Despo Rutti
Interview

Despo Rutti

Pour son premier album « Convictions suicidaires », Despo Rutti prend à bras le corps les questions qui fâchent et impose sa personnalité abrasive dans le paysage du rap français. Rencontre avec un artiste intense et franc du collier. Un artiste vivant.

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Abcdr du Son : Deux semaines après la sortie de ton premier album, dans quel état d’esprit es-tu ? 

Despo Rutti : Deux semaines après la sortie d’un album comme celui-là, qui a été murement réfléchi – on a beaucoup hésité à le sortir dans d’autres conditions – quand j’en écoute le contenu et quand je réalise que je ne me suis pas censuré tout seul, je me dis, quand même, c’est bien. Il y a eu un Top 14, l’album a été attendu, et vu les critiques, après écoute, je suis amplement satisfait. Je suis rassasié trois, quatre, cinq fois des retours ! J’attendais juste que les « si si la famille » se confirment un peu. Cette confirmation, je l’ai eu.

A : Tu parles de censure dans la conception de l’album, c’est de l’auto-censure ou une censure extérieure ? 

D : Les thèmes que j’aborde, c’est pas « On sort en boîte, la vie est belle ». Non. J’essaie d’approfondir sur des sujets comme la religion, la mixité – et quand on est un mec de quartier, c’est pas rien, ça porte nos vies. Tous les morceaux de cet album sont le constat d’un truc dur qui m’est arrivé, à moi ou autour de moi. Je parle de la rébellion économique, et tu trouveras beaucoup de rappeurs qui te diront que dans leur quartier, des gens sont morts en essayant de faire de l’oseille, parce qu’ils n’ont pas pu continuer à aller à l’école. Ça ne leur parlait pas, alors ils se sont tous rebellés pour la plupart. Moi, je voulais faire designer automobile. D’une, la conseillère d’orientation a éclaté de rire. De deux, quand j’ai voulu me réorienter par ma propre personne, j’ai vu les prix : pour un an, 50 000 €, c’est juste pas possible ! J’ai vu l’aide que l’Etat pouvait apporter, ça nécessitait de travailler hors des heures de cours, et quand tu es déjà en réorientation… Il y a un truc malsain dans l’éducation nationale qui m’a toujours déplu : quand tu es pauvre ou différent, il faut toujours en faire plus que les autres. Plutôt que de rester à l’école, et faire chier les profs, les empêcher de faire leur truc, j’ai préféré rester dans mon coin.

A : T’as poursuivi des études jusqu’à quand ? 

D : J’ai eu le bac pro. C’était un peu : « Bon allez, ça me fait chier, mais essayons d’en tirer quelque chose ! ». Mais je ne voulais pas du tout être électricien. Surtout avec un enfant. Je voulais pas qu’en voyant Peter Pan, il se dise « Nan, moi, je pourrai pas voler là-haut, j’aurai pas une super voiture de sport, mais je vais réparer la prise qui est là, à côté ». Ce bac pro, je l’ai pris aussi pour mes parents. Tu as une faculté, mais pour eux, seul le diplôme compte. Mais après, quand ils voient le salaire de Zizou dans L’Equipe… Ça, c’est des grandes désillusions. Un jour, il y avait un reportage à la télé où ils parlaient des salaires de joueurs de foot. Quelqu’un de ma famille a osé dire « Pourquoi t’as pas fait footballeur ? » Mais vous êtes sérieux ? Quand on voulait faire du foot, vous confisquiez les ballons et vous nous demandiez de réviser les dictées ! Si quelqu’un n’est pas fait pour les cours, il faut qu’il prenne un minimum de bagages pour s’en sortir dans la vie. Qu’il sache compter, qu’il sache s’exprimer, qu’il sache lire les fiches de paie. Le minimum.

A : Comment tes parents ont réagi quand ils t’ont vu devenir rappeur ? 

D : Déjà, peu importe si quelqu’un est de ma famille ou pas, je n’aime pas avoir à demander la permission. Quand j’étais en Afrique, à partir de 7/8 ans, je fuguais. Ça se fait pas en Afrique ! Mais j’ai appris ça en voyant « La Boum » : « Putain, les enfants ils peuvent tailler ! Merde ! » [rires] J’ai pris des côtés européens, tu vois ! J’veux la liberté, j’m’en fous ! Je n’ai jamais insulté mes parents, mais j’avais besoin de sortir du truc. Pour revenir à la question, j’ai pas vraiment demandé l’avis de mes parents. Je voulais pas aller à l’école, mais j’y suis allé. Je voulais m’arrêter au BEP, mais ils m’ont dit que c’était du suicide ! Alors j’ai pris mon bac, ça m’a permis d’aller taffer. C’est bien les conneries dans la rue, c’est bien le biff à gauche à droite… mais il faut que tu sentes aussi ce que ressent ton voisin quand il rentre du travail fatigué. Pendant que tu fous le bordel en bas. Il est cuit, il a des enfants… J’ai ressenti ça quand j’ai taffé. C’est possible que tu n’adhères pas à un mode de vie qui n’est pas le tien, mais tu te dois de le respecter.

