Oxmo Puccino, retour sur une carrière
Interview

Oxmo Puccino, retour sur une carrière

Paradoxe : Oxmo Puccino bénéficie d’une reconnaissance quasi unanime du « milieu », alors même que ses choix artistiques n’ont rien d’évident. En hérétique malicieux, il s’amuse à éviter les chemins balisés et à contourner les codes obligés. Trop de carure pour les carcans.

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Abcdr du son : Commençons par le début et par un classique : Opéra Puccino. Dix ans maintenant… Quel regard tu portes sur cet album aujourd’hui ? C’est un album que tu peux réécouter, ou qui au contraire est trop derrière toi ? Dans l’un des morceaux extraits du disque qui sort, La Réconciliation, tu dis que tu ne peux plus rapper comme il y a huit ans…

Oxmo : C’est le début de tout. Un album qui marque ma vie, différemment de mes autres albums, mais ni au-dessus ni en dessous. Je suis très content de l’album : la manière dont il s’est fait, les gens que j’ai pu rencontrer… Mais c’est trop derrière moi : les choses que j’ai dites à l’époque, je ne les dirais pas de la même façon aujourd’hui. Il y a dix ans de décalage : si tu parles comme il y a dix ans, c’est inquiétant pour toi, normalement tu t’es amélioré entre-temps… Entre le premier album et aujourd’hui, beaucoup de choses se sont passées, et j’ai déjà rencontré des gens qui m’ont dit qu’ils n’avaient « réalisé » le disque que deux ans après… Ça m’a donné l’idée de laisser les gens prendre le temps d’apprécier ce qu’il y a à prendre, de laisser ce qu’ils n’aiment pas, et d’attendre pour ce qu’ils ne comprennent pas encore. C’est pas fait au hasard. Depuis huit ans il y a eu une évolution, quelques explosions métaphysiques…

A : Ton deuxième album, L’amour est mort, est souvent considéré comme le plus incompris…

O : Pour moi, c’est mon plus grand album. C’est le plus profond et le plus dense. Il relève d’une époque vraiment très obscure. C’est mon chouchou parce que tout s’est mal passé, ça a été l’enfant le moins gâté, le vilain petit canard. Et pourtant, c’est celui qui avait le plus de choses à dire. Et comme quand on a un enfant un peu plus difficile que les autres, souvent on s’y attache un peu plus… L’amour est mort : tous les albums qui suivent sont basés sur ce discours. La suite de ma carrière ne sera qu’un développement de L’amour est mort. C’est pour ça que Opéra Puccino me paraît bien loin derrière : il a eu une vie facile, il a été un enfant gâté. C’est une affaire réglée : c’est un bon album, il est sorti, ça a marché, voilà.

A : Alors que L’amour est mort, pas mal de gens sont d’abord passés à côté, et l’ont redécouvert ensuite tardivement.

O : Exactement. Et je ne veux pas être comme ces artistes qui font un succès ou une bonne chanson, et qui vivent ensuite dessus pendant des dizaines d’années. Je trouve que c’est tricher.

A : Une rumeur disait que tu avais écrit cet album entièrement de tête… C’est vrai ? Quelle expérience tu en tires ?

O : C’est vrai. Et après avoir fait ça, personne ne peut plus parler de rap avec toi : tu as exploré toutes les possibilités, toutes les manières avec lesquelles tu peux faire du rap. Tu travailles beaucoup avec le rythme, en cohésion parfaite avec la musique, tu as plus de variation et de liberté, le texte est plus ressenti. C’est peut-être pour ça que ça n’a pas été compris d’ailleurs. En studio, les ingénieurs et le producteur ne voyaient pas où je voulais en venir, vu qu’il n’y avait pas d’écrit, pas de trace, juste quelques maquettes vite fait, c’était un peu difficile pour la maison de disque de comprendre. Mais je l’ai fait, et ça m’a permis de faire ce que je fais aujourd’hui sans trop me prendre la tête, je peux écrire très vite.

