Sinik
Interview

Sinik

Figure du rap à la française, auteur de disques s’étant écoulés à des dizaines de milliers d’exemplaires, Sinik draine autant de fans que de détracteurs. Rencontre avec un rappeur dont le succès et les thèmes bien arrêtés en font la cible de toutes les intentions.

A : A l’époque du « Toit du monde », tu avais expliqué dans une interview [au Parisien, NDLR] penser à lâcher le micro. Tu te demandais « si tu avais encore des choses à dire, si tu étais encore en phase avec les jeunes ». Deux ans plus tard, tu es là avec ton nouvel album. Qu’est ce qui t’a poussé à continuer ?

S : Je disais dans cet article que je me laissais encore un album. Ça a été un peu transformé comme une pseudo annonce alors que ce n’était pas du tout ce que je voulais dire. Grosso modo, quand tu arrives à ton troisième album, quand tu as eu la chance que tous tes disques marchent et de tourner un peu partout, c’est légitime de se demander si les gens ont encore envie de t’entendre. Mais ça a un peu été détourné en « j’arrête le rap », alors que je voulais juste montrer que je me posais ce genre de questions, légitimes pour un artiste.

C’est la première fois que j’ai eu un break de deux ans entre deux disques. Il se passe beaucoup de choses en deux ans ! Moi je sais que j’ai la gnaque sinon je n’aurais pas refait un album. La question c’était plutôt sur le fait de savoir si les gens avaient encore envie de m’écouter ou non, si le discours passe toujours. Ce n’est pas une histoire de chiffres, d’albums vendus. Je ne suis pas comme ça. Je ne vais pas me dire « Oh c’est bon, ça a toujours marché, ça marchera toujours » comme certains pourraient le faire. Je me remets en cause à chaque album.

A : Suite à « Ballon d’or » [son nouvel album, NDLR], tu t’es donc reposé ces questions ?

S : Ouais, d’ailleurs une partie de leurs réponses sont dans l’album. Et il n’y a rien de mieux que de sortir un album pour savoir si les gens sont toujours là, si ils ont toujours envie de t’écouter. Je fonctionne beaucoup au soutien, j’ai besoin de me sentir soutenu. Si je sens que c’est un peu moins le cas, j’essaierai sûrement de faire autre chose.

A : Quand tu as commencé, tu t’es pourtant construit tout seul, sans soutien.

S : Ouais mais c’est vraiment différent. A l’époque je ne pensais même pas que j’arriverais un jour à ce stade. Quand tu commences, le soutien tu n’en as pas besoin, tu es à fond dans l’auto motivation. Désormais, il est question de sorties d’albums. J’ai eu le temps de voir qu’il y avait un public qui avait suivi pour le premier, le deuxième et le troisième album. C’est par rapport à ces gens que je me pose des questions. C’est le soutien du public dont je parle, constater que les morceaux parlent aux gens, qu’ils font réagir. C’est sentir l’engouement quelque part ! Sentir que l’album plait, qu’il tourne dans les bagnoles, que les gens l’écoutent. Tout ça c’est palpable. Tu le sens très vite si ton album parle aux gens, si il marche bien dans l’échange que ça crée entre toi et ton public. Encore une fois, c’est normal de se poser ces questions. Moi je suis sûr de mon album, mais j’ai hâte de voir comment il va être accueilli.

A : Quand tu as commencé, que ‘L’assassin’ t’a fait connaître, tu étais la bombe underground que tout le monde attendait. Maintenant que tu as atteint un succès considérable, tu as tout un lot de détracteurs, qui sont d’ailleurs parfois les mêmes que ceux qui étaient en sang sur ‘L’assassin’. Comment tu analyses le chemin parcouru, mais aussi la vision du public qui change entre le moment où quelqu’un est underground et le moment où il devient super exposé ?

S : Comment je l’analyse ? Pour moi c’est très simple : en France, tant que tu ne vends pas trop d’albums, que tu fais des petites scènes spé’, qu’on te voit mais pas trop, on dit de toi que t’es un mec mortel, un mec underground. Que t’es un vrai, que t’as pas baissé ton froc, etc. Et dès que tu signes en maison de disques – chose que tous les rappeurs espèrent un jour ou l’autre – on te dit que tu es commercial. Dès que tu as un morceau qui passe en radio, ton statut change. Et une fois que ton statut change, il y a tout ce qui va avec : les détracteurs, les gens qui parlent mal sur internet, tout le mauvais côté du truc. Mais quelque part c’est rassurant parce que ça prouve que tu es quelqu’un, que ce que tu fais fait réagir, que t’existes dans ce milieu. Et d’un autre côté, oui bien sûr, c’est un peu saoulant, je ne te le cache pas. Mais bon, il faut savoir vivre avec ça. C’est clair que lorsque je ne vendais que mon Street-CD, je ne lisais pas les mêmes commentaires, je n’entendais pas les mêmes trucs que maintenant. Les gens ne te perçoivent plus de la même manière, alors qu’à la base, tous les rappeurs qui sortent un disque sont commerciaux quelque part. Par logique, c’est du commerce, tu cherches à vendre ton album. Mais c’est sûr qu’une fois exposé médiatiquement, les langues de putes et les jaloux se réveillent. C’est le jeu médiatique. Les politiciens y ont le droit, tous les gens médiatisés y ont le droit. Ça fait partie du game.

A : Ton premier succès était ‘L’assassin’, et souvent, le premiers succès colle une étiquette dont il est dur de se défaire. Pour ‘L’assassin’, ça t’a donné l’étiquette d’un rap « bulldozer », le gars qui clashe, ‘l’homme à abattre’ comme tu l’avais écrit d’ailleurs. Est-ce que tu as ressenti le besoin d’évacuer cette étiquette, entre autre en arrêtant les clashes ?

S : Oui, exactement. Moi quand j’ai fait ‘L’assassin’, je sortais d’une grosse période battles et tout ça. Je l’ai fait pour moi en me disant que je me  faisais un morceau qui symboliserait mes années battles et clashes. Mais j’étais loin de m’imaginer que ça allait devenir mon classique, le morceau qui allait me lancer.