« Pour pouvoir être le plus objectif, il faut savoir se mettre dans la peau des gens. Sinon, tous les policiers sont mauvais, tous les blancs sont mauvais, et c’est nous en banlieue les meilleurs !  »

A : C’est quelque chose d’omniprésent dans ton album : on sent que tu veux peser le pour et le contre pour éviter tout manichéisme.

D : C’est ma personnalité. Ça fait depuis 2006 que les gens savent que Despo a un discours polémique. Depuis le morceau ‘Arrêtez’. Si tu ne fais pas ça par opportunisme ou par esprit marketing, ça se voit vite. J’ai fait plein de morceaux. Je suis intervenu sur plein de projets différents. J’ai donné mon point de vue sur plein de situations. En vérité, on ne peut pas s’arrêter sur le fait que Despo pense ci ou ça, que Despo pense ça de la police… Non, le mec il parle du travail, de la délocalisation. Il parle aux extrémistes qui sont là à dire « Que les étrangers se cassent ! Ils prennent notre boulot ! ». Ouais, mais t’as pas réfléchi ! Comme le salaire des ouvriers français sera toujours plus élevé, les grosses sociétés comme Total se casseront en Afrique ou en Asie, là où ils paieront les gens une misère. Et toi, tu te retrouveras sans travail ici. Dans certaines provinces, ils n’ont plus rien, tout est centralisé dans les grandes villes. Dans leur bêtise, ils ont voté pour faire dégager les immigrés, mais tout le travail va partir avec ces immigrés. Ces gens-là vont rester dans leurs campagnes, il n’y aura plus de négros ni de reubeus, mais il n’y aura plus de boulangerie non plus. Il faudra aller dans une grande ville. Et qu’est-ce que tu vas faire ? Ben tu vas repartir à Paris, vers les négros et les arabes. Et puis un jour, ta fille va rencontrer quelqu’un de bien, qui ne sera pas forcément de la même origine que toi, et tu apprendras comme ça. Pour moi, quelqu’un qui refuse la différence, ce n’est pas qu’il est bête, c’est juste qu’il ne connaît pas. C’est tout.

A : Tu emploie le mot « tu » et tu te mets souvent dans la peau de ce personnage blanc, français…

D : Pour pouvoir être le plus objectif, il faut savoir se mettre dans la peau des gens. Sinon, tous les policiers sont mauvais, tous les blancs sont mauvais, et c’est nous en banlieue les meilleurs !  Non, ça ne peut pas être possible. On ne peut pas être crédible ni cohérent en pensant comme ça.

A : Ce discours là, il te manquait dans le rap ? 

D : C’est pour ça que les gens autour de moi me trouvent un peu narcissique. Parce que je m’écoute. Et c’est vrai, quand je m’écoute, je me dis « Mec, j’ai pas entendu quelqu’un capable de dire ça dans le rap français ». Et ça me fait du bien, en tant qu’auditeur.

A : C’est aussi un boulevard pour toi, vu que peu de rappeurs tiennent le même discours…

D : Ça m’a permis d’avoir une bonne attente du public, oui. [rires] Et il y a des gens qui continuent de découvrir. Des gens qui me trouvaient violents mais qui ont vu qu’il y avait aussi du texte.

A : Considères-tu que tu fais du rap dit « conscient » ? 

D : Je n’aime pas ce terme là. Je dirais même le contraire : inconscient. Complètement inconscient.

A : « J’représente la banlieue jusque dans sa connerie »…

D : Voilà. Du top au pire.

A : Tu as un style très instinctif, mais tu veux aussi prendre beaucoup de recul. C’est presque paradoxal…

D : C’est un travail, d’être humain. Respecter l’autre, accepter l’autre. Tu ne peux pas demander d’être respecté dans ta différence si tu ne le fais pas par rapport aux autres. En tant qu’être humain, j’ai grandi. C’est comme si tu vis avec une meuf et tu lui dis de pas faire certains trucs que toi tu fais. Tu vas te sentir bien, tu vas te sentir libre, mais tôt ou tard tu verras que c’est injuste. Et la personne en face aura le droit de te détester.

A : Justement, avec tout ce recul, est-ce qu’il t’arrive parfois de regretter des choses que tu as pu dire dans d’anciens morceaux ? 

D : Non, car j’ai toujours essayé d’être le plus honnête avec ce que je pensais sur le moment. Et ouais ! Sinon on attendra d’avoir cinquante ans pour rapper ! Et là il n’y aura aucune correction à faire : on connaîtra la vie, on saura ce que c’est que les relations, on saura que les femmes sont pas toutes des putes… Mais non, faut vivre ! Faut taper du poing sur la table, faut kiffer, faut se tromper. Et ça, je ne peux pas le regretter. Regretter, ça veut dire que je voudrais devenir quelqu’un de parfait. Non. J’ai pas envie. Tu vois, j’ai une sale balafre ici [il montre son menton] mais je la kiffe ! C’est ma vie, je n’ai pas à regretter ce moment, regretter avoir été là pendant cette bagarre. « Mon visage aurait été plus beau, j’aurais pu serrer plus de meufs… » Non, c’est ma vie. Il y a des trucs de moi que les gens haïssent que d’autres surkiffent ! Et vice-versa.