« Biggie, c’était le numéro un… C’était le rappeur dont je me sentais le plus proche, celui qui m’a touché le plus à tous les niveaux.  »

A : Quand on entend ça, ça fait forcément penser à Biggie…

O : Pour moi Biggie, c’était le numéro un… C’était le rappeur dont je me sentais le plus proche, qui m’a touché le plus à tous les niveaux. Quand j’ai appris qu’il n’écrivait pas, je me suis dit que c’était pas possible… et je suis très attiré par ce qui est impossible. Donc je me suis dit : si j’arrive à faire ça… C’est fini, tu rentres au panthéon, avec les vikings ! Après ça, c’est que de l’application.

A : Dans la démarche, c’est un album qui peut faire penser à De La Soul Is Dead : une couverture à fond blanc, la référence à la mort, la volonté de casser avec le premier album…

O : C’est marrant que tu dises ça, parce que la pochette originale de L’amour est mort, sur laquelle j’avais travaillé avec un dessinateur, était une pochette baroque avec une rose qui s’est pendue, une table, un vase avec du lait qui tombe et un sablier cassé. Mais c’était trop abstrait pour la maison de disques… Donc, en deux jours, on s’est fabriqué cette pochette en noir et blanc avec une photo vieille de deux ans [rires jaunes]… Tout s’est mal passé, à tous les niveaux.

A : Sur l’album suivant, Le Cactus de Sibérie, la dédicace va « à la famille, à ceux qui soutiennent ma musique et ceux qui sont d’accord« . Que voulais-tu dire par là exactement ?

O : « Ceux qui sont d’accord« , c’est le concept de « l’union fait la force« . Pour être d’accord, quelquefois, il faut faire un effort, il faut discuter. C’est un mot qui a beaucoup plus d’importance qu’on ne lui prête. Être d’accord, c’est un signe d’amitié, d’intelligence, de force, de compréhension, de communication, c’est pas si évident. Ceux qui sont d’accord, pour moi, c’est ceux qui sont unis, quoi.

A : Pour Lipopette Bar, comment en es-tu arrivé à faire un album comme ça ?

O : C’était une proposition, pas une volonté. C’est quelque chose que j’aurais pas osé faire spontanément, parce que j’avais été voir beaucoup de concerts et que pour moi, les musiciens, c’était un monde à part… Le rock, la pop, la variété… Je me voyais pas du tout prêt à ça. Mais quand on me l’a proposé, vu que je m’ennuyais dans mon genre, je me suis dit que j’allais essayer de surprendre ; quitte à prendre un risque, autant aller jusqu’au bout. Et pendant six mois, on a failli faire demi-tour plus qu’autre chose…

A : La scène, ça doit créer un effet étrange d’avoir des musiciens derrière soi, notamment pour les vieux morceaux ?

O : Carrément, c’est incroyable, ça leur donne un bain de jouvence. C’est comme quand tu fais jouer un morceau de James Brown par The Roots, ça leur donne un autre aspect, une fraîcheur. Ça permet de reprendre des morceaux vieux d’une décennie sans gêne, sans problème, si ce n’est que je ne peux pas reprendre le texte comme la musique. Mais c’est incroyable : avec les musiciens, la musique peut changer au gré de l’humeur, selon la tension, elle se nuance… Ça me fait comme une image fixe qui se met à bouger, et à laquelle tu peux donner la forme que tu veux.

A : On peut faire le parallèle avec le MTV Unplugged de Jay-Z, quand on compare par exemple le ‘Girls, Girls, Girls’ en studio et en live…

O : À fond ! Parce qu’à la base, au niveau technique, les sons utilisés ne sont pas « purs », il y a de la compression… Et quand ils sont joués par les musiciens, c’est comme si tu les décomposais, que tu montrais le squelette de la musique ou que tu la mettais à nu dans sa plus pure forme. C’est là que dans la plupart des cas, le morceau prend toute son ampleur.

« J’ai repris la basse, j’essaie d’apprendre des notions de solfège, et je veux recommencer à composer mais plus sérieusement. »

A : Tu as fait des scènes avec Rocé et Abd Al Malik – une heure chacun -, que retiens-tu de ce type de format ?