Comme tu le dis, en France, quand t’arrives avec quelque chose de bien précis, on te colle une étiquette sur le front. Moi j’étais le clasheur. Et ce n’est pas arrivé qu’à moi. Regarde Kamini, le mec est estampillé rap de campagne, un autre sera le gangster etc. Chacun se fait coller sa petite étiquette sur la gueule et c’est difficile de l’enlever, de faire comprendre aux gens que tu ne fais pas que ça dans la vie. Le clash, c’est une petite partie de ma vie. Dans mon écriture, il y a des morceaux tristes, des morceaux marrants, des morceaux festifs. Donc c’est un peu saoulant,. On a été un peu victime de « notre succès ». Quand tu ramènes ce délire du clash et que tu deviens le mec pour qui ça a marché, tu t’attends à ce que ça réveille des gens, que des mecs se disent qu’en te clashant, ils se feront leur buzz. Donc durant la période post ‘L’assassin’, je me doutais que des gens allaient sauter sur l’occasion et me clasher. Et tu ne peux pas arriver avec une réputation de clasheur, et au final ne pas répondre quand toi tu te fais clasher ! Il a donc fallu répondre sur le même terrain deux, trois fois. Mais ça finissait par me saouler un peu, ce n’est pas les trucs dont je suis le plus fier parmi tout ce que j’ai fait depuis 5 ans. Au bout d’un moment ça devient un peu une obligation de le faire, c’est un peu comme un boxer qui a une ceinture à défendre. Mais t’as peut-être pas forcément envie d’y aller ou t’as peut-être autre chose à faire à ce moment là. L’image du Eminem, du clasheur, au bout d’un moment ça m’a gavé. Donc on a fini par mettre le hola, on a dit aux gens « voilà on sait faire autre chose, ça vous plait ou pas, mais on ne va pas jouer sur le clash éternellement ».

A : Par rapport à Booba, tu t’es senti piégé un peu, la manière dont ça a enchaîné ?

S : Par lui ?

A : Oui.

S : Non, pour être franc je m’y attendais un peu, je sentais que ça allait péter avec lui. Je m’attendais à ce genre de plan, c’est-à-dire une phase dans un texte, façon pique lancée. Et vu que je suis tout de même un clasheur dans l’âme, je préfère clasher un mec comme lui que des mecs pas connus sur internet qui ont tout à gagner, qui cherchent à se faire leur buzz. Je me suis dit : « Puisqu’on y est, autant aller jusqu’au bout et poser nos couilles ». C’était une manière de dire « faut pas clasher ». Après ce qui m’a saoulé, ce n’est pas le clash, mais les proportions médiatiques que ça a pris et l’image que ça donnait du rap. Encore une fois, les clashes ne sont pas les trucs dont je suis le plus fier. Je me bats aussi pour montrer que les rappeurs ne sont pas que des casseurs de voitures et des mecs qui parlent mal. J’essaie de montrer qu’on est une musique professionnelle, qu’on bosse avec des gens carrés. Et pourtant, c’est quand tu rentres dans ce délire de clash que tu vois plein de papiers fleurir à ton sujet.

Au final, c’est donner de la matière aux détracteurs du rap, ça revient à donner le bâton pour se faire battre. « Ah regardez les deux représentants du rap ! ». A la fin t’as l’impression d’être un guignol, un coq qui se bat devant tout le monde. Et cet aspect « battez-vous, ça nous fait rigoler », ça m’a saoulé. Alors fin de mission !

« J’ai grandi dans un univers rap français, et je n’ai pas eu besoin du rap cainri ni de ses codes pour faire du rap. »

A : Tu reviens souvent sur la solitude dans tes morceaux, et parfois par rapport au succès. Il y a par exemple cette phase : « Le destin a creusé un écart, comme si en baisant la musique j’avais trompé le tiekar ». Je t’ai aussi entendu expliquer qu’entre le studio, la scène et tout, tu n’avais plus trop de vie sociale. On dirait que t’as mis du temps à digérer le côté obscur du succès, que tu as découvert une grande part de désillusion humaine. Tu t’es senti un peu abandonné quelque part, voire même trahi ?

S : Quand ça marche, l’erreur est de croire que tu as plus d’amis. La réalité, c’est que justement, tu en as moins que si tu n’avais pas été connu.

A : Ça fait un tri ?

S : J’en suis sûr, c’est une évidence totale. Le succès, tu as le bon et le mauvais côté. Le mauvais côté c’est que tu te rends compte qu’autour de toi, il y a des gens qui ne sont plus bien intentionnés, ou qui ne t’aimaient pas vraiment. En même temps, ça te permet justement de faire un tri. Ceux qui restent sont les vrais amis. Je ne veux pas du tout faire le mec qui se plaint, mais c’est juste qu’être connu, ça change ta vie. Tu ne peux plus faire les mêmes choses, tu es reconnu, ta manière de vivre change. Elle doit changer. Ce qui finit par te manquer, c’est justement de pouvoir passer inaperçu. Ça peut paraître con, mais des fois, ça me manque. Des trucs tout cons hein, comme se balader tranquille, des choses que je faisais avant sans même y réfléchir et qu’aujourd’hui, je ne peux plus faire spontanément. Je peux encore me balader, sortir et tout, bien sûr, mais je ne prends plus mon temps par exemple. Bref, ça change les habitudes et ce n’est pas évident à gérer. Surtout quand tu es un jeune, que tu n’as jamais voyagé, que tu n’as jamais connu beaucoup d’autres choses que ton quartier. Tu sens que même ta boulangère te reconnaît. La médiatisation, ce n’est pas le meilleur aspect de la musique. Surtout quand elle fait qu’on ne parle plus de ta musique, mais de toi. Ça ça me dérange. Moi je veux parler musique, pas qu’on parle de ma personnalité.

A : En même temps, c’est aussi ça la musique, il y a un affect qui se crée pour le public.

S : Ouais, bien sûr, et d’ailleurs c’est souvent super gentil. Mais des fois t’as simplement envie d’être peinard comme tout le monde. De décrocher. De ne plus parler musique deux minutes. De ne pas être dans ta peau de rappeur. Des fois, tu veux juste être dans ta peau de civil et ne pas toujours parler de ton morceau d’il y a X années ou quoi. C’est juste ça, j’aimerais pouvoir passer un peu plus scred parfois.

A : Toujours par rapport à ton succès, tu évoques le besoin de le partager avec des morceaux comme ‘Daryl’ [l’histoire d’un fan que Sinik invite, NDLR] ou  ‘La cité des anges’ [Sinik explique comment il rencontre des enfants hospitalisés, NDLR]. Comment tu expliques ce besoin ? C’est une rédemption ? 