A : Une des premières phrases marquantes de l’album, c’est « A chaque punchline, je perd un fan ». C’est quelque chose que tu as déjà pu mesurer ? 

D : J’aime cette punchline car j’aime pas le mot « fan ». Je ne veux pas de quelqu’un qui se dirait « Despo, c’est un gourou ». Non. Moi, je veux qu’à chaque moment du morceau, tu te dises « Nan, je suis pas d’accord ! Il abuse ! ». Ouais, ça, ça va me faire progresser ! Faut pas que les gens qui kiffent Despo se mettent en mode « Ouais, ce mec là, il a toujours raison ». Moi, je suis là pour appuyer sur des trucs dont j’ai pas trouvé les réponses, des trucs qui font chier, ou des trucs biens que d’autres gens ne réalisent pas. Comme dans le morceau ‘Miettes d’espoir’. Y a beaucoup de choses que les rappeurs oublient de dire quand ils parlent de paix. Par exemple ? Même si l’Education nationale a parfois été injuste avec certains, mes petites nièces ont très bien appris le français. Elles sont très bien élevées, on a bien pris soin d’elles. Quand je viens les chercher, les dames sont super gentilles, elles s’occupent d’elles comme de leurs propres enfants. Faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Faut refuser cette généralisation. On la refuse pour nous, je ne peux pas la perpétrer à mon tour.

A : Puisque tu ne veux pas que les gens soient d’accord avec toi, il y a un moment du disque qui m’a fait tilter, c’est quand tu dis, en gros, « Elle me trompe, je divorce pas, je la butte / c’est hardcore d’payer une pension alimentaire à un fils de pute« . Tu aurais pu dire l’inverse : « Si je trompais ma copine, alors c’est elle qui devrait me flinguer »…

D : Ouais, j’aurais pu ! Et d’ailleurs, il y a un morceau qui arrive, ça s’appelle ‘Victime du sexe’. Faut me laisser le temps ! [rires] Mais par rapport à cette phrase là, on a tous vu les films comme « Basic Instinct » ou les séries comme « Nip Tuck » – c’est les héros de tous les hommes : le mec pousse une meuf du haut du toit parce qu’elle est enceinte ! Cette phrase, c’était surtout pour rendre compte de la dureté de l’action : payer une pension alimentaire à une femme qui t’a trompé. C’est hardcore ! Ma phrase, c’est rien à côté. Peut-être que j’ai écrit cette phrase dans un moment où j’ai tapé une crise de jalousie à une de mes meufs. Dans un moment extrême. [il pousse un hurlement terrible] HAAAAARGH !

« Je ne veux pas de quelqu’un qui se dirait « Despo, c’est un gourou ». Moi, je veux qu’à chaque moment du morceau, tu te dises « Nan, je suis pas d’accord ! Il abuse ! » »

A : Quand t’écris des trucs comme ça, on se demande si, dix minutes plus tard, tu n’as pas complètement changé d’avis sur la question…

D : Faut savoir un truc : depuis 2006, il y a des prods qui tournent dans mon appart’. Je joue à la console, je fume un joint… C’est la bande son de ma vie. Le titre ‘Légitime défense’, en plus, c’est vraiment arrivé à un moment très spécial de ma vie. Un peu comme ‘Arrêtez’ : un moment où tu refuses tout, où tu te demandes qu’est-ce que c’est que ce monde. C’est un truc qui arrive à tout le monde, au moins un jour tous les deux mois. Un truc que tu vomis complètement. Ce serait bien si tout le monde pouvait gueuler comme ça. Y a plein de gens qui kifferaient le faire – « Ils me cassent les couilles !! » Moi, je le fais.

A : On se trouve dans les locaux de Because Music, le label qui sort ton album. Et à t’écouter, on a l’impression que tu es le premier étonné de cette situation…

D : C’est un film de cul le truc ! Je vois des mecs qui essaient de modifier leurs morceaux pour obtenir la même chose et ils n’y arrivent pas. Quand je vois ça, je suis mort de rire. En fait, c’est bien d’être soi même ! Ça a des bons côtés. Tu vas un peu plus galérer, tu vas un peu moins manger peut-être, mais tu kifferas ton truc. Et pis t’auras rien mendié à personne et t’auras insulté personne avant. Despo Rutti, il a beau être dur, il a jamais dit « Fuck Skyrock » ni « Fuck les majors ».

A : Quelle relation tu as eu avec le label ? Tu étais 100% libre ou il y a eu une discussion sur le plan artistique ? 

D : Because a eu le besoin de travailler avec nous. Ils ont estimé que je faisais partie des artistes qui allaient compter. Ça, c’était il y a deux ans. Ils m’ont proposé un contrat d’édition. D’une manière ou d’une autre, ils ont misé sur moi à un moment où tout le monde n’y croyait pas forcément. Ils ont pris un risque. Pourquoi est-ce qu’aucun label indé ne l’a fait ? Pourquoi un gros label indé n’a pas sorti un sacré bif pour me signer ? Les labels indé, c’est ceux qu’on va entendre dire, après, « Ouais untel il a signé là ». On dirait qu’ils sont là pour faire les journalistes maintenant. Ils vont vous prendre votre taf ! En gros, cet album a été fait par moi et Coco : Soldats sans grade. En tant qu’éditeur et distributeur, Because a apporté de l’énergie et des plans qui se sont révélés intéressants.