O : C’est une bonne chose pour faire découvrir, ça permet de montrer qu’il y a un autre rap français. Mais en même temps, ce qui est dommage, c’est que les médias ont tendance à nous mettre dans le même sac. Au lieu de nous montrer comme étant différentes facettes du rap français, ils font de nous l’Église ou la Secte à part, celle des mecs qui font du rap avec des musiciens, ou qui s’incrustent dans le jazz. Alors que ça va bien plus loin que ça. Abd Al Malik a un discours assez philosophique, introspectif, avec des musiques inspirées de la chanson française et du jazz des années 1960, une collaboration avec un ancien compositeur de Brel ; Rocé c’est un mélange d’instruments et de samples, la participation d’Archie Shepp, un discours assez militant ; moi je raconte une histoire tout au long d’un disque sur une musique composée comme une bande originale… Ce sont donc trois démarches complètement différentes. Nous mettre dans le même sac, ça veut dire que le rap est soit violent, soit commercial, soit avec des musiciens jazz… Moi je suis contre ça : au lieu de voir l’originalité de la démarche, on nous classe, c’est dommage parce que ça nous fait perdre aussi des auditeurs.

A : Tu avais écouté l’album de Rocé, Identité en Crescendo ?

O : Oui, bien sûr. J’étais obligé : à partir du moment où est venu à moi cette idée de disque de « jazz » imprévue, je me suis remis à écouter les expériences dans le domaine pour faire autre chose, et aussi sortir des idées préconçues à propos des rappeurs qui travaillent avec des musiciens. Je suis même retourné à Easy Mo Bee et Miles Davis, US3, Common Sense, tout ça… Et d’ailleurs j’en suis pas trop fan. C’était donc pas évident de faire ce disque dans un genre que je n’aime pas trop, c’était une complication de plus.

A : Vraiment, c’est pas ton truc ? The Roots par exemple ?

O : Les Roots pour moi ça dépasse le « jazz », c’est de la musique pure. Les mecs font une histoire de la musique américaine, donc ça dépasse le cadre. Mais le genre me plaît pas trop parce que je le trouve trop propre, trop léché, avec un univers trop élitiste… Moi je voulais surtout éviter d’aller dans le sens des clichés : le jazz, une musique de gens qui claquent des doigts et qui ne bougent pas la tête… D’ailleurs dans le disque, il y a beaucoup d’autres inspirations que le jazz.

A : Tu préfères les boucles plus crades…

O : Ouais, à la Blackmoon, Smif-N-Wessun, un morceau comme ‘Don’t Sweat the Technique’… Des choses qui font aller plus loin, chercher les compositeurs dans les crédits, qui ouvrent sur d’autres mondes. C’est comme ça que je suis rentré dans le jazz, avec les boucles : Bob James, Chick Corea… J’ai toujours samplé, en même temps que j’ai commencé à rapper, j’étais même à deux doigts de devenir DJ. J’ai toujours une platine chez moi, j’ai eu mon premier sampler en 96 ou 97, c’était un S950, et le premier que j’ai vu était celui de DJ Mehdi en 93 ou 94. Mais j’ai fait ça seulement par intermittence parce que ça t’isole complètement, ça rend fou. Au contraire, j’ai repris la basse, j’essaie d’apprendre des notions de solfège, et je veux recommencer à composer mais plus sérieusement, et que ce soit réarrangé par des producteurs derrière, pour arriver à quelque chose de plus consistant, c’est comme ça que fonctionnent les formules du type Dr. Dre, Timbaland et compagnie.

A : Et savoir juste de quoi jouer une mélodie que tu samples toi-même ensuite ?

O : Non, je préfère avoir directement le gars qui joue, pour avoir les nuances. Mais je suis passionné par la composition, l’étude du son, la réaction du corps… Des frissons, des souvenirs, les parties de plaisir sur telle chanson, c’est des choses qui marquent à vie, et ça vient aussi de la musique, pas seulement du texte. Je voudrais affronter la musique plus à fond que je ne l’ai jamais fait.

A : Es-tu satisfait des retours que tu as eu sur cet album, à la fois de la part du public et sur un plan commercial ?