S : Je pars du principe que quand on fait de la musique et qu’on en vit, on est des chanceux. Je te parlais de petits aléas, mais globalement, je considère qu’on a de la chance. Et je pars du principe qu’on peut faire beaucoup de choses qui ne nous coûtent rien et qui peuvent faire énormément plaisir à d’autres gens. A partir du moment où on m’appelle, où on me demande d’être là parce que ça va faire plaisir, ne serait-ce qu’à un gamin, un seul – et c’est déjà arrivé !, j’y vais, parce que pour moi c’est juste normal. Ce n’est pas une rédemption, c’est juste quelque chose que je dois aux gens. Tu ne peux pas te permettre de faire de la musique, parler au nom des gens, et de refuser d’être présent à côté d’eux quand on t’appelle pour ça.

J’ai toujours en un bon contact avec les gosses, c’est peut-être dû au fait que ma mère était nourrice et que chez moi il y avait toujours plein de gamins, que j’ai grandi avec eux. Alors, surtout les trucs de jeunesse, les hôpitaux, les centres où il y a des petits voyous, oui j’y vais, je me sens responsable par rapport à eux. Je sais qu’ils m’écoutent, qu’ils s’identifient un peu, alors je fais en sorte de l’utiliser intelligemment. Tu sais, quand un père te glisse à l’oreille : « Essaye de lui dire un mot sur l’école, il ne travaille pas et tout », tu comprends que quelque part tu as aussi un rôle, un travail d’accompagnement. Et ça m’a toujours plu de le faire, même quand j’étais au quartier. Je considère qu’être présent dans la vie de tous les jours, ça fait aussi partie du rôle de l’artiste, il n’y a pas que se montrer quand il y a une caméra. Il faut aller un peu au contact des gens, c’est normal.

A : Dans ‘A deux pas du périph’’, tu disais « Sous les verrous parce que j’encule la société ». Est-ce que le succès, la reconnaissance, voir qu’on peut réussir, ça apaise cette rage ?

S : Ça ne l’apaise pas vraiment. Disons que ça calme parce que tu te dis que tu n’as plus besoin de courir après le fric, de faire tel ou tel truc. Mais c’est tellement éphémère que tu sais aussi que ça peut s’arrêter aussi vite que ça a commencé. Aujourd’hui, faire une carrière de rap ne garantit pas d’avoir une vie tranquille pour toutes les années à suivre. Pour le moment, c’est un apaisement. Sortir du quartier, de toutes ces histoires, c’est même une fierté quelque part. Tu fais quelque chose de bien de ta vie par la musique, légalement. J’y croyais pas réellement en plus, donc ça oui, ça apaise. Mais ce n’est pas pour ça que quand tu rentres chez toi la vie est belle, qu’il n’y a plus de problèmes. On a encore des collègues qui sont dans de sales histoires et on garde toujours un pied dedans. Tu ne t’en vas jamais totalement du quartier où tu as grandi, tu y gardes toujours un pied, un contact, une relation. Surtout que j’habite pas loin.

A : Tu restes près des Ulis ?

S : Oui, je me suis même rapproché. Je n’étais pas très loin et je m’en suis encore rapproché. J’en ai besoin comme j’ai besoin de la tranquillité. Je suis fier de dire que je n’habite plus dans mon quartier. Contrairement à d’autres, je suis fier de le dire parce que je pense que c’est une forme de réussite. Et quelque part, c’est ce que tout le monde cherche. Nos quartiers, on les aime, mais le but ça reste de se barrer, fonder une famille, avoir un boulot. Je suis fier de ça, comme je suis fier d’être toujours au contact, à l’écoute, de ne pas être totalement déconnecté.

A : Tu fais beaucoup de featurings, mais tu sembles vraiment avoir du mal à être soluble dans un groupe, ne pouvoir vraiment exister qu’en tant que rappeur solo.

S : Oui, je l’ai ressenti puisqu’à mes débuts, j’étais dans un groupe, avec Ulteam’atom et avant Amalgame. En fait, j’avais envie de rapper plus que ce qu’être en groupe te le permet, surtout quand tu es huit comme c’était le cas dans Ulteam’atom. C’était pas tant le fait d’être en groupe qui était dur car la vie collective me plait. Mais pour le rap, je manquais de place. Le seul moment où je me suis trouvé égoïste dans la vie, c’était finalement lors de mes débuts dans la musique. Je voulais toujours dire plus de choses, avoir plus d’espace. Je voulais faire mes trucs, j’avais mes idées d’instrus, mon univers qui se formait. C’est pour ça que je suis parti du groupe. Et c’est paradoxal car je suis vraiment quelqu’un qui vit en groupe, qui est avec ses potes, qui a besoin d’eux. Mais musicalement, non. La musique, ça a aussi quelque chose de très perso’.

A : Quand on t’écoute, quand on te voit  en tant que rappeur, on peut se dire que tu n’as vraiment aucun complexe par rapport au rap américain. C’est se tromper ? 

S : En tant que MC, j’ai du respect pour le rap américain. Je ne peux pas dire que j’emmerde leur rap. Le rap part de chez eux, ils ont quasiment toujours un temps d’avance sur tout. Mais je n’en fait clairement pas un complexe. J’entends des gens sucer la bite du rap cainri, parfois pour rien, alors que je trouve qu’on n’a plus grand-chose à leur envier. Ces dernières années, on a pas mal rattrapé le retard qu’on avait sur eux en terme de prod’. On n’a pas à rougir. Et dans ma musique, un rappeur français peut bien plus m’influencer qu’un rappeur américain. C’est même sûr. J’ai grandi dans un univers rap français, et je n’ai pas eu besoin du rap cainri ni de ses codes pour faire du rap. J’ai toujours fait du rap à ma sauce et même si j’apprécie des rappeurs cainris, je ne me suis jamais dit que j’allais reproduire leurs flows ou quoi. Je les écoute avec plaisir mais je suis pas aussi fan et respectueux que certains. Je n’ai pas envie d’être prisonnier de ce qu’ils font ni d’être leur petit toutou.

