celui que j’ai créé avec Dany Dan en tournée. Aujourd’hui, je vais pas m’amuser à faire quinze fois ‘L’hymne du Mozoezet’, déjà parce que d’un point de vue santé et forme ça m’intéresse pas, mais aussi parce que j’ai envie de voir transparaitre un côté naturel dans mes albums.

A : Est-ce que les années qui passent t’ont amenées à changer ta façon d’envisager le rap ? Tes projets précédents était très axé rap français, ici on sent une vraie mise en valeur de Zoxea l’artiste.

Z : Non, pour moi un album comme « Dans la lumière » c’était vraiment Zoxea l’artiste. Y’avait plein d’expériences qui me sont propres dans cet album. Elles ont peut-être été critiquées, mais elles étaient là. Si vous venez le dimanche, vous verrez y’a une première partie qui est peut-être plus artistique, avec des gens de tous les âges, de partout. Elargir le truc au maximum ça a toujours été ma démarche. Mon titre ’60 piges’, sans le prendre au premier degré, c’était vraiment pour dire que ma musique elle est pour tout le monde et elle est intemporelle. Passé cette première partie, t’as mon côté freestyle qui ressort, avec des gens de partout, des rappeurs qui viennent de toutes les banlieues, avec un côté plus brut.

A : Ces sessions Open Mic ça rappelle ce côté fédérateur dont on parlait au début.

Z : Mais grave. Moi, j’ai toujours été comme ça. Quand je faisais du foot, j’ai rencontré des gens du quartier qui avaient un truc, je les ai embarqués pour qu’ils signent leur licence dans le même club que moi. Ca a été pareil pour le rap, quand j’ai fait Beat de Boul. J’ai trouvé le nom du groupe, je voulais vraiment faire un gros truc, avec cet aspect fédérateur, cette idée que l’union fait la force.

A : Ce côté fédérateur parait bien moins présent aujourd’hui dans le rap français. C’est une des raisons qui t’amène à penser que le rap c’était mieux avant ?

Z : Quand on en parlait tout à l’heure, j’ai pas mal insisté sur l’état d’esprit. Moi, ce côté regroupement-compétition, ça va avec mon personnage. Quand je me suis mis à écrire de tête, c’est venu de quoi ? Pas parce que Jay-Z ou Notorious le faisaient, même si ce sont des gens dont j’apprécie la musique. Je sais qu’ils font ça depuis longtemps. Non, à un moment donné, je me suis dit qu’il fallait que je me surpasse. Et du coup, j’en suis venu à cette démarche. Même si c’est plus dur, je veux faire ça.

A : T’as pas eu envie d’essayer de relancer ce côté fédérateur, via une radio, une compilation ?

Z : Oui, c’est ce qui se passe là. Si t’avais vu quand on a commencé ici, on a débuté très timidement. Je voulais surtout pas communiquer là-dessus, mais me replonger comme à l’époque. On apprenait qu’il y avait des sessions de micro ouvert à Meudon, on y allait. A l’époque, y’avait pas Internet, pas de portables. Mais on était au courant. Par le bouche à oreille. Et c’est exactement ce que j’ai voulu faire.

J’ai pas voulu crier ça sur tous les toits. Mais le bouche à oreille a fait son travail. Tu regardes les sessions, tu as de plus en plus de monde. J’ai rencontré plein de bons rappeurs, des gens qui reviennent, et ramènent d’autres gens. Tout ça se fait naturellement.

A : L’époque est à la reformation, que ce soit en France (NTM, La Cliqua), ou aux Etats-Unis (EPMD, Pharcyde,….). Comment tu expliques cette vague de reformation ?

Z : Pourquoi j’ai fait un titre comme Le rap c’était mieux avant ? Parce que je rencontre des gens de la rue qui me demandent quand je vais sortir un nouveau truc et me dise « vas-y c’est pété maintenant ». C’est comme ça que ça parle. Y’a un amour des gens pour une certaine époque dont il reste encore des trucs. Mais beaucoup vont te dire qu’ils n’aiment plus. Ou ils vont aimer en cachette. C’est vraiment ce que j’entends.

Parfois, tu as des gens qui passent et qui voit Zoxea. Ca leur rappelle un truc un peu lointain. Ils n’écoutent plus de rap et sont passés à autre chose. Ils rentrent et me posent des questions. Moi, je leur fais écouter des trucs. Ca ne veut pas dire qu’ils vont acheter ou adhérer derrière, mais peu importe, je les remets un peu dans le bain. Tous ces groupes, ça doit être pareil, s’ils se sont reformés c’est parce qu’ils ont entendu que derrière il y a de la demande.

A : Justement, ces retrouvailles sur scène avec NTM, des années après la dernière tournée, ça s’est passé comment ?

Z : Pareil. Même mieux. Chaque soir sur scène on devait se surpasser. Y’avait un tel engouement…

A : Quels sont les prochaines étapes pour ton projet de nouvel album ?

Z : Je suis très attaché au chiffre onze, un chiffre qui me suit depuis que je suis petit. J’aimerais sortir ce nouveau projet le 11/11, qui est aussi le jour de mon anniversaire. C’est un fantasme que j’ai depuis longtemps. Là, j’ai encore le temps pour embellir les choses. J’espère tenir cette date, vraiment. Normalement, on devait sortir « L’esquisse » en septembre, qui est très avancé. Après, on sait pas… Aujourd’hui, ma priorité c’est Tout dans la tête, le chef d’œuvre.

A : Pour conclure, on te laisse le mot de la fin.

Z : Beaucoup de respect et d’amour pour ceux qui me suivent. Je vois les gens qui viennent me voir, me donnent beaucoup de respect. Je reçois beaucoup de mails, des messages via Facebook ou Myspace. Ca fait vraiment plaisir. Rien que pour ces gens là qui t’encouragent, tu peux pas lâcher. Toutes ces forces qu’ils me donnent, je vais les rebalancer à travers mon groupe, à travers mes collectifs. Même la haine que j’ai pu recevoir ces trois dernières années, elle va être retransformée. Jusqu’à l’amour.

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