O : Du public, oui, parce que quand on a fait ce disque, on s’est demandé si c’était pas suicidaire, vu que c’était pas la tendance, que personne n’attendait ça, qu’il n’y avait aucune demande et que l’ambiance était morose dans le hip-hop. Donc je suis très content de l’accueil puisqu’on ne savait pas où on allait trois mois avant de finir le disque, et quand on a commencé à voir l’accueil sur scène, les festivals dans lesquels je me suis retrouvé, j’ai béni cet album de toutes mes forces. Vraiment, il m’a emmené beaucoup plus loin que je ne pensais. J’ai participé à des festivals de jazz qui ont définitivement changé la mesure de mes ambitions musicales. J’ai partagé l’hôtel avec des gens comme Richard Bona, Molly Johnson, Esperanza, Alain Caron, Lokua Kanza, etc., des artistes que normalement tu ne verras jamais au même endroit de toute ta vie. Tu les vois en concert, tu as même pas assez de force pour tout vivre. C’est simplement les meilleurs musiciens du monde. Tu vas dans un festival comme Montréal, ou à plus petite échelle le Paléo ou Nice, c’est là que tu vois le gratin du gratin, le haut niveau de la musique. C’est là que je me suis vraiment rendu compte que je connaissais pas grand-chose. Tu rencontres des mecs qui sont nés avec leurs instruments, qui ont le génie et le talent, et qui ont travaillé pour, tout ça rassemblé, ça te fait réfléchir sur toi et sur ce que tu veux faire dans la musique.

A : Un projet qui t’a sûrement tenu à coeur, c’est le Paris-Bamako…

O : Carrément, énorme, ça aussi c’est des surprises. Après le Blue Note, j’étais à Bamako avec plein d’artistes locaux qui sont la crème musicale de là-bas, et nous répétions toute la journée en live. Ça donnait une aptitude à rentrer dans une autre vibe, ce qui fait que pour Lipopette Bar, j’étais moins dépaysé. En tout cas c’était une énorme expérience : avec Amadou & Mariam, en train de faire de la musique toute la journée…

A : Pour continuer hors du rap, tu as écrit un texte pour Florent Pagny…

O : À la base il était pour Ben Ricour. Et il a plu à Florent Pagny. Je suis pas sûr qu’il l’aurait pris s’il l’avait eu directement… Je pense que la chose a plus de valeur quand on va la chercher soi-même et c’est ce qui fait qu’il a pris cette chanson, mais je l’avais pas écrite pour lui. Et puis elle a été co-écrite aussi, on était deux sur le coup. J’ai aussi écrit pour d’autres artistes…

A : Mais là, le résultat te convient ?

O : Bien sûr. Avoir des chansons qui peuvent être chantées par d’autres, c’est énorme.

A : Pourquoi préfères-tu ne pas interpréter toi-même ces chansons ? Ça peut paraître bizarre d’une certaine manière…

O : Le truc, c’est que j’ai plus de choses à écrire que je n’en ai à dire. Donc j’ai besoin d’autres artistes pour le faire à ma place, parce que c’est pas toujours mon domaine, ou des genres qui me séduisent mais pas forcément à pratiquer. Et puis c’est une écriture complètement différente, comme la peinture en bâtiment et la peinture en tableau. Le rap peut s’apparenter à la peinture en bâtiment, le côté rugueux, dur, pour l’extérieur…

« J’ai plus de choses à écrire que je n’en ai à dire. »

A : Un de nos éminents collègues a appelé « diptyque de la rupture » les deux morceaux que tu as fais avec K-Reen, ‘Le jour où tu partiras’ et ‘Nous aurions pu’. Y a-t-il un avenir à cette collaboration ? Un troisième volet est-il prévu ?

O : Je ne sais pas. Pour moi, la voix de K-Reen c’est un truc de fou, et la manière dont je travaille avec elle c’est quelque chose de presque magique, parce qu’elle met exactement l’émotion que je veux et j’ai rencontré très peu de chanteuses qui peuvent le faire. Je regrette qu’elle n’ait pas eu le succès qu’elle mérite, mais moi elle me fait toujours rêver, elle reste unique. Surtout pour ce genre de textes, avec cette émotion, tu ne peux pas prendre une tricheuse, il faut y mettre le cœur.