A : Donc concrètement, tu arrives chez Because en disant « Ceci est un album, point final » ou « Ceci est mon album, qu’en pensez-vous ? »

D : Pour mon premier album, je ne voulais aucune autre vision que la mienne, artistiquement. Je voulais vraiment, vraiment, prouver que tu peux ne pas être le petit d’Akhenaton ou le petit de Kool Shen. Ne pas avoir le flow de Time Bomb. Ne pas avoir les mêmes instrus que tout le monde. Arriver, avoir une vraie identité et être respecté. Cet album, il est respecté, c’est une victoire.

A : Ils t’ont fait sacrément confiance.

D : Parce qu’ils voyaient qu’ils n’avaient pas affaire à un illuminé, mais un mec avec qui on peut parler business. Ma musique, elle est travaillée correctement. Des gens se sont plaints qu’à Skyrock, il ne peut y avoir qu’un seul type de rap… Au final, ma semaine là-bas, elle a été largement commentée, il y a eu des débats intéressants. Même le présentateur de l’émission m’a dit « Merci, ça faisait longtemps, j’ai kiffé cette semaine ». On n’attendait pas forcément que ça vienne de Despo Rutti.

A : C’est à l’artiste de faire la différence, tout simplement.

D : Voilà. C’est tout ce que j’ai à dire. C’est pas les featurings, ni envoyer 100 millions de maquettes à Untel. C’est pas comme ça. Il y a un ami à moi, Jo le Balafré, qui dit « Un mec talentueux, d’une manière ou d’une autre, ne reste jamais inconnu ».

A : Dès le début de l’album, il y a une phase sur Emmanuel de Buretel, patron de Because. Ça se passe comment, la rencontre Despo/De Buretel ? 

D : Ben écoute, la rencontre n’a pas encore eu lieu ! Ce qui est bon à savoir, déjà, c’est que je pense qu’il a écouté…

A : Vous avez fait connaissance à travers le disque, en fait.

D : En tout cas, s’il avait mal pris cette phrase, je ne pense pas qu’il aurait continué à travailler ce projet. Il a vu un mec qui parle de l’industrie. Un mec à qui il manque quelque chose pour être plus épanoui ! Pas un mec qui est là pour taper sur tout le monde. Et le mec dit ça avec un cynisme et un humour qui passe mieux que « Fuck les majors » !

A : Tu as un morceau en playlist sur Skyrock ? 

D : Non, je l’ai pas demandé moi-même. Ça n’a pas été une chose à laquelle je me suis attelé. Pendant la semaine Planète Rap, j’ai fait mon taf tranquillement. Je ne suis pas allé voir Fred toutes les cinq minutes pour lui demander comment faire pour faire passer mon morceau. Si les gens font le bouche à oreille, au bout d’un moment, peut-être qu’ils jugeront qu’il est dans leur intérêt de passer un morceau à la radio. Ou deux !

« Amène l’instru, je lui casse la gueule, et après, on continue d’avancer ! »

A : Dans ce Planète Rap, on t’a vu interpréter le morceau ‘Innenregistrable’ d’une manière particulièrement intense. Comment envisages-tu l’exercice de la scène ? 

D : Je suis à l’aise sur scène. J’ai pas le trac. Sur Hostile 2006, il y avait des grands noms. Je suis arrivé, j’ai fait mon titre. Blaaah ! Tu vois, je me disais que Untel allait faire un bête de couplet parce qu’il avait du buzz, qu’il allait m’enterrer… Nan les mecs [rires]. Amène l’instru, je lui casse la gueule, et après, on continue d’avancer ! Les vrais, de toute façon, ils sauront. Ils sauront aussi qui sont les moutons et qui sont les boucs [rires].

A : ‘Innenregistrable’ fait beaucoup penser à ‘Douleur de croissance’ avec un seul long couplet. Comment se passe la réalisation d’un morceau comme ça ? 

D : A la base, ‘Innenregistrable’ était un grand acapella de onze minutes trente. Là, le morceau fait 3 minutes et des poussières, j’ai du le couper trois, quatre fois au moins. Je disais un peu tout. Plein de réflexions sans son. Je n’ai pas écrit sur une instru. Je crois que c’est le premier texte que j’ai écrit sur un ordinateur. Pour la première fois, j’avais la possibilité d’écrire jusqu’à demain ! J’écrivais, ça s’arrêtait pas, ça descendait, je perdais pas les feuilles ! Ça tue. Il y a des titres comme ça… J’ai donc écrit l’acapella, j’ai emmené plusieurs instrus en studio. J’avais aussi un titre qui s’appelait ‘Trop parler peut tuer’. J’ai du prendre un peu de chaque sujet abordé. Certains sujets duraient seize mesures, d’autres quatre, d’autres deux. A mon sens, le morceau était encore plus ouf qu »Innenregistrable’, mais celui-là était vraiment innenregistrable, pour de vrai ! Mais c’est pas exclu que je revienne avec un titre dans le genre. Super épuré. Un acapella avec une petite ambiance…

A : Quand tu interprètes tes textes, tu fais tout à l’instinct ? 