Grosso modo, je trouve que les ricains écrivent beaucoup moins bien que les français. Moi, je suis plus dans le contenu et dans le message que dans les codes. Tout ce qu’il y a dans leurs clips, avec leurs voitures et tout… Je ne suis pas là dedans, je ne suis pas dans le bling-bling. Moi ce qui m’intéresse, c’est ce que tu as à dire, mais il y a peu de rappeurs US majeurs qui ont de vrais messages. Il y en a bien sûr – Nas est un écrivain par exemple – mais en général, même si j’ai du respect je ne suis pas en sang sur ce qu’ils font. Je ne suis pas hypnotisé comme peuvent l’être certains. D’autant plus que les ricains ont généralement très peu de respect pour les rappeurs français, voire même parfois sont irrespectueux. Je ne comprends pas pourquoi on leur renvoie autant de respect sachant qu’eux n’en ont pas.

A : ‘Hardcore 2005’, ‘Si proche des miens’ qui reprend le sample de ‘That’s my people’. Qu’est ce que tu as cherché dans ces morceaux à mi-chemin entre la reprise et l’hommage ?

S : C’était des hommages. L’opportunité de les faire s’est présentée. Le ‘Hardcore 2005’ c’était une compil’ de reprises. Dès qu’on m’a dit ça, j’ai choisi ce morceau direct ! Pour moi c’est un gros classique, une grosse référence, un album que j’ai écouté et réécouté. Et pareil pour le morceau avec Shen. Le piano de ‘That’s my people’ m’a toujours rendu malade, je me suis toujours dit « Putain il faudrait qu’un jour je fasse un morceau reprenant ce piano« . Quand j’ai eu la possibilité de faire un morceau avec Shen, je savais que l’idée c’était celle-ci et pas une autre. Donc dès qu’on m’a dit que le featuring était OK, je suis parti là-dessus. C’était une grosse envie artistique et une envie personnelle de refaire ces morceaux que j’ai kiffés. Peut-être pas aussi bien, mais d’essayer de se mettre à la hauteur de l’original.

A : Tu as d’autres morceaux de rap français que tu aimerais « reprendre » comme ça ?

S : Non, je pense que j’ai fait un peu le tour. Enfin, Ideal J, NTM, ce sont mes influences, c’est ce que j’écoutais quand j’étais jeune. Après il y a beaucoup d’artistes comme Oxmo qui ont fait des putains de morceaux, mais je ne me verrais pas les reprendre. Je pense que je vais m’arrêter là pour les reprises.

A : Comment avais-tu perçu le projet Fatal Bazooka ?

S : Pour être franc, au début j’ai rigolé, parce que j’ai trouvé ça plutôt bien fait. Je me suis dit : « Bon c’est marrant, ils se tapent un délire« . Mais quand j’ai vu que ça prenait la place de certains rappeurs en radio, dans les magazines rap, au final je l’ai plutôt mal pris. Sincèrement. Ce sont des mecs qui n’ont pas besoin de venir grailler dans notre assiette, surtout un mec comme Michaël Youn qui en a une déjà bien remplie. Il y a la dérision mais au final ça fait un peu : « On vous prend votre place, on se fout de vous et en plus on s’enrichit« . Du coup, ça a vite fini par me saouler. C’est un manque de respect pour tous les gens qui ont des choses à dire. Pendant ce temps-là des mecs se cassent le cul sur leurs albums, font des trucs sérieux, et ils passent à la trappe parce que ces mecs squattent à se foutre de nos gueules. Au bout d’un moment c’est dérangeant.

A : Mais si ça a marché, c’est peut-être qu’il y a un peu une défiance du public vis-à-vis du rap ?

S : Je ne pense pas que ce soit une défiance, c’est juste que les gens aiment ce qui est marrant. Et il faut le dire, c’est plutôt bien fait ! Les beats sont bien produits, ce sont des conneries mais de qualité. C’est pour ça que ça parle aux gens, qui en plus ont envie de se marrer. Y a peut-être aussi des gens qui l’ont acheté mais qui n’écoutent pas de rap. Je pense d’ailleurs que la plupart des achats étaient ceux de gens qui avaient envie de s’amuser, qui écoutent un peu de tout. « Oh, ça ça marche, et j’aime bien, je vais acheter l’album« . Ça existe ce style de public qui n’a pas vraiment de goûts. Il en a vendu pas mal, donc ça doit aussi parler à un public, mais pas à moi en tout cas.

A : Sur tes deux derniers albums, « Le toit du monde » et « Ballon d’or » on te voit faire des morceaux où tu varies un peu ton flow, le dernier exemple en date c’est ‘Zone abandonnée’. Est-ce que c’est une manière de contrer les critiques qu’il peut y avoir sur ton flow très encadré, assez cyclique ?

S : Oui. Déjà c’était une manière de répondre à ces critiques. Et ensuite c’est un défi artistique et personnel. J’en suis à mon quatrième album, je peux me permettre de tenter des trucs nouveaux, de varier un peu. Il y a souvent quelque chose de constructif à prendre dans la critique. Quand c’est le cas, il faut le reconnaître. Si cette critique sur mon flow revient régulièrement, c’est qu’il y a quelque chose à travailler. Or je considère que j’ai toujours quelque chose à travailler. Donc sur cet album, je me suis dit que ça allait être le flow, que j’allais montrer que je pouvais faire d’autres trucs. Et ce n’est pas par esprit de vengeance, c’est juste que le rap c’est aussi montrer de quoi on est capable. S’il y avait un doute sur ma capacité à avoir d’autres flows, je pense que c’est désormais réglé. Et je vais continuer à expérimenter des flows. C’est une nouvelle carte pour moi, j’enrichis mon jeu. Bref, ce genre de titres, c’est un besoin, un défi et une envie.

A : Depuis le « Toit du monde », on te voit aussi de plus en plus t’éloigner de Tefa & Masta. Vous avez fait le tour de la question ensemble ? Le flow Sinik devenait trop associé à leur son ?

S : Non, même pas. Et encore, dire qu’on a fait le tour ensemble, c’est un peu méchant. Ce n’est pas exactement ça. On avait prévu de faire deux albums ensemble, et qu’après on retournerait à une réalisation Six-O-Nine, c’est-à-dire Karim, Nabil et moi-même. Déjà c’était un souhait de notre part et même du fait que Tefa & Masta taffaient sur le projet de Mélanie [Diam’s, NDLR]. C’était prévu depuis longtemps. C’est d’un commun accord. On a bossé deux albums ensemble, on est content du résultat, on continue à les voir puisqu’on a enregistré quasiment tout Ballon d’or dans leur studio, ils étaient là en tant que propriétaires des lieux, et voilà. C’est toujours la famille, mais on voulait revenir à une réalisation Six-O-Nine pour avoir une touche qui revenait au premier album, un truc un peu plus brut, et pour se démarquer un peu de l’univers Kilomaitre. Mais ce n’est pas du tout péjoratif, c’est un souhait artistique.