A : Tu es l’un des rares rappeurs français à maintenir une forme d’unanimité autour de lui, alors que tu fais des choix artistiques qui n’ont rien d’évident vis-à-vis de ce milieu, avec pas mal de contre-pieds. Comment tu expliques ce paradoxe ?

O : Ouais, c’est marrant, je comprends pas…

A : Eh bien justement, on voudrait que tu nous expliques [rires]… Tu ne t’en rends peut-être pas compte, mais tu es un nom qui revient souvent dans les « références » au cours des interviews…

O : Non je m’en rends pas compte, mais ça fait super plaisir. Là tu me dis ça… C’est peut-être parce que j’ose essayer, et que quelquefois j’y arrive à peu près, c’est peut-être pour ça… Je ne connais pas les raisons, mais en tout cas ça me fait très plaisir. C’est des choses qu’on peut pas réaliser ! C’est incroyable. Se retrouver en concert devant des milliers de gens, c’est un truc énorme, difficile à… C’est plus facile d’en parler au passé.

A : Est-ce que c’est gratifiant de constater par exemple qu’en concert, le public est varié, en âge comme en style ?

O : En fait je ne vois pas mon public, je le ressens, parce qu’il fait noir, et contrairement à eux, moi je ne les regarde pas ; je suis là pour être regardé le mieux possible, rester « opérationnel », ne pas me tromper, gérer l’harmonie, la musique, les tenir en attention, les intéresser, être le plus clair possible… Donc j’ai pas la possibilité d’apprécier et de jauger physiquement le public ; je ressens la réaction, l’émotion globale. Quelquefois je vois des visages, mais c’est pas quelque chose qu’on peut calculer.

A : À propos de tes disques de référence, tu as pu citer un groupe comme M.O.P., ce qui peut paraître étonnant dans la mesure où ils sont dans un genre « gueulard » a priori éloigné du tien… De quelle manière un groupe comme celui-là peut-il te servir de référence ?

O : Pour moi, M.O.P. c’est des génies que les gens ont manqué : au niveau du flow, c’est le plus haut niveau technique… Ils ont un flow de dingue : la cadence, les variations… Ils ont les meilleurs refrains du rap, les plus enjoués et les plus scéniques. Au niveau des textes, il y a pas plus dur mais près du cœur, l’amour de rue quoi… C’est une référence parce qu’ils sont sincères : quand ils parlent de leurs potes décédés, tu sais que les mecs sont vraiment décédés. La manière dont ils donnent le nom dans les dédicaces, tu sens toutes les années qu’ils ont dans la gueule. Pour moi c’est ça M.O.P. : le groupe qui n’a pas pété financièrement, qui mord encore la poussière ; ils se sont traînés de label en label et ils ont fait certains mauvais choix, mais ils restent des tueurs. Li’ Fame et Billy Danz’… incroyable. Leurs voix… avec les musiques… c’est que de l’amour d’une certaine manière, que de l’affection.

A : Il y a des choses qui t’ont marqué récemment, sur le plan artistique, dans le rap ?

O : Ponctuellement. Mais en ce moment, j’écoute Pastorius, j’écoute Bach. Beaucoup. Pastorius, au début je comprenais pas, je ne pouvais pas écouter jusqu’à il y a trois ans. Et puis je suis rentré dedans et là j’ai commencé à comprendre… Et j’ai réalisé qu’il y avait des démarches à faire. J’écoute aussi Liz McComb, donc tu vois musicalement c’est complet. Après il y a des trucs qui me plaisent ponctuellement comme ‘Amusement Park’ de 50 Cent, quelques maquettes de Rim-K que j’ai écoutées, certains concepts de Sefyu, la démarche de Soprano ou Youssoupha, des mecs qui travaillent, qui cherchent, qui creusent. Sinon musicalement je suis trop dispersé pour pouvoir m’attarder sur ce que je n’aime pas. Parce que l’ »actualité » dans la musique ça n’existe pas, tu peux être d’actualité avec une musique composée il y a soixante ans comme dépassé par une autre écrite il y a six mois… Tout est dans la qualité.