D : A l’instinct. A Skyrock, par exemple, c’était à l’instinct. Si tu compares avec la version album, il y a des différences. Une personnalisation sur le moment. Entre rappeurs, faut avoir des couilles hein ! Tout le monde est concentré, lumières éteintes, cent personnes autour. Je me trompe pas, ça kicke, ça kicke. Et à un moment, j’ai une facilité pour glisser la phrase « Les renois mettent des chaînes en toc, c’est naze mais au fond je m’en bats les couilles ». J’aurais pu la placer comme ça, mais je me sentais bien ! Je me suis dit « Vas-y, je vais tenter de placer encore un mot ! » : « Les renois mettent des chaînes en toc, c’est naze mais au fond qu’est-ce que j’m’en baaaats les couilles !  » [rires] J’ai kiffé car dans le CD, c’est dit plus simplement. Là, avec le challenge, la pression que l’instru me mettait, je me suis fait plaisir.

A : Comment est né le concept de la pochette ? Ces mains plongées dans l’or…

D : Le roi Midas. Dans la mythologie grecque, il avait demandé à un Dieu de lui donner le pouvoir de transformer tout ce qu’il touchait en or. Il a eu le pouvoir, seulement, vraiment tout ce qu’il touchait se transformait en or. Peut-être même avec sa femme, au moment du câlin le soir… Oh merde !

A : Le don et la malédiction…

D : Voilà. The gift and the curse. En gros, au bout d’un moment, Midas s’est rendu compte qu’avec ce pouvoir là, être le plus riche, le plus blindé, avoir la brillance partout là où tu vis… et ben il était plus malheureux qu’avant. Alors il a demandé au Dieu en question de lui enlever ce pouvoir. Pour être plus humble. Plus humain.

A : Tu te sens dans cette position aussi ? 

D : Nan, pas que moi. C’est la mentalité de beaucoup de gens. Un mec dans la vie active qui refuse d’écouter son patron. Pour lui, l’or serait la liberté. Il est libre de dire « Va te faire enculer » mais à la fin du mois, son frigo est vide. Tous les trucs qu’on veut : devenir millionnaire dans la rue, avoir une voiture, être respecté… Tu pourras peut-être acheter une belle baraque à tes parents, mais t’auras perdu quatre potes, t’auras fait quinze ans de prison… C’est peut-être aussi l’Africain qui vient en France en croyant que c’est l’Eldorado. Il a vendu sa parcelle au pays, il vient ici, il mange mieux, il est mieux logé, mais est-ce qu’il est plus heureux pour autant ? Cette image, elle est vraiment pour tous les gens. Nicolas Anelka par exemple, c’est pour lui aussi ça.

A : Pourquoi ? 

D : C’est un mec qui a préféré mettre en avant sa personnalité plutôt que sa carrière. Il n’est pas carriériste, et ça, dans le monde du foot, c’est suicidaire. Ça lui a coûté des sélections, ça lui a coûté le fait qu’aujourd’hui, il joue pas au Milan AC…

A : Il s’en tire bien au final…

D : Ouais, il s’en tire bien, et moi aussi je m’en tire bien ! [rires]

A : Il y a une chose rafraîchissante dans l’album, c’est que tu y bouscules la religion. En France, et notamment dans le rap, elle est souvent mise sur un piédestal. Tu dis notamment que c’est une bonne chose que les traditions soient modifiables. Comment réagis-tu face au débat actuel sur le voile intégral ? 

D : J’aimerais d’abord que tous les hommes de ce pays et tous les hommes de ce monde ne soient pas hypocrites. On veut tous garder l’intimité de notre femme pour nous [sourire]. C’est un fait. Là, soudainement, des gens deviennent des défenseurs extraordinaires de la femme – mais calme toi, personne n’a imposé le voile à ta fille. Détends-toi ! Ces gens qui disent que le voile est dangereux ont peut-être d’autres raisons. Des raisons géopolitiques ou autres… Moi, je n’ai jamais imposé le voile à aucune de mes meufs. Ça m’est déjà arrivé de voir ma meuf débarquer en mini-jupe et me dire « C’est classe, mais c’est court ! » [rires] Un homme qui a une belle femme n’aime pas que les hommes posent les yeux sur elle. Le voile, la burqa, c’est des convictions personnelles. Je ne peux pas me prononcer dessus. Si des femmes y croient, si c’est en accord avec leurs traditions, qu’elles le mettent. Qu’est-ce que tu veux que je te dise… Et les autres femmes, qu’est-ce qu’elles en ont à foutre ? Qu’est-ce que ça vient foutre là, la dignité de la femme ? C’est pas à ta fille qu’on l’a imposé !

Dans ces débats, il y a une logique d’affrontement entre les civilisations qui ne me plaît pas. Moi, je serais pour que ça se passe comme en Angleterre. Ils ont les immigrés les plus hardcores ! Ils ont les Iraniens, les Yéménites… C’est pas les Marocains de Casablanca avec des T-shirts italiens et des crêtes ! Reste tranquille mon frère, y a pas Al Qaïda ici. Moi je dirais : autant on doit être tolérant là-dessus, autant les religieux doivent être tolérants avec les autres. Faut que eux aussi fassent un effort, et changent leur mode de communication sur leur propre religion. On ne doit pas imposer une religion en insultant les autres, en traitant Untel de mécréant parce qu’il ne pense pas comme toi. Il y a un travail qui doit être fait pour que le traitement, aux yeux de tout le monde, soit à peu près juste.