A : La proportion de scratches baisse dans les disques de rap français, et j’ai l’impression que c’est également le cas pour tes sons.

S : Non, puisque rien que sur « Ballon d’or », l’intro est scratchée et il y en a un peu sur d’autres titres. J’aime bien les morceaux scratchés, je trouve que ça fait partie du rap, j’essaie toujours d’en mettre au moins un petit peu. Pour moi, il faut du scratch dans un album de rap. Je suis friand de ça, j’en ai écouté des albums avec des intros ou des refrains scratchés ! J’ai toujours kiffé ça. Je l’avais fait sur ‘Sarkozic’ par exemple. Il y en avait vraiment moins sur le Toit du monde mais sinon, j’ai toujours voulu qu’il y ait du scratch.

A : Zoxea a bossé avec toi sur « La main sur le cœur ». Il a eu un rôle sur l’album ou seulement sur le titre ‘Pardonnez-moi’ où vous êtes ensemble ?

S : Il a eu la main sur le morceau, qu’il a réalisé, produit et qu’on a enregistré chez lui. Mais il n’était pas impliqué sur la globalité de l’album. A la base, on ne se connaissait même pas. Il nous avait contacté pour qu’on fasse ‘No time’ sur son album, et c’est de là qu’est partie la connexion.

A : L’album commun avec Diam’s est un temps annoncé, un temps démenti. Ce projet, c’est un fantasme ou une réalité ?

S : La réalité c’est qu’il ne se fera jamais. Et ce n’était pas du tout un fantasme puisqu’à la base, il était déjà en cours de construction. Il y avait des morceaux bien avancés. Mais la réalité c’est qu’on n’est pas dans la même maison de disques et qu’il y a plein de choses annexes à la musique – des questions de contrats etc. – qui font que si c’était faisable pour les artistes, c’était irréalisable pour les maisons de disques qui étaient autour. Donc voilà.

A : Mais c’est quand même dingue, parce que pourtant, vous êtes deux des plus gros vendeurs de disques en France.

S : Ouais mais tu sais, quand t’as un gâteau comme ça, rien que pour savoir qui va le partager… Tout le monde veut manger dedans, et en plus tout le monde se l’imagine beaucoup plus gros que ce qu’il devrait être. Nous, on voulait faire un album à tirage limité pour ne pas s’attarder dans le temps avec, et aussi avoir un concept autour. On voulait les numéroter par exemple. Ce projet était un kiff perso qu’on voulait se faire depuis des années, on s’est dit « C’est maintenant ou jamais » donc on a commencé à le faire. Au final, on nous a dit « Ça sera jamais« . C’est pas grave, la vie continue.

A : Selon toi, tes liens avec Skyrock et Fred Musa alimentent-ils tes détracteurs et l’image qu’on peut parfois renvoyer de toi ?

S : [Déterminé] Je te le dis sincèrement, ce que les gens pensent de moi par rapport à Skyrock et tout ça, j’en ai rien à foutre. Je suis un artiste, Skyrock est une radio qui m’a joué, je ne vois pas sous quel prétexte j’irais leur chier dessus ou faire des mythos. Pour moi ça s’appelle cracher dans la soupe. Je le dis haut et fort : je suis un rappeur, je viens de la banlieue, j’ai commencé dans les caves, aujourd’hui j’ai des morceaux qui passent sur Skyrock ? Eh ben j’en suis fier ! C’est une fierté que n’importe qui en France puisse m’écouter. Pour moi il n’y a que les rageux, les mecs qui ne s’en sortent pas, qui ont besoin et qui rêvent de passer sur Skyrock, qui critiquent cette radio. C’est un faux débat. C’est le débat du commercial. Dire que tu deviens commercial parce que tu passes sur Skyrock, c’est complètement con. Fred c’est un pote, quand je n’étais rien il me jouait déjà dans ses émissions. Avec La Nocturne, c’est le premier à avoir joué ‘L’assassin’ en radio. Ca aussi il faut dire : leurs émissions spé’ ont permis à pas mal de jeunes de sortir du lot, et moi le premier. Is ont toujours été réglos avec nous, alors je ne vois pas pourquoi, sous prétexte qu’ils s’appellent Skyrock, on viendrait les pourrir. Je suis content de passer chez eux.

A : C’est une mise au point…

S : Mais je vais pas leur cracher dessus pour être crédible, au contraire c’est une fierté. Je te le dis, ceux qui critiquent le plus Skyrock sont ceux qui sont venus proposer leur maquette et se sont fait rembarrer.

A : « En attendant l’album » était sorti chez Néochrome. Quel regard portes-tu sur leur travail aujourd’hui, eux qui ont un second souffle depuis leur grande période mixtape.

S : Déjà, c’était une co-prod, le disque avait été réalisé par Six-O-Nine. Ensuite, j’estime que Neochrome est un peu une référence en terme de mixtapes et sur Paris. On arrivait avec le format Street-CD et on voulait bosser avec eux. Leur évolution est plutôt bonne. Je vois Seth Gueko qui fait son chemin. Al K-pote, dans un style plus spé, marche bien sur Paris, il a son petit buzz. Après, je n’ai jamais été directement impliqué chez eux. Mais Neochrome c’est devenu un peu une marque, une référence pour des projets un peu spé, les mixtapes, les trucs un peu underground.

A : Toi qui t’es justement lancé grâce à un Street-CD, comment regardes-tu ce format aujourd’hui ?

S : Il s’est trop banalisé. J’entends des mecs qui n’ont rien fait du tout dans le rap dire qu’ils préparent leur Street-CD. A l’époque c’était bien ce côté à mi-chemin entre la mixtape et l’album mais aujourd’hui, c’est devenu saturé. Un peu comme tout ce qui marche bien dans le rap en fait. Regarde les marques de fringues, ça avait saturé super vite. Et beaucoup de Street-CD ne sont pas carrés et décrédibilisent le format. Après, si ça continue autant, c’est que c’est aussi sûrement utile à des gens. Mais en tout cas, je crois que des mecs se disent que c’est le passage obligé, la clef pour signer en maison de disques comme ça m’est arrivé, alors que ça ne marche pas du tout comme ça.