A : Tu suis encore de près ce qui se fait dans le rap français, c’est un monde qui t’intéresse encore ?

O : J’ai pris beaucoup plus de recul. Maintenant je peux aller voir Keziah Jones en concert, ou Daft Punk… La musique ne se réduit pas à mon genre. Donc j’ai pas de quoi m’ennuyer ! Ce que je cherche à faire, c’est de mettre ensemble tout ce qui me fait vibrer et de le redistribuer, de partager après avoir mélangé. Si je m’ennuie dans un genre, je vais écouter Celia Cruz ou Jorge Ben Jor… J’ai plein d’échappatoires où il y a de la profondeur, quelque chose qui se passe. Tu t’ennuies vite dans le même milieu, dans le rap comme dans le jazz, les plus vivants sont ceux qui sont le plus ouverts à d’autres genres. Je suis ce qui est intéressant mais… le rap est victime de son succès : il est obligé de répondre à des objectifs commerciaux, à entrer dans des réseaux de diffusion, parce que tout le monde n’a pas la chance de faire des concerts, l’exposition n’est pas la même pour tout le monde et surtout pas pour les plus méritants… La meilleure manière de réagir, c’est encore de faire un bon disque ou un bon morceau.

A : Il y a quelque temps, sur France Inter, tu as repris un texte de Charles Aznavour, ‘J’en déduis que je t’aime’…

O : Ouais ! J’adore.

 A : … en quoi l’écriture d’auteurs de chanson peut-elle t’inspirer ?

O : Ça m’inspire dans la technique et dans la capacité à capter l’auditoire. Avec une certaine simplicité qui est fausse, parce que c’est quelque chose de difficile d’écrire une chanson, on s’en rend pas compte avant d’avoir essayé et d’avoir raté… Et quand on entend des chansons comme celle d’Aznavour qui vous marquent à jamais, on cherche à comprendre l’alchimie. L’écriture, c’est que des mathématiques : on compte les mesures, les rimes, le nombre de syllabes… On cherche la formule magique.

A : Dans la chanson française, on parle toujours du contenu du texte, mais rarement de la technique du chant…

O : D’ailleurs Aznavour ne « chante » pas vraiment pour moi. Comme un Nougaro ou un Léo Ferré, ou même Renaud, qui ont un débit particulier qui n’est pas vraiment celui de la chansonnette. Et je pense que les rappeurs peuvent avoir la capacité, en mélangeant de la chanson française avec un flow qui leur est propre, à créer quelque chose de nouveau et qui peut faire d’eux les prochains Aznavour ou Brassens.

« Je pense que les rappeurs peuvent avoir la capacité, en mélangeant de la chanson française avec un flow qui leur est propre, à créer quelque chose de nouveau et qui peut faire d’eux les prochains Aznavour ou Brassens. »

A : Venons-en à La Réconciliation. Un maxi sort avec deux extraits en vinyle, un support devenu confidentiel : c’est pour renouer avec une certaine tradition ?

O : Ouais, par nostalgie. Et pour le plaisir. Pour le prestige de l’objet : avec le temps, ça prend de la valeur. Et puis c’est rare de faire quelque chose pour le plaisir aujourd’hui, plutôt qu’à ce qui pourrait rapporter. On s’est juste fait plaisir.

A : Comment tu définirais cet album ? C’est un nouveau contre-pied par rapport à Lipopette Bar, une volonté de revenir à un certain esprit ?

O : C’est une mix-tape… En fait, on a commencé à la préparer avant Lipopette Bar. C’est un projet sur lequel on est depuis environ deux ans, mais Lipopette Bar est arrivé, j’étais en tournée, Cream aussi, donc on calait les journées de studio quand on pouvait, mais comme on le faisait pour nous, on était pas trop pressés, on n’avait pas impératif… Et ça me faisait rire, au moment de la sortie de Lipopette Bar, qui était une chance et une démonstration, d’entendre dire que j’avais retourné ma veste dans le style, alors que derrière je préparais un petit projet rap « normal » !