A : Puisque l’on parle des sujets « tabous », tu dis dans l’album « J’affectionne moins les drapeaux que les gens » et pourtant tu es un grand fan de foot. La Coupe du Monde va arriver et c’est justement quelque chose de très partisan…

D : Justement, plus ça va, et moins je suis d’avis à supporter un pays par affinités historiques ou géographiques. Ça a déjà été dédramatisé quand nous, les Africains, on a pu kiffer Michel Platini ou Jürgen Klinsmann. Donc ouais, on va peut-être supporter un pays par proximité – on vit tous ensemble, on parle la même langue. Mais c’est une compétition, pas une guerre. Des fois, malheureusement, en Afrique c’est le cas. Au Togo, par exemple, ça a tiré. Moi, je ne suis pas un ultra. Je suis pro-parisien déterminé de dingue, mais je vais pas dans les tribunes taper des gens pour des joueurs qui touchent 400 000 E. Non merci, ça va aller ! Tu vas te retrouver en garde à vue, et ils t’apporteront pas un sandwich. [rires] Quant au drapeau… Moi, je suis zaïrois, mon drapeau il a changé trois fois, donc je vais attendre au moins dix ans avant de le porter !

A : Il y a un seul invité sur l’album : Nessbeal. C’était un choix de longue date d’être presque seul sur ton album ?

D : Ouais, et puis c’est aussi une optique de rafraîchissement des bacs [rires]. Je pouvais pas venir et mettre les mecs qui sont déjà là, qui ont déjà prouvés. Ça aurait fait un peu copinage. C’est d’ailleurs pour ça que je refuse souvent de faire des compils’ car c’est souvent les mêmes mecs ! « Ouais, ça t’intéresse de venir poser ? J’ai invité lui, lui, lui… » Des fois, ils annoncent même des gens qui vont pas venir ! « Tu vois, le truc que t’as fait la semaine dernière ? Ben ce sera à peu près la même chose. » J’ai l’impression qu’ils se passent le mot ! Le but c’est de faire des trucs différents, d’évoluer. Avec Nessbeal, c’était une combinaison inédite. J’ai déjà rappé avec pas mal de monde. J’allais pas refaire un énième morceau avec Seth Gueko, Lalcko ou Lino. D’une, c’est une combinaison inédite, et de deux, Nessbeal va à 500000 % avec le morceau. ‘L’œil au beurs noirs’ : le mec est reubeu mais tu pourrais croire qu’il est renoi. Peut-être que dans sa vie, il a subi des remarques désobligeantes de gens qui croyaient qu’il était noir. Il a peut-être du se justifier. Faire des morceaux wesh-vas-y-viens-poser-un-seize et on raconte des conneries, ça m’intéresse pas.

A : T’as donc cogité ton projet de A à Z.

D : Moi, je taffe comme ça. Y a des gens qui ont un autre mode de fonctionnement, c’est efficace et je respecte. Moi je dis juste qu’au bout d’un moment, quand tu prétends avoir un discours, tu dois travailler les choses en profondeur.

« Si tu as fait un mauvais choix, il est hors de question de crier sur les autres. Tes choix, tu les assumes. S’ils ne portent pas leurs fruits, c’est peut-être que tu es un bras cassé ! »

A : Qu’est-ce que t’écoutes en ce moment ?

D : J’écoute un peu mon album quand même hein ! Sinon, j’ai une playlist sur music.me où j’ai mis tous les morceaux que je kiffe. Y a du Nina Simone, ‘Sweet Dreams’ d’Eurythmics, Ray Charles, les albums de Nessbeal… ‘Rimes instinctives’, il est malade ce morceau ! Après, je vais être honnête, je suis tombé sur un mec de Noisy le Grand, 21 ans, un tueur. Il s’appelle F.A.B. Il a essayé de me suivre un peu sur Skyrock et Générations, j’aimerais vraiment que les gens voient vraiment ce qu’il peut donner. Avec Nessbeal, c’est vraiment mon rappeur du moment. Il a la punch, il a la rime juste de ouf.

A : Ton label aurait vocation à produire un mec comme ça ?

D : Non non. D’habitude, je préfère laisser Coco répondre. Moi, je lui dis « Vas-y, signe des mecs ! » et lui me réponds « Nan nan, déjà toi tu me rends ouf ! ». Le reste, c’est peut-être à moi de le faire aussi. C’est peut-être un signe du destin vu que F.A.B. est un mec du 93. Peut-être que j’aurai fait mon taf de ce côté-là en lui faisant la passe latérale !

A : Tu te sens suffisamment mûr pour guider un jeune artiste ?