A : Depuis que tu as rejoint les majors, on peut avoir l’impression que tes albums ont de plus en plus de refrains chantés. Tu as une emprise là-dessus ou c’est un formatage de label pour séduire la radio, etc. ?

S : C’est marrant, les gens ne savent pas ou ne réalisent pas que je fais des morceaux avec des meufs depuis mes débuts. Sauf qu’à l’époque c’était des petites chanteuses du quartier qui chantaient comme des casseroles [rires]. En major, on te propose de travailler avec de vraies chanteuses. La démarche du refrain chanté ce n’est pas nouveau dans ma musique. Tu me demandes des morceaux références, tu verras qu’il y a pas mal de morceaux avec des refrains chantés, ‘Release yo’ delf’ par exemple. Ca n’a rien à voir avec le formatage. J’ai grandi avec plein de morceaux comme ça, où il y a une combinaison rappeur et chanteuse. Certains peuvent trouver ça commercial, mais pour moi un morceau bien fait avec une meuf, ça défonce.

A : Ton collègue Cifack rappe dans un de ses morceaux : « Les p’tites font les putes c’est atroce / la vie d’ma reum’ si elle te manque de respect crosse-là ». Sur « En attendant l’album », j’ai aussi le souvenir d’une phase où tu disais « Si tu as un décolleté trop aguicheur, ne va pas porter plainte ». Ton public comptant beaucoup de filles, qu’en penses-tu ? Quelle est cette posture ? Tu attends une pudeur de leur part ?

S : Ce n’est pas que j’attends une pudeur. Quand je rappe, je m’adresse à tout le monde, et c’est blindé de messages. Alors je ne vois pas pourquoi, parce que ce sont des femmes, il faudrait que je fasse attention et que je ne dise pas ce que je pense. Personnellement, quand je dis « Si tu as un décolleté trop aguicheur, ne va pas porter plainte« , c’est plus qu’une phrase. C’est tout ce qui touche aux filles qui portent parfois plainte pour des trucs qui n’ont pas existés. J’ai des potes qui ont mangé de la taule pour des histoires qui étaient inventées. On sait de quoi on parle. Quand Cifack il parle de ça, il veut faire allusion à quoi ? On a des sœurs qui vivent dans les quartiers, et le respect des femmes pour les hommes, ça fait partie de la culture générale là-bas. Et peut-être même un peu plus qu’ailleurs. On fait beaucoup plus attention à l’attitude des femmes qu’à celles des mecs. Ça je reconnais que ce n’est pas normal, pas logique. Mais nous nos valeurs, c’est qu’on aime les femmes qui sont respectueuses et qui se respectent elles-mêmes. C’est parfois dit avec des mots durs, je comprends que ça puisse toucher. Mais je ne vois pas pourquoi on ne leur dirait pas ce qu’on pense, pourquoi on ne ferait pas passer nos messages sous prétexte que ça va être mal compris ou quoi. J’aime pas les meufs qui font des trucs bizarres ou se salissent elles-mêmes et je n’hésite pas à le dire. Après je ne généralise pas. Crois-moi, j’ai assez vécu dans les quartiers, j’ai une sœur et assez d’expérience pour savoir qu’il y a beaucoup de femmes dans la vie qui se respectent, qui sont droites, qui sont fidèles envers leur mec. Nous c’est ce genre de filles qu’on aime, et on n’hésite pas à le dire.

A : Dans tes morceaux, tu remets souvent le couvert sur la police. On sent que t’as la haine. Mais à force de ressasser le sujet, n’as-tu pas l’impression de remettre de l’huile sur le feu, ton propre feu, celui qui couve en toi ?

S : Non, justement c’est l’inverse. J’ai l’impression que si je n’évacuais pas tout ça par l’intermédiaire de la musique, ce serait encore pire. Ca s’accumulera et un jour, pour une raison X ou Y, j’imploserai. Moi j’ai besoin de dire ces choses là pour évacuer cette haine justement. Et le facteur déterminant pour moi c’est : est-ce qu’un jour j’arrêterai d’avoir des histoires ? Ce qui me maintient sous tension, c’est que j’en ai toujours, en permanence. Tout en sachant que depuis 2003, j’ai arrêté de faire « des conneries ». Je me consacre à la musique, j’essaie de construire des choses. Pas plus tard qu’il y a un an, j’ai eu de grosses histoires, j’ai failli tomber alors que je me suis rangé. Soit ton passé te rattrape, soit tu te fais emmerder pour la moindre petite erreur.

A : Tu te sens harcelé par les flics ?

S : A une époque, ce n’était même pas « je me sens », je l’étais. Quand je suis arrivé dans ma ville, ils m’ont tout de suite saoulé. Dès qu’ils ont su que j’étais là, ils ont été sur mon dos. J’avais un quad, ils ont tout fait pour me le prendre. Ils me l’ont pris d’ailleurs. Quand ils me l’ont rendu, il y avait du sucre dedans, ils m’ont niqué le carbu’, ils me l’ont rendu explosé. Dès que je sortais avec ma voiture, ils étaient derrière moi, parfois avec le gyrophare. Ils me l’ont immobilisée une fois, puis une seconde où ils l’ont mise à la fourrière neuf mois et j’ai failli ne pas la récupérer. Ce n’est pas pour jouer la victime, dire que je suis harcelé ou quoi. Mais au bout d’un moment, où dès que tu sors de chez toi tu as les flics derrière, tu te dis que soit t’es un bête de poissard soit qu’ils ne sont pas loin de toi. Alors en plus je suis un rappeur, je gagne du fric, je les critique dans mes phases, ils le savent, ils ne sont pas bêtes. A chaque garde à vue, ça ne manque pas, j’ai eu le droit à une vanne style « ah tiens tu pourras faire une chanson » ou une vieille réplique toute pourrie dans le genre. Ils te mettent sous tension en permanence. Et ça ne m’amuse pas.

