Diamond in the Rough

Juicy P, l’étoile noire du 91

Juicy P est-il le secret le mieux gardé du rap français ? On est allé le rencontrer pour se faire notre idée.

Quand on écoute la musique de Juicy P et plus largement celle de la LMC Click, le groupe auquel il appartient, une chose frappe immédiatement : ces rappeurs-là sont farouchement attachés à leur département. Tout naturellement, Juicy P nous donne donc rendez-vous dans son fief de Grigny lorsqu’on cherche à le rencontrer. À peine sorti du RER et le rappeur nous emmène dans un café où il a ses habitudes, situé à une petite centaine de mètres de la gare. Sur le chemin, il est interpellé par plusieurs personnes, comme pour nous rappeler qu’il joue à domicile. “Je suis un gros activiste du rap du 91 précise-t-il. Au tout début, notre musique est vraiment faite pour les quartiers de ce département, pour que le 91 soit unifié et qu’il sorte la tête de l’eau.” Enfant du bercail, Juicy P témoigne d’ailleurs un respect sans faille envers ceux qui ont porté haut les couleurs de l’Essonne. Qu’il s’agisse de proches comme Ol’Kainry ou d’artistes plus éloignés de lui comme Diam’s ou Disiz dont il reconnait au passage avoir beaucoup écouté Le Poisson Rouge quand il était plus jeune.

Son amour de la rue et l’attachement indéfectible porté au 91 pourraient laisser penser que Juicy P est un de ces rappeurs rustres qui n’écoutent que son entourage. En réalité, il n’a jamais cherché à être en marge du rap français et n’hésite pas à rappeler qu’il est d’abord arrivé par le rap via des disques hexagonaux. “De MC Solaar à Assassin en passant par Timide et Sans Complexe jusqu’à Reciprok, j’ai acheté tous les disques !” Mais sa référence première, c’est le Ministère Ämer, groupe avec lequel la LMC Click partage sur disque le même équilibre entre des morceaux très sombres et un amour inconditionnel pour les ballades ensoleillées. “Stomy, j’ai écouté jusque 4ème round avoue Juicy P non sans une certaine admiration. J’ai beaucoup de respect pour lui et j’aimerais bien faire un son avec lui. C’était notre Marlon Brando.”

En parallèle du rap français, les rappeurs outre-Atlantique ont rapidement joué un rôle primordial dans son développement. Sauf qu’il n’a pas les références classiques des rappeurs parisiens. “Plus petit, j’étais un peu turbulent raconte Juicy P. Mon père m’avait donc renvoyé au bled. J’ai passé deux ans et demi au Gabon et, avant de partir, un pote m’avait fait des cassettes avec tous les albums de la Three 6 Mafia. Je suis parti avec et je me suis buté à ça”. Un groupe tellement important pour lui qu’il est capable de réciter le tracklisting de Chapter 2 : World Domination par coeur et que ses yeux se mettent à briller quand on lui parle de l’album Chronicles of the Juice Man de Juicy J. “J’ai tellement saigné ce disque que tout le monde commençait à m’appeler Juicy dans le quartier. On avait vingt ans, une 306 et on écoutait ça à fond. Ce disque nous a rendu fous.” Il ne lui en faut pas plus pour ajouter un P derrière son nouveau pseudonyme, une double référence à la première lettre de son prénom mais également à Master P. “Je n’ai aucune gêne à dire que ces gens m’ont influencé et j’assume complètement la filiation admet-il. Je n’aime pas le terme de “fan” mais c’est à cause de ces gens que je suis autant passionné.”

En effet, sa musique n’est pas celle d’un fan qui reproduirait mécaniquement celle de ses aînés. De Tupac & Juicy J, il a conservé l’énergie et une certaine manière de concevoir le rap, flirtant sans cesse entre le pur divertissement et l’envie de “donner de la force aux gens qui écoutent”. Avec un succès d’estime indéniable mais une difficulté persistante pour diffuser massivement sa musique. “Je ne calcule rien dit Juicy P. Je suis en indépendant et fais les choses du mieux que je peux.” Et quand on lui demande s’il a des rêves de vivre un jour du rap, sa réponse est sans appel : “J’aimerais bien être signé en maison de disques, faire des tournées et nourrir ma famille avec le rap. Après, je ne sais absolument pas ce que ça va donner et, clairement, je ne vais pas me suicider si je ne signe pas en maison de disques. Dans cette ville, les petits frères nous regardent comme des héros et savent qu’on a accompli des choses. Si ça ne marche pas pour nous, ça marchera pour eux. De notre côté, tant qu’on aura la force pour le faire, on fera le boulot.

Le boulot, il l’a fait ces derniers mois en abreuvant Internet de visuels – “ta chaîne Youtube doit être ta vitrine”- et en sortant son premier projet solo, Certifié Vrai – Episode 2 : La Plakette, le 16 juin dernier. Après plusieurs compilations de qualité (notamment les Représente ta Rue) et collaborations sur lesquelles il a souvent volé la vedette à ses camarades, l’arrivée de ce projet dans les bacs est la meilleure carte de visite possible pour le rappeur. Dans une ambiance enfumée, qu’il parle de meufs ou de la situation de l’Afrique, il officie avec une dextérité rare au micro et confirme qu’il reste l’un des talents les plus sous-estimés de ce pays. Dans la foulée, il devrait participer à États-Unis d’Afrique, le supergroupe réunissant Hype & Sazamyzy, le Ghetto Fabolous Gang et Zesau. “On se connait depuis très longtemps avec tous ces gens. C’est de l’amitié pure et dure. Mais même si on ne s’entendait pas, on pourrait travailler ensemble. Dans le rap, je ne suis pas là pour rigoler et me faire des potes. Je veux faire les choses pro, je n’ai pas le temps pour le reste.”

La suite, Juicy P l’aborde avec une grande lucidité. “Aujourd’hui, les gens ne respectent que les chiffres reconnait-il. Ce n’est même pas un reproche, c’est juste la vie qui est comme ça.” En attendant le coup de pouce du destin qui lui permettra de franchir ce fameux plafond de verre, Juicy P va continuer de proposer sa musique à ceux qui voudront bien l’entendre. Le succès et l’industrie, il préfère ne pas y penser. Ou en rigoler. “Le souci c’est que l’industrie ne doit pas avoir assez d’oseille pour signer tout le monde plaisante-t-il. Avec ou sans maisons de disques, on aura notre part tôt ou tard.” C’est tout le mal qu’on lui souhaite.

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1 commentaire

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  • Fleury,

    il y a une FAAAAAAAUUUUTE à Ghetto fabulous gang ….. Grrrrrrrrrrrrrrrrr