D : C’est là où j’ai un peu d’hésitation. Je ne peux pas me positionner comme un Jay-Z qui va lui changer sa vie. C’est pas possible. Faut être honnête, déjà pour moi-même c’est dur. Ce que je peux lui apporter, c’est en le conseillant et le responsabilisant. Moi, j’ai tout de suite été responsabilisé. Si tu as fait un mauvais choix, il est hors de question de crier sur les autres. Tes choix, tu les assumes. Si tes choix ne portent pas leurs fruits, c’est peut-être que tu es un bras cassé ! C’est ce que je me suis dit, à un moment, quand j’ai arrêté le rap : « Peut-être que je suis pas fait pour ça ». J’espère lui avoir apporté déjà un minimum : j’ai enregistré deux morceaux avec lui, j’aimerais bien les exploiter incessamment sous peu. Des titres très lourds. Il sait déjà structurer ses morceaux, il sait faire des ponts, il sait commencer les morceaux – dans le 93, on a une manière différente de rentrer dans les morceaux.

A : D’ailleurs la première phrase de « Convictions suicidaires » est assez réussie, dans le genre : « On aime la France , on plaide le crime passionnel »…

D : Ouais, et puis le beat, c’est pas quelque chose de forcément rap. C’est Queen [il beatboxe la rythmique de ‘We will rock you’]. Tu pourrais dire n’importe quoi, ça pourrait presque passer [rires]. Je me suis pris la tête sur l’intro. Y a une gratte jouée, et puis les cris à la fin… C’était le dernier morceau enregistré, et le lendemain le disque partait au mastering. On a eu des galères, le mec il a rentré la gratte, mais on a du revenir le lendemain parce que la gratte n’avait pas été enregistrée… On était dans la séance, on avait déjà débordé de deux, trois heures, le mec du studio devenait ouf… On se dit que c’est mort, qu’il va falloir repousser la sortie à septembre… Je pose le refrain, je termine, et maintenant il faut des backs. On a crié dans la cabine avec DJ Boudj. C’était un vrai cri de soulagement. C’est les trois ans qui sont sortis : WOUUAAAAH ! [rires]

A : Tu as poussé un coup de gueule sur Générations au sujet de la mise en bac de ton album lors de la sortie. Ça s’est arrangé finalement ?

D : Je sais pas.

A : La conversation s’est poursuivie avec les gens de ton label ?

D : Nan. Moi, j’ai passé un appel aux vendeurs. Ça m’est déjà arrivé : à la sortie des « Sirènes du charbon », j’ai passé deux jours à chercher mon CD dans les bacs. Le Virgin de Barbès, Rosny 2, Fnac de Saint Lazare… C’est pas qu’il n’y en avait plus, c’est style : j’arrive, je sais que mon CD sort aujourd’hui, je demande au vendeur, il me dit « On en a pas ». Seulement, il ne savait pas qu’il était tombé sur la mauvaise personne ! « Nan mec, il sort aujourd’hui et c’est mon CD ! Tu peux aller le chercher s’il te plaît ? ». Vous me faites fabriquer des CD trois semaines à l’avance pour avoir le temps de les étiquetter et les foutre en bac le jour de la sortie, pourquoi ils sont pas dans les bacs mon pote ? Comme d’hab : « Ha mais c’est pas nous, nous on est simple vendeurs hein, faut voir au dessus… » C’est qui au dessus ? « Ben il est pas là »… [il grogne]

A : Bon alors, c’est qui au dessus ?

D : J’en sais rien.

A : C’est pas juste des mecs en rayon qui font pas leur job ?

D : J’aimerais bien que ce soit ça. Sur un album, d’accord, mais sur un deuxième… Quand on sait que tu manges l’amende plusieurs mois après sur un problème de bacs, tu commences à te poser des questions.

A : Ils auraient pourtant intérêt à ce que l’album soit bien mis en bac…

D : Ben, c’est ce que je me suis dit aussi ! Mais en fait, c’est grave, car ça voudrait dire qu’ils ne veulent même pas de notre oseille. Nous, on veut travailler, mais non. Pourquoi mes CD ne sont pas dans les bacs ? Des gens vont les acheter ! Pourquoi, les mecs ? Pourquoi ça n’arrive pas à Lara Fabian ? Moi, j’ai ma propre réponse : la France ne veut pas de rap. Ou alors, un rap qui tire vers la variété. Si je me trompais, alors il y aurait le mot « rap » dans le dictionnaire. Il n’y est pas ! Le rock y est pourtant ! Le rap est la seule catégorie musicale où on est obligé de mettre « français » derrière. Rap français. Pourquoi on ne dit pas que Johnny fait du rock français ? Pourquoi on ne lui demande pas de s’agenouiller devant Elvis ? Pourquoi nous ? OK, le rap a été fait aux Etats-Unis. On kiffe, on respecte, on a écouté, mais on a aussi notre histoire.

A : Oui, mais de la même façon, tu as un rayon variété internationale et variété française. A partir du moment où la langue est différente, c’est important de déterminer les choses.

D : Je sais pas. C’est pas à moi d’en décider [rires]. Je suis pas français, je vais vous laisser avec vos problèmes, et mes collègues avec une pièce d’identité française feront changer ça… MOI, je suis conscient de déranger un peu. Pour qu’un syndicat de police décide de venir regarder MA pochette. Tu vois, il y a plein de pochettes scandaleuses dans les bacs mais ils sont allés chercher Despo, ils ont envoyé un courrier à Despo ! Ils ont plus d’intérêt pour moi que les vendeurs de la Fnac ! Avant que la décision de justice ait été prise, les CD étaient déjà retirés des bacs. Il y a donc un parti pris.