Moi j’ai envie d’avoir ma petite vie tranquille. Depuis que je fais de la musique ça me saoule. Ils ont failli me niquer des tournées. Même avec les maisons de disques. Elles m’ont sauvé la vie plus d’une fois à envoyer les papiers au tribunal, etc., tu ne peux même pas savoir. Ça m’amusait quand j’avais 20 ans. Je faisais 48 heures de garde à vue, je tapais des pompes, je croyais que ça tuait. Mais aujourd’hui, crois moi, ça ne m’amuse plus. Une heure de G.A.V je deviens fou. J’aimerais bien passer à autre chose, et ils sont là à me maintenir sous tension. Le jour où je me dirais que mon casier est purgé, je pourrais peut-être souffler. Le pire, c’est quand t’es cramé dans ta ville, là c’est mort. C’est ce qui s’est passé, ils m’attendaient au tournant. Alors « harcelé » c’est peut-être un grand mot, parce que tu dis ça aux gens ils vont se dire « mais vas-y, c’est qui lui ?« . Mais je me sentais surveillé. Et ça fait toute la différence.

A : Dans une interview accordée à feu lehiphop.com, tu expliquais avoir toujours refusé les sollicitations des médias qui te demandaient de réagir durant les émeutes de la fin d’année 2005. Tu y disais « Appelle-moi pour parler musique je viens, mais parler des événements en banlieue, j’en ai rien à foutre ». Tu peux expliquer cette position ? C’était une peur de la récupération ?

S : Exactement. Ce qui me dérange, c’est quand on fait de la musique, qu’on demande des interviews, qu’on cherche à faire notre promo, il n’y a aucune porte qui s’ouvre. Par contre, quand il y a des bagnoles qui brûlent en banlieue, là on devient intéressants. On t’appelle comme si tu étais le spécialiste de la voiture brûlée. Je n’ai pas envie de cautionner ça. Je n’ai pas envie d’être le porte parole des casseurs ou de qui que ce soit. Au final on t’appelle juste pour te demander ton avis de banlieusard, pour donner un peu de crédit aux journalistes qui vont te poser la question, comme si tu étais le porte parole du casseur de voiture. Je n’ai pas du tout envie de ça moi. Je préfère parler musique. On peut dévier sur des questions de société, mais en tout cas ne m’appelle pas pour te parler des émeutes comme si j’étais ton envoyé spécial et que j’allais te faire un rapport de tout ce qui s’est passé la veille. J’aime pas ce truc là. Idem pour venir parler des élections. Tu ne peux pas m’avoir pour autre chose que pour la musique. Je ne veux pas être récupéré par qui que ce soit, je ne veux pas être associé à un parti ou un truc qui n’a rien à voir avec la musique. Alors je leur ai dit de garder la pêche et de me rappeler pour une interview quand je sortirais mon album. Bien sûr ils ne m’ont pas rappelé.

A : Dans tes interviews et même dans tes morceaux – je pense à ‘Dans le vif’ par exemple, tu as un regard assez détaché sur la prison, comme si ça n’avait rien de traumatisant, comme si ce n’était qu’une période à faire passer. Pourtant, il est clair que la situation dans les prisons est loin d’être à la fête : suicides, incarcérations immédiates, détention provisoire, peines planchers, insalubrité. Ton détachement apparent est assez surprenant quand on sait ce qu’il se passe derrière les murs.

S : En fait je relativise. Je n’ai pas envie de passer pour le mec qui se plaint. Si tu vas en prison, généralement, c’est que tu l’as un peu cherché. Moi j’avais une part de responsabilité dans mon incarcération. Il ne faut pas renier cette responsabilité là. Je prends du recul par rapport à ça. Je n’ai pas envie d’en faire un fond de commerce, je n’ai pas envie de m’attarder spécialement sur ça. Maintenant, ce que tu dis du point de vue du débat, bah ouais, on sait tous que c’est crade en prison, que parfois des mecs dorment à 4 dans une cellule avec deux lits, qu’il y a des choses pas normales qui s’y passent. Mais c’est un autre débat. Et tu as beau avoir fait une connerie, même très grave, je pense qu’il y a quand même des conditions de vie que tu dois aux gens. On n’est pas des rats ou des chiens et ça malheureusement, ils ne l’ont toujours pas compris. Tu vas à La Santé, tu te demandes comment elle tient encore debout. Il y en a plein des prisons comme ça, qui ont on ne sait plus combien d’années, qui sont éclatées, dans lesquelles il faudrait tout refaire. Seulement ça coûte des ronds, et je pense que personne dans la politique n’a envie de cracher des millions d’euros pour des gens qui sont en prison. C’est là qu’est le débat. Mais bien sûr que c’est difficile la prison. T’es le premier à me dire ça, mais si tu m’écoutes et  que tu te dis « oh, il l’a bien pris ça va« , faut pas croire ça.

A : « Il l’a bien pris », je n’irais pas jusque là, je me doute que tu n’es pas heureux là-dedans mais…

S : [coupant] Non tu n’es pas heureux, je le fais comprendre quand même. Le temps est long, tu t’ennuies. C’est surtout ça. Il faut savoir s’occuper. Et je ne veux pas que les jeunes croient que c’est une partie de plaisir d’aller en prison ou qu’il faut absolument avoir ça dans son CV pour être quelqu’un alors que c’est tout le contraire.  Moi je prends ça avec détachement, j’en parle, mais surtout par petites phrases, j’évite de trop m’attarder là-dessus.

A : Tu évoques ta religion par à coups. Tu es musulman. Je t’avais entendu dire dans une interview radio qu’aux Ulis, il n’y avait pas de mosquée, que les conditions de recueillement étaient indignes, dans la rue, etc. Comment tu perçois la place de l’Islam dans ce pays ?

S : J’ai l’impression que si il y a bien une religion qui fait peur à tout le monde, qui est plus stigmatisée que les autres, c’est l’Islam. On s’amuse à faire des portraits, des trucs, et les gens n’ont pas conscience que ça touche au plus profond d’eux-mêmes les croyants. Si il y a bien une religion sur laquelle on tape en France, qu’on n’aime pas mais on n’ose pas trop le dire, c’est l’Islam. Il y a un vrai problème avec l’Islam ici. Et encore plus depuis le 11 Septembre. Il y avait déjà une certaine islamophobie avant, mais depuis, c’est encore pire. Et tu vois, on a même inventé un mot tellement ça fait peur : islamophobie. Depuis 2001, ça c’est vraiment matérialisé. Regarde le débat avec Diam’s il n’y a pas longtemps : dès qu’ils voient un voile, ils sont en panique. Tout ça ce sont des faux débats. Tu vas en Angleterre, la meuf qui te reçoit au Mc Do’, elle a un voile, ça ne choque personne. Les gens ont du recul. Je sais que beaucoup de gens ne seront pas d’accord avec ça, mais pour moi, c’est vraiment la religion qui fait peur en France et sur laquelle les médias se sont un peu trop acharnés ces dix dernières années.