A : Quelle différence fais-tu entre un album et une mix-tape ?

O : Dix fois plus de budget.

DJ Cream : Et puis par définition, une mix-tape c’est enchaîné, alors qu’un album les morceaux sont calés…

A : Bien sûr, mais musicalement, les décalages ne sont pas toujours aussi importants que ça entre les deux formats…

O : Disons que pour moi, une mix-tape, c’est un album sans moyens.

DJC : On dit que c’est album dans le prêt-à-porter…

O : Moi je fais la différence parce que c’est un problème de « travail-qualité ». C’est de la triche pour moi : si les deux sont trop proches, c’est que soit l’album n’est pas à la hauteur, soit la mix-tape n’en est pas vraiment une. Moi, si je fais une telle mix-tape, c’est aussi pour dire : imaginez ce que ça donnerait en album, avec une grosse équipe, du marketing, l’ambition de durer quelques années, pas seulement un truc fait à la maison avec un pote. C’est pour ça que j’aime pas trop ce concept de « Street CD », qui pour moi n’est qu’un prétexte pour sortir des albums. Si tu as des thunes, fait une mix-tape, pas un « street CD » ! Sinon ça ne veut plus rien dire, ça inonde le marché pour rien, les gens ne veulent plus mettre d’argent dans leurs albums parce qu’ils se font plus de thunes comme ça, c’est tout bénéf’ pour eux.

DJC : C’est sans autorisation, sans rien, en fait c’est ça le principe du « street CD ». C’est un terme de mode. Un « street CD » pour moi, ça veut dire un album bâclé

O : [rires] C’est un bif-CD ! Pour le gen-ar…

DJC : Ouais, d’un côté ça fait péjoratif, mais en même temps ça fait « rue », « authentique »… Et puis tu peux te faire remarquer par ça, quelquefois il y a des gens qui te découvrent comme ça et qui viennent te chercher pour te signer, c’est aussi une méthode, quand tu n’es pas connu…

A : Tu suis un peu les médias autour du rap ? Le panorama n’est pas brillant…

O : C’est pour ça qu’Internet est la seule issue. Tout est sur la vitesse, c’est instantané, ça se répand tout de suite. Aujourd’hui, on te montre à la télé des images d’Internet, c’est le monde à l’envers. Et puis il y a l’indépendance, la liberté, c’est l’Eldorado ! Et encore, tout reste à faire…

A : Mais on pouvait aussi craindre qu’il y ait moins d’exigences et de contraintes qu’un média papier, et que la qualité soit en fait assez médiocre…

O : Non parce qu’il y a la compétition : comme c’est ouvert à tout le monde, ça se joue au plus méritant. Il n’y a pas d’intermédiaire, pas de groupes d’influence derrière, c’est pas le même budget, c’est du pur travail. Comme si je fais un morceau et que je veux le faire connaître, c’est direct.

A : Dans un texte, tu te dis « injoignable mais accessible » : à travers ta page myspace, tu as sûrement beaucoup de sollicitations ?

O : J’en ai même trop pour faire bien attention : « viens écouter mon son« , « viens faire un feat« , « viens faire un concert je sais pas où« … C’est un peu fatigant. Mais ceux qui savent envoyer le bon message, ça fait la différence. Le meilleur moyen de me joindre, c’est encore d’avoir quelque chose de pertinent à dire, qui puisse m’intéresser.

A : Pour le prochain album, on peut tenter de gratter quelques informations ? Plus brut et dépouillé, ou bien à nouveau avec des musiciens…

O : C’est pas encore défini, mais tout à l’heure on parlait de chanson populaire à la Aznavour, eh bien ça peut tendre vers ça. Finalement, c’est ce que les gens ont aimé dans mon premier album, du vif, du « tout de suite ». Donc je cherche un bon amalgame entre ça et quelque chose de plus dense, un bon mélange entre la profondeur et la légèreté.

A : Tu as déjà le titre ?

O : Ah ouais j’ai le titre, et la moitié des morceaux, une bonne partie en tout cas, car j’ai pas encore précisément toutes les musiques. Et comme je veux l’album parfait…

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