« Pourquoi mes CD ne sont pas dans les bacs ? Des gens vont les acheter ! Pourquoi ça n’arrive pas à Lara Fabian ? Moi, j’ai ma propre réponse : la France ne veut pas de rap. »

A : Pour toi, il y a un lien entre ça et le fait que tu ne sois pas en bac le jour de la sortie ?

D : Je sais pas ! J’ai demandé à la radio POURQUOI, car je n’avais pas de réponse de la part de Virgin et de la Fnac. Le mec a fini par me sortir les CD ! Mais si je n’y étais pas allé… Tu sais pourquoi c’est ouf ? C’est des gens qui aiment l’oseille, quand même. C’est une société. Ils ne vont quand même pas faire du bénévolat, garder les CD et les renvoyer après en disant qu’ils ne les ont pas vendus ! Quel intérêt ?

A : C’est peut-être juste des vendeurs qui font leur taf par-dessus la jambe…

D : T’as le droit de penser ça. Je ne vais pas engrainer tout le monde en disant « HA, THEORIE DU COMPLOT SUR DESPO ROOTS LES MECS ! ». Non, pas du tout. J’ai pris le temps de travailler cet album, alors si le travail est mal fait à la Fnac , alors le mec qui n’a pas mis le CD dans les bacs, il dégage ou il paie l’équivalent ! Les mecs, vous m’avez fait rater du biff, comment on fait ? On finit avec des battes de baseball dans les rayons ? Non. On a droit à des explications, on n’est pas des merdes quand même ! On est des artistes, il y a des jeunes qui nous écoutent, on représente quelque chose, on demande le respect. Il y a des artistes en maison de disques, avec des spots pub sur TF1, qui sont rentrés en dessous de Despo Rutti. Alors pourquoi je suis pas respecté, moi ? Si l’album de Truc n’avait pas été dans les bacs, il y aurait un scandale ! Moi on me dit « Tais-toi, c’est juste un mec qui a oublié ».

A : On t’a dit ça, aussi ?

D : Ben oui, ben oui… [rires] J’suis un peu coincé, tu vois. Personne ne me donne d’explications. Je ne vais pas m’auto-mutiler non plus ! Faut bien chercher un coupable. Et si c’est un vendeur, je veux qu’il me rembourse mon biff ! On a payé une campagne de promo pour que les gens achètent le disque ce jour-là. Remboursez-moi la promo !

A : Tu arrives à évaluer le manque à gagner ?

D : Rosny 2, c’est une grande Fnac. C’est un grand centre commercial, surtout pour un artiste du 93. Ça regroupe une grande partie de mon public. Si les CD ne sont pas dans les bacs jusqu’à 15h de l’après-midi, tu perds une bonne centaine de CD. Et si tu multiplies le nombre de Fnac par dix… 1000, 2000 CD… C’est conséquent dans un Top Album.

A : Tu serais rentré dans le Top 10…

D : Ça aurait été une belle récompense pour tous les gens qui ont cru en Despo. Même si je suis pas signé en major, je suis signé sur un label, je prend mes 10%. C’est pas sur ça que tu manges. Tu vas peut-être manger sur les concerts, les sponsorings, mais pas sur le CD lui-même. Ça aurait été une belle récompense pour ceux qui se sont pris la tête :  » – Tiens écoute, il dit des vrais trucs. »  « – Nan, j’aime pas son flow. » « – T’es un ouf, écoute ! »… Les mecs qui ont travaillé méritaient cette récompense. Les mecs qui ont fait de super productions, les mecs qui m’ont fait des ovnis. Parce que j’étais pas un artiste « confirmé », ça aurait été super symbolique pour le rap français. Un mec qui a trimé, qui a pris son temps, qui s’est pas foutu de la gueule des gens qui voulaient entendre du RAP. Ça aurait remis la frustration qu’on avait depuis toutes ces années à sa place. Mais quatorzième, sur un Top 100, c’est bien.

A : Dans ta dernière interview avec nous, tu disais que tu pensais à arrêter le rap tous les jours. Maintenant que ton album est sorti, tu te sens toujours dans cette position ?

D : Ouais, moi c’est pareil pour tout dans la vie, je suis prêt à tout lâcher d’un coup. Demain, je peux me casser au Pérou. Là, j’attends que ça se passe. Qu’on me cale des interviews, voir des gens sympathiques…

A : Et si tu arrêtais tout, tu sais vers quoi tu repartirais ?

D : Non. Si ça se trouve, je ne serais même pas dans l’artistique. J’ouvrirais un salon de thé, Playstation, des après-midi Muffins avec mes potes… Moi, j’ai pas d’ambition politique ni gourou. « Ouais, la jeunesse française, derrière moi ! » Mes couilles. Moi, je veux des Adidas aux pieds. Avoir un peu de sous en poche. Voilà. Après, je suis obligé d’apporter un contre-poids à des gens comme Zemmour ou Michel Sardou. « Aux temps des colonies, j’avais deux trois négresses dans mon lit ». Ces gens là, ils méritent un Despo Roots [rires].

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