A : Tu as des origines algériennes.

S : Ouais.

A : Tu y es déjà allé ?

S : Bien sûr.

A : Dans quel cadre ?

S : Pleins. Pour voir la famille, pour des concerts, des clips. Et j’ai toujours apprécié y aller.

A : Tu es kabyle non ?

S : Ouais. Je suis allé en Kabylie aussi. J’apprécie l’Algérie même si ce n’est pas toujours évident là-bas. On n’est pas en Europe, les conditions de vie ne sont pas toujours faciles. Mais rien que d’aller voir la famille, faire des choses que je ne fais pas en France, ça me suffit largement. Ça me fait plaisir comme n’importe qui qui va dans son pays d’origine. C’est normal de se sentir bien là-bas.

A : Artistiquement tu y es reconnu ?

S : Oui. Je peux te dire que quand je fais des concerts, ils le savent. Il y a du monde, parfois à ma grande surprise. Les gens connaissent, savent que je suis kabyle, que je m’appelle Idir. C’est une fierté pour eux qu’un rappeur qui vit en France, qui a une mère française, qui a été intégré, fasse des chansons sur eux, viennent faire des clips et tout ça. Pour eux c’est une énorme forme de respect. Crois-moi, ils te le rendent puissance 10 000. Les concerts là-bas, ce sont toujours des grands moments, les gens sont chaleureux. C’est un pays qui a vécu des choses difficiles, de par le terrorisme, son histoire, etc. Aujourd’hui, tout ça c’est un peu calmé, et dès qu’il y a une occasion de faire la fête, les gens sont là. Quand tu fais un concert, tu ne demandes pas plus que voir des gens qui sont heureux, qui dansent, font la fête.

A : Comment tu as perçu l’accueil réservé à l’équipe nationale algérienne hier en Egypte ? [la veille, le bus algérien a été caillassé lors de l’arrivée de l’équipe en Egypte, NDLR]

S : Oh putain je suis touché. Vraiment. Touché dans ma fierté. Pour le dire avec des mots normaux sans trop passer pour un banlieusard, c’est une honte. C’est honteux d’accueillir une équipe de foot de cette manière, c’est honteux un guet-apens pareil. Et j’espère sincèrement qu’ils vont gagner, car la meilleure manière de répondre à ça, c’est de l’emporter sur le terrain. Mais d’un point de vue algérien je suis touché dans ma fierté. Et je pense que c’est pareil pour tous les algériens. Si il y a bien un pays où il ne faut pas déconner avec la fierté, c’est l’Algérie. Quand un pays se réveille et voit ses joueurs en sang et tout… D’ailleurs je suis en train d’apprendre que ça part en couille dans tout le pays et que ça va beaucoup loin que le foot. Les gens l’ont pris pour eux. Et j’espère qu’au final ça se passera bien. Et je n’ai pas besoin de te dire que j’espère qu’ils vont se qualifier.

A : Tu songes réellement à proposer un hymne pour le PSG ?

S : Ouais, on va le faire. Je voulais le faire un peu plus tôt mais on avait l’album à gérer. J’ai déjà quelques idées, et je vais y travailler maintenant que l’album est fini.

A : Dans une interview à So Foot, tu avais allumé Bernard Mendy.

S : Ouais, Bernard Mendy et ses centres au huitième poteau.

A : [rires] Ouais. Tu l’as déjà rencontré ?

S : Non, je ne l’ai jamais rencontré. Mais ce n’est pas parce que je suis un fan du PSG que je vais dire que tous leurs joueurs déchirent. A l’époque et même maintenant, je pense que ce n’était pas du tout un bon joueur, qu’il desservait l’équipe, et je n’ai pas hésité à le dire.

A : Quand tu penses qu’il a eu des sélections…

S : Ouais, même Djibril Cissé a été sélectionné et a fait une carrière alors qu’il ne sait que tirer fort. Il s’en passe des choses bizarres dans le foot. Mais je donne mon avis, je suis un fan, je ne me fais pas inviter, je paie ma place comme tout le monde.

A : T’y vas encore [au Parc des princes, NDLR] ?

S : Bien sûr que j’y vais.

A : Tu vas où ?

S : Je vais partout, dans les virages, en ce moment au club Paris avec un pote. Et j’hésite pas à donner mon avis que l’équipe aille bien ou mal.

A : Sammy Traoré est un peu en train de devenir la nouvelle tête de turc du Parc.

S : Ouais, ça me fait chier pour lui parce que je le connais un peu et il est cool, c’est un bête de gars. Et le pire c’est que l’an dernier, il a fait une saison pas mal. Il s’était même enflammé sur le terrain, il y avait eu une action où il avait dribblé plusieurs mecs et tout. Mais je pense qu’il va s’en remettre, il a un petit passage à vide [rires]. Ça arrive à tout le monde dans le foot, même ceux qui jouent en amateurs connaissent ça. Il va se refaire le grand Sammy, je ne me fais pas de soucis pour lui.

A : Tu as déjà un peu répondu à ma question, mais tu es en contact avec des footballeurs ?

S : Ouais quelques uns. Pas énormément mais quelques uns.

A : Ceux qui ont grandi aux Ulis ? Henry, Patrice Evra ?

S : Thierry Henry un petit peu. Surtout Patrice en fait, c’est celui que je connais le mieux pour avoir joué 10 ans au foot avec lui. Notre parcours aux Ulis, on l’a fait ensemble. Bon lui est parti à Bretigny après, mais on a joué des années ensemble, au club comme dans la rue, au synthétique ou quoi. J’ai été le voir jouer.

A : Tu es passé près d’une carrière pro, comme Zox’ ou Kool Shen ?

S : Je n’en sais rien. Tout ce que je sais c’est que je ne l’ai pas fait. J’espérais, j’avais un bon niveau, mais bon, je ne suis pas allé au bout, donc c’est qu’il me manquait quelque chose. Je n’ai pas de regrets.

A : Pour finir, et sache que ce sera publié après le match, donc tu as la pression. Un pronostic pour l’aller retour Eire / France ?

S : Pas de soucis ! 1 – 0 pour la France.

A : Et pour le retour ?

S : Pareil. Ou peut-être 2 – 1. En tout cas, je ne pense pas qu’il y aura un grand écart ni beaucoup de buts.

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